COVID 19 : Les données de Santé Publique France sont elles fiables ?
« Nous sommes en guerre ! »
Emmanuel Macron Président de la République française le 16 mars 2020.
Tribune : Si tant est qu’une pandémie soit assimilable à une guerre, mener une telle lutte contre un ennemi sournois ne peut s’improviser. L’évaluation des menaces potentielles qui pourraient porter atteinte aux intérêts vitaux du pays devrait faire l’objet d’études menées au plus haut niveau pour déterminer les réponses stratégiques à adopter selon les scenarios les plus probables, voire les plus improbables. De cette première réflexion les différents ministères, les états-majors, les préfectures, les hôpitaux, les industriels sollicités, les médias, etc. déclineraient ces réflexions stratégiques dans des plans d’action opérationnels pour que toutes les mises en œuvre convergent vers les objectifs des plans stratégiques.
Dans ces différentes déclinaisons une place importante est attribuée à l’information. Celle-ci est un élément essentiel de la conduite des opérations. Ne pas savoir ce que fait l’ennemi et ne pas connaître en temps réel la disponibilité et la situation de ses propres forces condamnent d’avance à l’échec.
Que vient faire ici cette réflexion dans un billet en rapport avec la pandémie ?
Certes les épisodes lamentables des masques, des lits de réanimation, des respirateurs, des substances stratégiques pour les réanimations, des tests, de l’exclusion des médecins généralistes et des cliniques, etc. ne manquent pas de nous revenir en mémoire à quelques semaines du premier anniversaire de la pandémie et montrent les lacunes voire l’absence de tout plan stratégique ou opérationnel pour faire face à cette menace.
Néanmoins il est un domaine qui a été trop peu couvert par les médias, et c’est une gageure puisqu’il est question d’information, elle-même la seule raison d’exister des médias. Ceux-ci semblent se limiter à reproduire les chiffres égrenés chaque soir par le porte-parole de Santé Publique France ou par le Ministre de la santé en personne. Mais ces chiffres ont-ils une cohérence ? Sans une information fiable comment le gouvernement est-il en mesure de prendre des décisions cohérentes ? Une information biaisée pourrait conduire à prendre des mesures disproportionnées. Le gouvernement maîtrise-t-il la vision du champ de bataille ? Quels sont ses outils pour cela ?
Ce sont ces questions que je me pose aujourd’hui après avoir galéré dans les chiffres du ministère de la santé. Ce sont des réponses que je cherche car si mes constats sont corrects, ce que je ne souhaite pas, les incohérences trouvées dépasseraient tout ce que j’imaginais sur la faiblesse du gouvernement en terme d’information sur cette pandémie.
Ce constat je vous le livre et vous engage à le vérifier et le critiquer pour lever ou conforter mes doutes.
Bien nommer les choses, ici l’information recherchée, est la base même de la qualité du renseignement stratégique et opérationnel.
Lorsque le Covid-19 a frappé la France début 2020 il semble que le monde médical ne possédait pas d’outil cohérent de collecte d’information adaptée au suivi de l’évolution de la pandémie. Sans un système d’information fiable les décisions s’appuient sur des approximations. Il semble que ce soit le cas ici. Encore une fois j’espère sincèrement me tromper.
En mars 2020 le Ministère de la santé conjointement avec l’INSEE et Santé publique France publiait un document baptisé « Le suivi de l’épidémie de COVID-19 - Livret de présentation -Mars 2020 ». L’introduction de ce document est révélatrice.
Après avoir posé clairement le sujet dans cette question « Comment suit-on l’évolution d’une épidémie ? » le rédacteur affiche ensuite un certain satisfecit :
« La France s’est positionnée rapidement comme moteur sur ce sujet. Dès le 10 janvier 2020, les autorités sanitaires ont mis en place en France un dispositif de surveillance du COVID-19 qu’elle communique de façon transparente jour après jour. De nombreux indicateurs lui permettent de suivre l’évolution de la situation, et au fur et à mesure que l’épidémie se propage, de nouveaux outils deviennent nécessaires pour avoir une vision globale de la situation (surveillance en population dite syndromique). Depuis le début du mois de mars, un nouveau dispositif de surveillance adaptée à la circulation large du virus en population a été progressivement mis en place à partir de plusieurs sources de données. »
Quels sont ces outils ?
