"Nous, les filles, on est délaissées" : le ras-le-bol d'adolescentes de banlieue parisienne

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Par Ornella LAMBERTI - Corbeil-Essonnes (AFP)
Publié le 02 septembre 2021 - 22:57
Mis à jour le 06 septembre 2021 - 18:18
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Vue d'une barre d'immeubles de la cité des Tarterêts à Corbeil-Essonnes, le 20 mars 2020
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© Maryam EL HAMOUCHI / AFP
Vue d'une barre d'immeubles de la cité des Tarterêts à Corbeil-Essonnes, le 20 mars 2020
© Maryam EL HAMOUCHI / AFP

"Stigmatisées", "délaissées" ou se sentant parfois "en danger" dehors: des bombes de peinture à la main, des filles des quartiers sensibles de l'Essonne disent leur ras-le-bol de se sentir à la marge de leurs cités.

Ce jour ensoleillé de fin d'été, Soukayna, Tara, Liliane, Lennie, Alyssa et Chaïma taguent le mot "Peace" sur des bâches noires tendues entre deux arbres, réunies sur une petite place accueillante de Corbeil-Essonnes, à une vingtaine de kilomètres au sud de Paris.

Issues de différents quartiers prioritaires de la Politique de la Ville, elles se sont portées volontaires à l'appel d'un collectif d'associations locales pour peindre un "Mur du vivre-ensemble", une fresque de street art destinée à être montrée aux écoliers de l'Essonne.

Dans ce département, une adolescente et trois garçons - âgés de 14 à 19 ans - sont morts dans des affrontements entre bandes rivales depuis le début de l'année.

Mais ce mercredi, qu'elles soient des Tarterêts, de Montconseil ou de Nacelle, des quartiers limitrophes et pourtant peu poreux de Corbeil-Essonnes, les adolescentes échangent. Et dressent le même constat: "nous les filles, on est délaissées, on ne s'occupe pas de nous", soupire Soukayna, 16 ans, aux lunettes rondes.

Ces jeunes filles se sentent souvent exclues des activités culturelles et sportives, et des espaces de vie communs de leurs résidences.

Les hommes sont omniprésents, expliquent-elles, en bas des bâtiments, sur les terrains de foot, dans les clubs sportifs, dans les Maisons de quartier "où il n'y a que des garçons, même les éducateurs sont des garçons", regrette Lennie, 15 ans, qui pour ces raisons ne les fréquente pas.

- "A la maison" -

"Souvent pointées du doigt, stigmatisées, soit elles restent à la maison, soit elles sortent et sont victimes de discrimination", regrette Azdine Ouis, responsable du collectif qui a organisé l'activité.

"La discrimination, elle ne se fait jamais dans le discours mais dans les pratiques", analyse Max Leguem, directeur de cabinet de la mairie et ancien responsable de MJC, qui reconnaît que "ce qu'elles disent est vrai".

Souhaitant "lutter contre ces assignations à résidence", M. Leguem veille à la mixité dans les sorties organisées par la Ville, le recrutement des emplois saisonniers et des personnels des sept Maisons de quartier.

Et il ajoute qu'une section féminine dans le club de foot de Corbeil-Essonnes sera ouverte en septembre.

Ravie d'avoir trouvé une association qui l'emmène "à Paris, au restaurant, dans les musées", Liliane, 15 ans "n'a pas osé" s'inscrire au séjour dans les Alpes organisé par Tremplin foot, n'étant "pas à l'aise" avec le fait qu'il y ait "cette majorité de garçons".

Si elles tentent de se mêler, "il ne va rien se passer", reconnaît Sara, 13 ans, "mais c'est gênant pour nous", ajoute-t-elle. Chaïma, son aînée de deux ans estime, elle, qu'"on va penser: +c'est une pute+ juste parce qu'elle a traîné avec des garçons...".

Zakia Amgha, présidente de l'association Les mamans de la République, confirme que cette autocensure est tenace et tente d'aider "ces jeunes filles qui s'interdisent de rêver".

- "Préjugés" -

Ces "préjugés sont fortement incrustés", constate également le délégué du préfet à l'égalité des chances venu voir la fresque. "Les actions de la politique de la ville, dont l'axe principal repose sur l'égalité hommes-femmes, sont prioritaires", assure-t-il.

Sur les quelque 24.000 jeunes ayant participé à ces actions durant l'été, plus de 13.000 sont des filles, chiffre la préfecture de l'Essonne qui concède cependant "que l’égalité réelle entre les femmes et les hommes se concrétise plus difficilement dans les quartiers prioritaires".

Samira Ketfi, 41 ans, qui a grandi à Montconseil "dans une tour", est présidente du club de tennis local.

Pour elle, il y a "un accès limité" des filles aux infrastructures en raison d'un problème de sécurité, avec de "jeunes garçons qui fument et boivent aux abords des courts" et des "bouteilles de verre de vodka cassées sur le terrain".

L'adolescente Lennie glisse que quand elle était plus jeune, sa mère "n'aimait pas qu'il y ait beaucoup de garçons (dehors)": "elle pensait qu'on serait en danger". Elle-même a longtemps été cantonnée aux "activités avec les personnes âgées".

Assis sur une table de pique-nique en bois aux Tarterêts, près du terrain de foot, Yanisse, Kévin, Sikhou et Joseph, 20 ans, semblent attristés par les dires de leurs voisines de cité.

Yanisse reconnaît que les filles au foot, "ce sont des petites, pas de notre âge" mais tempère: "c'est mélangé quand il y a des événements, comme au basket".

"Faut oser !", suggère Kévin avec un large sourire, ajoutant qu'il "laisserait les filles jouer avec lui" au foot si elles le demandaient.

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