L'Italie malade de la proportionnelle | l'avis Tranchant d'Alain
La Vème République aura 63 ans cette année. En termes de longévité, elle est proche de rejoindre les lois constitutionnelles de 1875 qui ont "organisé les pouvoirs publics" de notre pays jusqu'en 1940. Le moment serait d'ailleurs venu de parler tout simplement de la "République", et non plus de la "Vème République", si de grandes manoeuvres n'étaient pas en cours pour remettre en cause son apport fondamental dans la gestion des affaires du pays : en donnant une tête à l'Etat, et avec un mode de scrutin permettant de dégager une majorité parlementaire, la Constitution de 1958 a permis une stabilité et une continuité du pouvoir sans aucun précédent sous les Républiques antérieures.
Si les Françaises et les Français savent à quoi s'en tenir sur les institutions qui ordonnent aujourd'hui le gouvernement du pays, en revanche il est sûr qu'en dehors des cercles politiques et des citoyens qui s'intéressent à la vie publique et à l'histoire, la gouvernance de la France sous la IVème République n'est pas la préoccupation de nos compatriotes, et c'est bien normal.
A la faveur du débat en cours sur la réforme du mode de scrutin pour l'élection de l'Assemblée nationale, la comparaison entre les deux Républiques s'impose pourtant : le scrutin majoritaire est consubstantiel à la Vème République ; la représentation proportionnelle est le symbole de la IVème République. Quand on a dit cela, on a tout dit, mais on n'a pas apporté la preuve qu'un certain mode de scrutin est lié au "régime des partis". Par contre, les difficultés politiques actuelles de l'Italie nous ramènent aux affres de la IVème République française, et un point commun apparaît clairement : la loi électorale, une loi à base de représentation proportionnelle.
Alors que partout, dans le monde entier, les gouvernants sont aux prises avec la gestion d'une grave pandémie, qui va entraîner de lourds dégâts économiques, sociaux, humains, l'Italie se trouve une nouvelle fois en crise politique. Son Premier ministre, Giuseppe Conte, a démissionné et le président de la République, Sergio Mattarella, en a pris acte et "invité le gouvernement à rester en fonction pour gérer les affaires courantes". Cette même formule consacrée était utilisée lors des crises politiques à répétition qui ont rythmé la vie de la IVème République française, avec ses 13 présidents du Conseil et ses 23 gouvernements entre 1946 et 1958.
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Au contraire des pays anglo-saxons, qui ont érigé en dogme absolu le scrutin majoritaire à un tour, le candidat arrivé en tête étant élu, ce qui organise la vie politique autour de deux grands partis ayant vocation à gouverner et à se succéder, les pays latins sont davantage enclins à choisir la représentation proportionnelle, qui favorise l'éparpillement des suffrages, la multiplicité des partis et conduit à la formation de coalitions entre partis minoritaires après le scrutin.
En France, depuis 1958, le scrutin majoritaire à deux tours est roi. Ce mode de scrutin a été arrêté en vertu des pleins pouvoirs accordés au général de Gaulle en juin 1958. Au cours du conseil de Cabinet du 7 octobre 1958 (réunion des ministres, sans le président de la IVème République, René Coty), le général de Gaulle, président du Conseil de la IVème République finissante, avait résumé sa pensée en deux phrases : "Si l'on veut une majorité, il faut un scrutin majoritaire". Et : "Le scrutin uninominal à deux tours est le scrutin de la République". De Gaulle faisait ici référence à la IIIème République. Du scrutin majoritaire découle une stabilité des gouvernements : quatre Premiers ministres au cours des douze premières années de la Vème République, au lieu de treize dans les douze ans de la IVème République.
En Italie, toute la vie politique depuis la seconde guerre mondiale est marquée par l'absence d'un mode de scrutin qui "aide au regroupement des opinions". Une énième loi électorale a été adoptée en 2017, afin de lutter contre les crises ministérielles et la paralysie politique du pays qui en est la conséquence. Cette loi, à un seul tour de scrutin, organise l'élection de 37,5 % des députés au scrutin majoritaire, et de 62,5 % au scrutin proportionnel.
Dès l'adoption de la loi, les observateurs doutaient qu'elle puisse répondre à ses objectifs. De fait, il a fallu trois mois, entre les élections législatives du 4 mars et le 1er juin 2018, pour aboutir à la formation d'un gouvernement de coalition, dont la destinée était comme toujours de voler en éclats. La démission de M. Conte en est l'illustration. "A peine née en 2018, la IIIème République est déjà terminée", écrit le quotidien "Il Corriere Della Sera". Après trois semaines de crise, M. Draghi, ancien gouverneur de la Banque centrale européenne, a été appelé à former un gouvernement. Il va maintenant engager des discussions avec les partis, puis vérifier s'il dispose de la confiance du Parlement. Sinon, les Italiens devront retourner aux urnes, avec la probabilité de se retrouver dans une situation quasi identique, du fait du mode de scrutin. Ainsi va le régime des partis ...
Alors qu'il est question, en France, ou bien d'intégrer une dose de proportionnelle dans la forme majoritaire du scrutin, ce que de Gaulle considérait comme "un truquage", ou bien de recourir à la représentation proportionnelle intégrale, l'exemple de l'Italie devrait ouvrir certains yeux et faire réfléchir les tenants du tripatouillage du mode de scrutin qui, hélas ! n'est pas inscrit dans la Constitution. Mais rien n'est moins sûr !
C'est Michel Debré qui l'écrivait dans "La mort de l'Etat républicain" : "Nous considérons volontiers, en France, le mode de scrutin comme un mécanisme secondaire (...). C'est une erreur, une erreur grave (...). Le mode de scrutin fait le pouvoir, c'est-à-dire qu'il fait la démocratie ou la tue".
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