Les données de la pandémie en France viennent de plusieurs sources :
- de Santé Publique France, accessibles sur le site Géodes, du réseau OSCOUR® (Organisation de la surveillance coordonnée des urgences – 700 unités d’urgence) dont les données sont transmises à Santé publique France ;
- de la Fédération SOS Médecins (62 associations réparties sur l'ensemble du territoire et les départements d’outre-mer en liaison avec le Système national de surveillance des urgences et des décès ou SurSaUD® géré par Santé Publique France – anciennement InVS ou Institut de veille sanitaire) ;
- du réseau de médecins généralistes et pédiatres dit réseau « Sentinelles ». Ce réseau comptait au « 1er janvier 2018, ... 1314 médecins généralistes libéraux (soit 2,1% des médecins généralistes libéraux en France métropolitaine) et de 116 pédiatres libéraux (soit 4,3 % des pédiatres libéraux en France métropolitains), volontaires, répartis sur le territoire métropolitain français. » Ce réseau de professionnels au plus près du terrain aurait constitué un outil de pilotage de premier ordre si, au lieu des 1314 médecins (2018) participant officiellement au recueil d’information, les 101355 médecins généralistes (chiffre de 2019) avaient pu avoir accès aux mêmes outils. Au lieu d’avoir cette force importante à disposition pour remonter des éléments concrets la direction de la santé se cache derrière l’utilisation d’outils statistiques pour étendre à l’ensemble du territoire ce que constatent 2 % des médecins généralistes : « Aujourd’hui, le Réseau Sentinelles et Santé publique France appliquent la même méthode statistique que celle utilisée pour estimer le nombre de patients atteints de la grippe saisonnière vus en consultation de médecine de ville. »
- Le réseau des acteurs[1] utilisant le Système d’information pour le suivi des victimes d’attentats et de situations sanitaires exceptionnelles ou SI-VIC : « Le SI-VIC s’inscrit dans une démarche interministérielle sur l’ensemble de la chaîne de prise en compte des victimes : du dénombrement sur le terrain, au suivi des démarches administratives et judiciaires induites par la reconnaissance du statut de victime, en passant par la prise en charge hospitalière. »
- Le suivi des décès en milieu hospitalier est réalisé sur une « application développée pour le suivi intra-hospitalier des situations sanitaires exceptionnelles et activée dans le contexte de cette épidémie » (voir page 4 du Livret de présentation). Sur cette application développée au pied levé pour la pandémie aucune explication complémentaire n’est donnée.
- Les Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes ou EHPAD sont dès le début de la pandémie les parents pauvres en matière d’outils de pilotage de l’information. Le Livret de présentation aborde laconiquement en page 5 ce sujet : « Une application est en cours de développement permettant un suivi quotidien de la mortalité, dès lors qu’un EHPAD ou un autre établissement médico-social a signalé un ou plusieurs cas d’infection COVID-19 survenu dans l’établissement. Cette application devrait être opérationnelle dans les prochains jours. »
Il y a-t-il une cohérence de l’information dans cette constellation de réseaux ?
Le premier problème rencontré, du moins pour ceux qui souhaitent exploiter les données de ces réseaux, se cache dans la définition des données de recueil.
Ainsi les données regroupées par âge sur le réseau OSCOUR® sont organisées selon 10 tranches d’âge alors que celles du réseau SurSaUD® le sont selon 5 tranches d’âge seulement et que les données de certification de décès le sont sur 7 tranches d’âge.
Une deuxième difficulté pour les lecteurs des informations diffusées par les réseaux santé, mais aussi pour les personnes en charge d’alimenter en données ces réseaux, tient aux ambiguïtés qui parfois se glissent dans la définition même des données.
« Lit de réanimation » : Une expression mais deux concepts !
L’exemple le plus significatif est celui des lits de réanimation. Le nombre de lits de réanimation est en effet devenu un indicateur vedette des rendez-vous télévisuels. Le taux d’occupation, renommé « tension hospitalière sur la capacité en réanimation », était déclaré être le 14 février de 65,2 % ce qui représentait 3299 lits occupés. Ce pourcentage et ce chiffre donnent donc un total de lits de 5060 lits au total (100%). La France ne serait donc en mesure que d’offrir 5060 lits !
La définition d’un « lit de réanimation » est donnée par Santé publique France (voir Géodes -Documentation détaillée[2]) comme étant l’ensemble des lits des services de réanimation, des lits des unités de soins intensifs et des lits des unités de surveillance.
Mais alors de combien de lits disposons-nous selon cette définition officielle ?
La réponse se trouve sur le site de la DREES ou Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques. En bas de la page[3] le lecteur trouvera un lien vers un fichier de données.
