Elysée-Matignon : Jean Castex et les grandes figures de la République Gaullienne

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Alain Tranchant pour FranceSoir
Publié le 22 août 2020 - 12:56
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Jean Casteix a le choix
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FranceSoir
Elysée-Matignon : Jean Castex et les grandes figures de la République Gaullienne
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Président de la République, Nicolas Sarkozy avait provoqué un véritable tollé en affirmant il y a bientôt 13 ans, dans une interview au quotidien Sud Ouest :

"Le Premier Ministre est un collaborateur, le patron c'est moi".

Tout juste nommé à l'Hôtel Matignon, Jean Castex s'est empressé de récuser cette définition des rôles entre l'Elysée et Matignon en déclarant :

"Vous verrez que ma personnalité est difficilement soluble dans le terme de collaborateur".

Et pourtant, c'est bien ainsi qu'est considéré le Premier Ministre au temps de la République gaullienne. Nommé par le Président de la République, le Premier Ministre se trouve vis à vis de lui dans une situation de "subordination fondamentale".

 

De 1959 à 1962, Michel Debré inaugure la fonction de Premier Ministre de la nouvelle République.

Dans sa "Lettre ouverte sur la reconquête de la France", parue en novembre 1980, il évoque sa "vie éclairée par un long travail en commun avec le Général de Gaulle (...). En des années cruciales, je fus son premier collaborateur", écrit-il.

Dans ses Mémoires, Michel Debré présente le Premier Ministre comme l'homme du Président : "Le Premier Ministre, pour bien commander son gouvernement, devra disposer à la fois de la confiance du Président et de celle de l'Assemblée. Si leur légitimité est issue de la même majorité, le Premier Ministre sera normalement l'homme du Président".

A ses yeux, "le Premier Ministre n'est pas seulement le second du Président. Il est une pierre essentielle du bon fonctionnement du régime. Il est la cheville institutionnelle qui permet à la République de connaître un régime parlementaire digne de ce nom".

 

En avril 1962, Georges Pompidou succède à Michel Debré. Alors qu'il vient de quitter l'Hôtel Matignon, en juillet 1968, il rédige une "Note sur les fonctions de Premier Ministre", révélée en octobre 2012 dans l'ouvrage préfacé par Eric Roussel "Georges Pompidou - Lettres, notes et portraits 1928 - 1974".

Après plus de six années passées à l'Hôtel Matignon, Georges Pompidou relativise le rôle du chef du Gouvernement : "Dans la Vème République, le Premier Ministre ne porte pas les responsabilités suprêmes. Celles-ci appartiennent au chef de l'Etat. A lui les impulsions fondamentales, les choix principaux, les arbitrages ultimes. Le Premier Ministre partage assurément les responsabilités dès lors qu'il accepte d'appliquer une politique. Mais il est essentiel qu'il se rappelle que ce n'est pas lui qui décide en dernier ressort. Il y a là, pour le Premier Ministre, une limite à ses pouvoirs, mais aussi une source de tranquillité morale, surtout quand le Président de la République est le Général de Gaulle".

Être le "collaborateur" du Chef de l'Etat ne choque pas Georges Pompidou. Il le revendique même. Intervenant lors d'un colloque sur "De Gaulle et ses Premiers Ministres", Bernard Tricot, Secrétaire Général de la présidence de la République de 1967 à 1969, évoque sa prise de fonctions à l'Elysée. Alors qu'il assiste à la cérémonie, Georges Pompidou, Premier Ministre en exercice, lance à Bernard Tricot : "N'oubliez pas que le premier collaborateur du Général, c'est moi !"

Dans son livre posthume, "Le noeud gordien", paru en 1974, Georges Pompidou définissait déjà très nettement sa conception de la fonction de Premier Ministre : "Comme l'indique son nom, il n'est que le premier des ministres", et son rôle comme sa responsabilité vis à vis de l'Assemblée Nationale ne peuvent effacer la "subordination fondamentale" dans laquelle il se trouve vis à vis du Chef de l'Etat "investi directement de la confiance de la nation".

 

En 1967, André Malraux décrit l'exercice du pouvoir selon De Gaulle dans ses Antimémoires, et on y trouve curieusement cette même qualification de "collaborateur" : "S'il n'a jamais tenu la France pour une caserne ou une armée, il a tenu les commissaires du Gouvernement Provisoire, puis les ministres, pour un état-major - et surtout, plus tard, son collaborateur direct, qu'on l'appelât directeur de son cabinet ou premier ministre, pour un chef d'état-major général".

On ne saurait évidemment évoquer ces deux fonctions de Président de la République et de Premier Ministre sans se référer à la pensée du fondateur de la Vème République. A de multiples reprises au cours de ses onze années de pouvoir, ensuite dans ses Mémoires, le Général de Gaulle s'est exprimé au sujet des institutions, en particulier sur la dualité Président de la République - Premier Ministre.

