RETOUR SUR - Deux ans après, l'enquête sur des violences policières sur Maria au point mort

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Par Olivier LUCAZEAU - Marseille (AFP)
Publié le 11 décembre 2020 - 12:01
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"Maria" le 4 décembre 2020 à Marseille
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© NICOLAS TUCAT / AFP
"Maria" le 4 décembre 2020 à Marseille
© NICOLAS TUCAT / AFP

Le 8 décembre 2018, Maria, 19 ans, est frappée par des policiers, en marge d'une manifestation marquée par des incidents à Marseille. Deux ans plus tard, malgré la vidéo d'un voisin, l'enquête se dirige vers un non-lieu, laissant la jeune fille à ses cauchemars.

Ce samedi de 2018, une semaine après la mort de Zineb Redouane, une octogénaire décédée après avoir été touchée de plein fouet, à sa fenêtre, par une grenade lacrymogène tirée par un policier, l'ambiance est très tendue. "Gilets jaunes", militants contre le logement insalubre et manifestants pour le climat ont envahi la Canebière.

"La situation était insurrectionnelle", décrira le chef d'état major Jean-Marc Luca, directeur du service d'ordre ce jour-là, devant l'IGPN, la police des polices.

Quand Maria (un prénom d'emprunt, NDLR) quitte la boutique où elle travaille en alternance, à quelques mètres de là, plusieurs commerces ont déjà été vandalisés. Il est 18H30, la jeune femme est avec son ami et veut acheter à manger avant de rentrer dans le foyer pour jeunes travailleurs où elle vit.

Coincée entre les échauffourées d'un côté, vers le Vieux-Port, et un groupe de policiers qui se met à charger vers les incidents, elle se réfugie dans une ruelle. Là, touchée par un tir de lanceur de balles de défense (LBD) à la cuisse droite, elle s'effondre.

"J'ai cru que j'avais perdu ma jambe", explique Maria à l'AFP. Mais elle ne sait toujours pas pourquoi elle a été ciblée. Tout juste se souvient-elle avoir lancé quelques petits pétards - des "claque-doigts" - avant les faits, mais jamais les policiers ne lui en parleront.

- "Enquête +Canada Dry+" -

Tombée à terre, elle reçoit un coup de pied en plein visage, d'un homme chaussé de rangers. Et une pluie d'autres coups, de pieds, de matraques, qui lui fracturent le crâne: "J'avais les yeux ouverts, j'étais consciente, mais à un moment j'ai cru que j'allais lâcher".

Une photo prise à l'hôpital témoigne de la violence des coups: la tête partiellement rasée, elle porte sur le crâne deux énormes cicatrices.

Ce dossier est "une non-affaire", expliquera Jean-Marc Luca, nommé depuis directeur départemental de la Sécurité publique de Vaucluse, dans un document consulté par l'AFP.

Quant aux agresseurs, une quinzaine de policiers, dont au moins une femme, filmés par un voisin avec son téléphone, aucun n'a été identifié par l'IGPN.

"C'est un artifice d'enquête, une enquête +Canada Dry+", s'insurge Me Brice Grazzini, l'avocat de Maria, auprès de l'AFP.

Interrogée par l'AFP, la Direction générale de la police nationale n'a pas souhaité faire de commentaire.

Après l'avis de fin d'information du juge d'instruction en août, le premier vice-procureur de Marseille a signé un réquisitoire aux fins de non-lieu, le 2 septembre.

Pour le représentant du parquet, l'information judiciaire a "démontré que ces violences illégitimes avaient été perpétrées par des fonctionnaires de police". Et qu'elles n'étaient "ni absolument nécessaires au regard des circonstances, ni proportionnées à un comportement qui serait imputable" à Maria.

Mais il n'y a personne à renvoyer devant un tribunal et c'est une ordonnance de non-lieu que devrait rendre le juge d'instruction d'ici à quelques jours, s'insurge Me Grazzini, pour qui "Maria a été victime d'une meute qui n'a rien à faire dans la police".

"Ils savent très bien qui c'était", lâche la jeune femme: "Je ne crois plus à un procès. A l'IGPN, quand j'ai raconté ce que j'avais vécu, c'était plus un interrogatoire qu'une déposition... Ils auraient au moins pu s'excuser, mais même pas!"

- "J'ai été abandonnée" -

Quand Maria dépose une plainte le 19 décembre 2018 sur la plateforme de l'IGPN, à sa sortie de l'hôpital, les images des caméras de vidéosurveillance de la ville, conservées 10 jours, ont déjà été "écrasées".

Les échanges radios entre les policiers sur le terrain sont eux stockés deux mois, mais ils n'ont jamais été demandés avant l'ouverture de l'enquête préliminaire fin avril.

Quant au logiciel Pegase, qui enregistre le positionnement de chaque brigade lors d'une intervention, un trou de près de neuf heures, entre 14H37 et 23H21 le jour des faits, rend son exploitation inutile. "Un bug informatique", affirme-t-on au Centre d'information et de commandement (CIC).

"J'ai été abandonnée. Ils n'ont rien cherché", accuse Maria qui a depuis décroché son bac pro, mention très bien. Mais "les cauchemars sont toujours là", comme les cachets contre les migraines, les insomnies, les crises de colère, les troubles de la vue à l'oeil droit, les douleurs à la jambe.

"Je survis, mais je n'y arrive plus. Je me demande si je suis folle. Je ne sors plus, je ne fais plus rien", explique-t-elle, craignant de perdre son travail une nouvelle fois: "J'aimerais juste faire mon deuil de ce jour là, je veux juste vivre".

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