Il y aurait donc au total potentiellement 19604 lits dits de « réanimation » selon la définition de Géodes (données publiées en avril 2020 et mises à jour le 3 février 2021 sur la situation de fin 2019), dont 19169 en métropole. La DRESS précise : « Le nombre total de lits de soins critiques est désormais estimé à 19 604 lits, contre 19 580 en septembre dernier. »
Les lits « spécialisés » (USIC et les UNV ) mis à part, le seul secteur public disposerait donc potentiellement pour accueillir les patients Covid-19 de 9743 lits de soins critiques - appellation moins ambigüe que je retiens désormais - selon le critère «Géodes », dont 7762 sont situés dans des centres hospitaliers régionaux (CHR).
Mais alors pour quelle raison l’administration n’affiche-telle que 5060 lits de « soins critiques » ?
Le 26 janvier 2021 le journal La Montagne publiait un article sur son site internet sur ce sujet du nombre de lits de réanimation. L’information obtenue par le journal fait bien état de 5433 lits au 31 décembre 2019 comme dans le tableau de synthèse plus haut. Par ailleurs le journal écrit avoir obtenu de la Direction générale de l'offre de soins le chiffre de 6733 lits de réanimation « armés » à la date du 15 janvier 2021.
Trois réflexions me viennent immédiatement sur le clavier :
- En premier lieu pourquoi ne pas retenir le potentiel maximum de lits de soins critiques pour calculer cet indicateur ?
- Le potentiel retenu par l’administration ne se limite pas comme certaines personnes me l’ont affirmé mordicus au seul secteur public mais bien à tous les établissements quel que soit leur statut juridique. C’est ainsi que le chiffre de 5433 lits est obtenu.
- Si l’administration n’adopte pas la définition Géodes, et qu’en outre cette même administration admet qu’il n’y a pas 5060 lits disponibles mais 6733 lits, pour quelle raison ce dernier chiffre n’est-il pas pris en compte pour le calcul de l’indicateur ? Cette prise en compte ramènerait le taux d’occupation à 49 %. Sur un plan purement psychologique, passer sous 50 % aurait un effet positif sur le moral, très affecté, des Français.
Les réponses sont dans cette autre définition de l’indicateur « 4. Tension hospitalière sur la capacité en réanimation » : « Cet indicateur reflète le niveau de sollicitation des réanimations mais aussi le niveau de tension sur les capacités hospitalières en réanimation. Il s’agit de la proportion de patients atteints de COVID-19 actuellement en réanimation, en soins intensifs, ou en unité de surveillance continue rapportée au total des lits en capacité initiale, c’est-à-dire avant d’augmenter les capacités de lits de réanimation dans un hôpital. »
De cette définition je comprends :
- que la transformation depuis le début de la pandémie d’une quelconque unité (soins intensifs, surveillance continue, etc.) en lit de réanimation ne doit pas être prise en compte ;
- que l’indicateur est le ratio entre le nombre de patients Covid-19 en [réanimation /soins intensifs/surveillance continue] et le nombre de lits inventoriés fin 2019 de [ réanimation /soins intensifs/surveillance continue].
De façon plus simple, il s’agit du pourcentage de lits occupés pour Covid-19 en soins critiques sur la base de l’inventaire de ces lits de soins critiques de fin 2019 (donc celui de la DREES).
Cette définition est donc bien conforme à celle donnée dans Géodes.
Ceci veut donc dire que le taux de tension hospitalière sur la capacité en réanimation, tout lit et tout établissement confondus de France, n’était pas de 65 % mais de 20,7 % le 14 février 2021 (ratio de 3299/15922).
Mais alors, pour quelle raison Santé Publique France continue-t-il de publier cet indicateur sur la base du seul nombre de lits de réanimation ?
Je n’ai pas la réponse mais il est impensable qu’il ne puisse s’agir que d’un simple quiproquo sur la définition de ce fameux « lit de réanimation ».
[1]Établissement de santé (ES), SAMU, cellules d’urgences médico-psychologiques (CUMP) et agences régionales de santé (ARS) [2]« Documentation détaillée ... 4) Depuis le début de la surveillance hospitalière via SI-VIC, la définition d’admission en réanimation s’applique aux patients hospitalisés développant une forme grave et admis en service de réanimation (SR), en unité de soins intensifs (SI) ou en unité de surveillance continue (SC), sans précision sur le type de service. » [3]Nombre de lits de réanimation, de soins intensifs et de soins continus en France, fin 2013 et 2019 (Paru le 12/01/2021 Màj le 03/02/2021)
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