Et toi, tu ne serais pas un peu dépressif ?
La crise sanitaire a entraîné une hausse inédite des troubles psychiques. En France, douze millions de personnes souffriraient d’anxiété ou de dépression. La guerre entre la Russie et l’Ukraine amplifie les angoisses. Tour d’horizon.
Élodie, 50 ans, célibataire, est en télétravail pour une société de conseil. Elle est tétanisée à l’idée d’attraper l’Omicron. Aussi refuse-t-elle toute vie sociale alors qu’il n’y a plus de confinement. Pas de sorties avec des amis ou de visites de la famille. Seule la routine des courses l’autorise à mettre le bout du nez dehors. Du coup, elle accuse une grosse déprime et avale des comprimés pour combattre son mal-être. Hélas, elle n’est pas un cas isolé.
Les effets de la crise sanitaire vont bien au-delà de la comptabilisation des décès et des maladies causés par le virus lui-même.
À grands renforts de battage médiatique, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a présenté un rapport, début mars, relatif aux conséquences de la Covid-19 sur la santé mentale des populations : l’anxiété et la dépression auraient augmenté massivement de 25 % en un an dans le monde. Les femmes seraient plus touchées que les hommes.
En France, on estime que 12 millions de personnes souffriraient aujourd’hui de troubles psychiques, selon l’UNAFAM, l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques. Un Français sur quatre aurait recours à des anxiolytiques ou somnifères et 10 % de Français auraient eu des idées suicidaires au cours de ces derniers mois.
« Je rencontre fréquemment des patients qui perdent espoir dans l’humanité ou qui pensent que la fin du monde est proche. Il faut être attentif à notre façon de prendre en charge cette anxiété qui, si elle n’est pas soignée, ne demande qu’à se développer et à se transformer en réelle dépression, voire en suicide », souligne Olivier Dubois, médecin psychiatre, Directeur des Cliniques psychiatriques et des Thermes de Saujon spécialisés dans les troubles psychosomatiques.
Les jeunes sont les plus touchés
Photo : Les adolescents fragilisés par la crise sanitaireChez les jeunes de 18 à 30 ans l’anxiété chronique et l’état dépressif auraient quasiment doublé, voire triplé.
Kristine, mère de famille, témoigne : « Ma fille n’a plus envie d’aller à l’école. Elle s’en fout d’avoir des mauvaises notes et me dit : "À quoi bon, on ne sait pas où va le monde !" Ses copines sont dans le même état de déprime. Les vaccins, la guerre entre la Russie et l’Ukraine : tout leur fait peur. »
En pleine classe, Élodie, 14 ans, s’est versée de la vodka sur la tête et a brandi une boîte d’allumettes. Son professeur de philo lui a dit « Arrête tes conneries ! » Elle s’est calmée et s’est aspergée d’eau. Trois jours plus tard, sa meilleure amie s’est défenestrée et a été gravement blessée.
Voir aussi : "L’obéissance a toujours été plus dangereuse que la désobéissance civile" Sonia Delahaigue, psychologue
Les services d’urgence hospitaliers n’ont jamais été autant sollicités avec un taux de passage à l’acte suicidaire qui aurait augmenté de 50 % pour les jeunes (30 % pour les adultes) depuis la crise du coronavirus, selon un rapport d’OSCOUR, l’Organisation de la surveillance coordonnée des urgences. Des chiffres effrayants !
« Les jeunes ont une aspiration naturelle à s’ouvrir aux autres et au monde. L’entrée dans l’âge adulte est une période fortement anxiogène, met en évidence Olivier Dubois, 5ème génération de psychiatre dans sa famille. Quitter leur milieu naturel pour entrer dans l’univers des adultes qui lui est étranger est, pour beaucoup de jeunes, source d’inquiétude. Pour combattre cette anxiété fréquente et normale à cet âge, il est souhaitable que ces jeunes s’inscrivent dans l’action et la sociabilité. Les avoir contraints à vivre l’inverse n’a pu qu’entretenir leur anxiété liée au passage de l’enfance à la vie adulte, de la protection à la découverte, de l’insouciance à la liberté... »
Et d’ajouter : « Les personnes névrosées qui souffrent demandent de l’aide, consultent un médecin. En revanche, les psychotiques (paranoïaques, schizophrènes…) ne reconnaissent pas qu’ils vont mal. Lorsqu’ils mettent leur vie en danger, ils vont directement à l’hôpital. »
Peur de la maladie et Covid long
Le docteur Dubois constate parmi ses patients que les personnes ayant peur de la Covid ont été autant affectées que des patients ayant eu la maladie. « Quand la peur s’installe et devient quotidienne, elle suffit bien souvent à développer une anxiété chronique. Par ailleurs, les deux longs confinements en 2020 et 2021 ont créé un climat de tension et d’appréhension psychique quasi permanent. De nombreux individus qui ne sont pas à même de supporter des contraintes d’isolement prolongé ont développé progressivement une anxiété chronique. Cette anxiété peut perdurer plusieurs années après cette période inédite dans notre Histoire. Très peu de patients attribuent spontanément la dégradation de leur équilibre psychique et physique à la Covid-19 et à ce qui l’environne. Et, pourtant, lorsque cela est évoqué au cours des entretiens, et que nous reprenons le fil de leur histoire, cela leur saute aux yeux. »
Annoncer la suspension du passe vaccinal au 14 mars 2022 n’est pas de nature à rassurer les personnes inquiètes. Certaines imaginent un nouveau virus, la reprise du passe, une 4ème dose obligatoire, des effets secondaires liés au vaccin…
Ainsi Gilbert, 55 ans, agriculteur, ne dort plus, il fait des cauchemars. Il a peur de revivre un confinement, il appréhende l’avenir alors que ses revenus sont restés stables. Il est envahi par une forte angoisse qui le submerge et n’a plus la capacité à raisonner de manière rationnelle. Célibataire, sans enfant, il vit dans une solitude qui entretient son désespoir.
