Affaire Baupin : féministe et paritaire, EELV n'a pas échappé à l'omerta
Les faits reprochés à Denis Baupin font d'autant plus mal à EELV que ce parti, déjà miné par les divisions, s'est toujours voulu exemplaire sur la question du féminisme. Mais jusqu'à quel point les cadres pouvaient-ils, comme ils l'assurent, ne pas connaître les comportements présumés du député de Paris ?
"Chacun(e) est en droit de se demander pourquoi le parti Europe Ecologie-Les Verts n'a pas réagi", relevait dès lundi 9, lors de la révélation de l'affaire, le secrétaire régional du Centre Jean-Sébastien Herpin. "On pourrait dire qu'il s'agit d'une affaire personnelle. Non, elle fut collective, dans nos gênes, nos silences", ajoutait-il.
"Bien sûr qu'il y a une forme de responsabilité collective, puisqu'on était nombreux à savoir des pièces du puzzle, pas l'intégralité du puzzle - moi il y a des faits que j'ai découverts - , mais je ne peux pas dire que nous ignorions qu'il se passait un certain nombre de choses", a reconnu mercredi sur France 3 la députée EELV Cécile Duflot, ancienne cheffe du parti.
"Les Verts, c'est un parti qui met l'égalité entre hommes et femmes, le respect des rapports humains, au coeur de ses pratiques, c'est notre ADN", rappelle un autre ancien secrétaire national, Pascal Durand.
Alors comment expliquer que ce parti, paritaire et féministe avant l'heure, n'ait pas levé "l'omerta"?
La scène se passe au conseil fédéral des 9 et 10 mai 2015. Tous les membres d'EELV interrogés racontent à peu près les mêmes faits. Présidente de la commission féminisme du parti, Dominique Trichet-Allaire obtient, de longue lutte explique-t-elle, la possibilité de monter à la tribune. Quelque temps avant, sa commission avait reçu "le témoignage de trop" et avait décidé d'"avertir le parti".
"Mon intervention a été très courte : j'ai fait le constat que nous avions depuis deux ans reçu des témoignages de harcèlement, d'agressions sexuelles, et d'un viol", raconte-t-elle à l'AFP en assurant que ce dernier acte ne concernait pas M. Baupin.
"J'ai demandé à la direction du parti de mettre en place un groupe de travail pour organiser une procédure de prise en charge des victimes, avec l'aide d'une association extérieure spécialisée dans les violences faites aux femmes", poursuit-elle.
"Au début, ça a été la sidération, puis une réaction classique, le déni - +comment peux-tu dire cela, c'est un scandale!+ - puis parfois l'agressivité - +tu es folle!+ - et enfin certaines personnes sont venues m'encourager et me soutenir", rappelle la militante.
Mme Trichet-Allaire dément catégoriquement l'affirmation du conseiller de Paris EELV, Yves Contassot, selon lequel la secrétaire nationale d'alors, Emmanuelle Cosse, aurait immédiatement interrompu les débats : "au contraire, elle a pris la parole pour proposer un temps d'échange". Mais, souffle la militante, "en un an, rien ne s'est passé".
Comme elle, l'une des victimes, la porte-parole du parti, Sandrine Rousseau, en est convaincue: "Des gens l'ont couvert" au sein du parti. Elle l'explique notamment par la nature très spécifique du monde politique : "il n'y a pas de hiérarchie, pas de représentant du personnel, pas d'instance de régulation, c'est difficile de parler". Mais aussi parce que M. Baupin a, selon elle, "organisé le verrouillage".
Dans un article universitaire paru il y a trois ans, la sociologue Vanessa Jérôme faisait référence à une "sorte de DSK des Verts". Elle explique aussi combien, dans ce parti, "conjugalité et carrière politique s'entremêlent, sur fond de libération sexuelle et de paritarisme". Et insiste encore: "les rumeurs de harcèlement sexuel sur les salariés du siège du parti ou sur les +petites mains+ des groupes d'élu(e)(s) sont parfois abordées avec une relative légèreté".
"On n'a pas accepté. Oui, on a entendu parler... C'est très compliqué. Comment vous enquêtez? Comment vous faites parler les femmes ?", se justifie Cécile Duflot. Mais au-delà, elle souligne que si EELV est dans l'oeil du cyclone, ce n'est pas non plus "un hasard" si la libération de la parole a émané précisément de ce parti. "C'est au sein du parti écologiste que ça a pu bouger, parce qu'il y a cette culture de la parité, du respect des femmes", a également relevé la député socialiste Aurélie Filippetti.
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