Dans sa conférence de presse du 31 janvier 1964, demeurée célèbre pour tous les constitutionnalistes, le Général de Gaulle affirme qu'"il ne saurait y avoir de séparation étanche entre les deux plans, dans lesquels, d'une part le Président, d'autre part celui qui le seconde, exercent quotidiennement leurs attributions. D'ailleurs, les Conseils ou entretiens sont là pour permettre au Chef de l'Etat de définir à mesure l'orientation de la politique nationale et aux membres du Gouvernement, à commencer par le Premier, de faire connaître leurs points de vue, de préciser leur action, de rendre compte de l'exécution".

De manière étonnante, De Gaulle dit "le Premier", pas "le Premier Ministre", à propos de "celui qui le seconde". Comme Georges Pompidou disait que le Premier Ministre, "comme l'indique son nom, n'est que le premier des ministres".

Le 9 septembre 1968, toujours à l'occasion d'une conférence de presse, le Général de Gaulle est amené à évoquer le partage des rôles dans le gouvernement de la France : "Le Premier Ministre (...) vit, sans trêve, ni ménagement, dans ce qu'on nomme la politique, c'est-à-dire dans l'immédiat, pour y traduire en actions du moment les directives d'ensemble données par le Président". Et il ajoute de la manière la plus claire qui soit : "C'est au Président qu'il appartient de fixer les objectifs, la direction et le rythme".

De Gaulle explicite sa pensée dans ses "Mémoires d'espoir", lorsqu'il dessine le portrait de Michel Debré : "Il faut que le Premier Ministre affirme sa personnalité (...) tant dans la conception à laquelle il participe que dans la préparation qu'il organise et dans l'exécution qu'il dirige".

 

S'il "participe" à la "conception" de la politique de la France, le Premier Ministre ne saurait donc se substituer au Président de la République pour définir les grandes orientations du pouvoir. On trouve ici l'origine du divorce entre Georges Pompidou et Jacques Chaban-Delmas à propos de la "nouvelle société".

Quand il évoque le référendum de 1962 introduisant dans nos institutions l'élection du Président de la République au suffrage universel, afin que ses successeurs "soient entièrement en mesure et complètement obligés de porter la charge suprême, quel que puisse être son poids", le Général écrit sans aucune ambiguïté que "pour ce qui est du Gouvernement (...) le Chef de l'Etat (...) a choisi le Premier d'entre eux de manière qu'il soit son second".

Pour De Gaulle, point de doute : il ne saurait y avoir de dyarchie au sommet de l'Etat. Aussi l'Exécutif comporte -t-il "après le Président voué à ce qui est essentiel et permanent, un Premier Ministre aux prises avec les contingences".

 

S'il est vrai que l'article 20 de la Constitution de 1958 indique que "le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation", il l'est tout autant que les Conseils des Ministres se tiennent au Palais de l'Elysée sous la présidence du Chef de l'Etat, et non à l'Hôtel Matignon sous la direction du Premier Ministre.

 

Dans ses "Mémoires d'espoir", le fondateur de la Vème République présente l'exégèse de cet article 20, souvent mis en avant pour contester les attributions du Président de la République : "Certes, il existe un Gouvernement qui "détermine la politique de la nation". Mais tout le monde sait et attend qu'il procède de mon choix et n'agisse que moyennant ma confiance". Et, s'agissant du Premier Ministre, s'il a, "avec ses collègues à déterminer et conduire la politique", il n'en demeure pas moins que "ne procédant que du Président dont le rôle est capital", il "ne pourra évidemment agir sur de graves sujets que d'après ses directives".

En donnant au Président de la République le pouvoir de nommer le Premier Ministre, étendu dans la pratique à celui de le changer (et le Général de Gaulle avait indiqué à Alain Peyrefitte son souhait d'une "retouche" de la Constitution, parce qu'"il faut que le Président de la République puisse mettre fin aux fonctions du Premier Ministre"), en attribuant au Chef de l'Etat le droit de recourir au référendum et la faculté de prononcer la dissolution de l'Assemblée Nationale, la Constitution en a fait, dès 1958, l'incontestable clé de voûte de nos institutions.

L'élection du Président de la République au suffrage universel, issue de la révision constitutionnelle de 1962, n'a fait que consacrer et renforcer la prééminence du Chef de l'Etat dans la conduite des affaires du pays. On ne convie pas 46 millions d'électrices et d'électeurs aux urnes pour confiner le Président de la République à "l'inauguration des chrysanthèmes"...

Le Président de la République est élu par le peuple français. Le Premier Ministre est nommé par le Chef de l'Etat. La différence est considérable. "Premier collaborateur", "homme du Président", "premier des Ministres", "collaborateur direct", "second du Président", M. Castex a le choix de la formule qui lui convient le mieux ! Mais il est clair qu'il ne peut agir que "moyennant la confiance" du Président Macron et "d'après ses directives". C'est une question de principe, non de personnalité, et le fait que la Vème République ait dépassé les six décennies d'existence n'y change rien.

 

Alain Tranchant, aujourd’hui libre de tout engagement politique, a combattu le retour de la représentation proportionnelle en fondant l'Association pour un référendum sur la loi électorale en 1985. Il est aussi ancien Délégué départemental de mouvements gaullistes dans les années 70.  Fidèle à ses convictions, il demeure un observateur attentif de la vie politique de notre pays.

 

 

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