Susana, 45 ans, a dû quitter son métier de décoratrice dans les spectacles, car elle a refusé de se faire vacciner. Ses amis, pour la plupart vaccinés, l’ont stigmatisée et abandonnée. Elle est tombée en déprime. Le conflit Russie-Ukraine a achevé son moral.
« Les informations en boucle délivrées par les médias audiovisuels annonçant tous les jours le nombre de cas contact, le nombre de personnes hospitalisées, le nombre de morts ont eu un effet délétère sur le moral et la santé mentale des Français. Les messages alarmistes sur les dangers du virus ou des vaccins et les oppositions entre pro et antivax ont eu des conséquences lourdes sur des anxieux chroniques. La guerre entre la Russie et l’Ukraine vient ajouter de l’angoisse qui se propage rapidement. Penser que chacun a la maturité suffisante pour gérer toutes situations anxiogènes qu’il rencontre serait utopique », souligne Olivier Dubois.
Autant d’individus, autant de façons différentes d’appréhender le réel.
Des personnes ayant eu la maladie l’ont traitée comme une grosse grippe. Sans inquiétude. Elles ont récupéré toutes leurs capacités et repris leurs activités habituelles. D’autres ont été fragilisées et souffrent d’effets durables : troubles neurologiques et respiratoires, fatigue chronique, incapacité à faire du sport, perte de la libido, allergies…
Les personnes ayant la Covid-19 longue durée se plaignent de symptômes persistants plusieurs semaines, voire plusieurs mois après la maladie. Se voir diminuer, sans possibilité de reprise d’une vie normale, déclenche des réactions anxio-dépressives fortes.
Elsa, 30 ans, résidente dans le Var, témoigne : « J’ai des démangeaisons en permanence. Je ne peux plus sortir, un rien déclenche des réactions d’urticaire géant. J’ai déjà fait une tentative de suicide, c’est trop dur ce que l’on vit. »
Le Covid long commence à être reconnu par des médecins, mais reste souvent ignoré par le système de soins classiques. L’Association #AprèsJ20 Covid Long France offre des outils pour s’en sortir et permet aux victimes de communiquer entre elles.
Associations, consultations psy et cures thermales
Psycom dédramatise la situation : « Nous vivons une période qui est difficile pour tous, quels que soient notre âge et notre situation. Nous devons admettre que la plupart d’entre nous voient leur confiance en l’avenir ébranlée. Il serait judicieux de renoncer, pour un temps, à la sérénité. Nous ne devons pas nous blâmer pour nos moments de doute, notre manque d’entrain ou notre état de fatigue. Ces manifestations peuvent nous surprendre ou nous déranger. Cependant, elles sont adaptées aux évènements que nous vivons. »
Voilà qui est dit et apporte un peu de baume au cœur !
Des conseils sont donnés sur le site Psycom pour garder le moral : se rappeler que l’on a surmonté nos difficultés dans le passé, faire preuve d’indulgence vis-à-vis de soi-même, prêter attention à notre sommeil, avoir une activité physique tous les jours, s’offrir des petits plaisirs, réaménager son chez-soi, gardez le contact avec la nature…
Que faire en cas de montée de l’anxiété, voire de la dépression ?
Lorsque l’on se sent triste, anxieux ou vulnérable et que cela dure dans le temps, c’est peut-être le signe que l’on a besoin d’aide. Il est possible d’appeler le numéro national d’écoute et d’orientation psychologique au 0800 130 000 (24h/24 et 7j/7). Si l’on n’aime pas le téléphone, on peut tchatcher en ligne.
Consulter un psychiatre ou un psychothérapeute est la bonne solution si l’on veut bien mettre des mots sur son mal-être. Le bouche-à-oreille est utile pour s’orienter vers le bon psy.
Depuis la crise de la Covid-19, les cabinets en ville sont saturés de demandes et, bien souvent, un nouveau patient doit attendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois avant de décrocher un rendez-vous. Alors autant détecter le plus tôt possible son anxiété.
Prendre des médicaments ne peut être la meilleure réponse sur le moyen terme. Alors que faire pour échapper à cet engrenage ?
Aux Thermes de Saujon, spécialisés dans les troubles psychosomatiques en France, on accueille des personnes en cures spécial post-covid de trois semaines, remboursées par la Sécurité sociale. Une formule innovante !
Au programme : des entretiens psychologiques individuels, des ateliers de dix personnes maximum, des séances de relaxation et de méditation, de la balnéothérapie.
Les objectifs ? Se reposer, comprendre le traumatisme, évacuer les tensions physiques et psychiques, apprendre à lâcher prise.
« Retrouver un lien social dans une oasis de calme, avec des soins adaptés, favorise le retour vers un meilleur état psychique. En fin de séjour, les participants ont réduit de 25 à 30 % la consommation d’anxiolytiques et de somnifères », constate Olivier Dubois auteur de Thermalisme. Voie de guérison naturelle, publié chez Flammarion.
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