Laïcité à l'école : le port de plus en plus fréquent des "abayas" fait débat
DÉPÊCHE — Dans les établissements scolaires publics en France, si les jeunes femmes musulmanes se dévoilent, elles portent de plus en plus fréquemment l'abaya. Une manière plus ou moins discrète de revendiquer leur appartenance religieuse, face à des responsables d'éducation gênés et désemparés que l'État n'aide pas.
Les abayas sont des longues robes amples, souvent portées par les femmes musulmanes en plus de leur voile. Puisqu'elle est facilement identifiable, la théorie voudrait qu'elle soit interdite à l'école, en vertu de la loi du 15 mars 2004 y interdisant le port de vêtements ou de signes religieux. Cela étant, cette loi n'établit aucune liste et laisse donc la place aux interprétations. Aussi, le printemps 2023 a connu une forte hausse des atteintes à la laïcité à l'école — entre 400 et 600 signalements par mois, notamment due au port de cette robe. Bon gré mal gré, les professeurs la tolèrent.
Une tension palpable
Des journalistes de BFM TV ont réalisé un reportage sur le sujet à Lyon, où ils ont pu comptabiliser jusqu'à 170 "abayas" dans seulement deux établissements. Là, les jeunes femmes interrogées ne s'en cachent pas, au contraire : "Il y a quelques profs qui nous regardent mal, mais il n'y en a aucun qui a osé parler."
De l'autre côté, les professeurs sont mal à l'aise avec la question. BFM TV déplore "qu'aucun d'entre eux n'a bien voulu témoigner face caméra". Anonymement, l'un des enseignants assure toutefois que "la mixité au sein du lycée est de plus en plus compliquée" à observer. Et d'ajouter : "Il arrive que certaines élèves fassent des remarques à des enseignantes, surtout l'été, lorsque les bras sont découverts."
Cheffe d'établissement à Paris et membre de l'Observatoire de la laïcité du SNPDEN-UNSA, Carole Zerbib explique leur façon de procéder : "Nous devons entamer un dialogue avec l'élève et éventuellement avec sa famille, en lui expliquant la loi de 2004 et en lui montrant que sa tenue est une tenue religieuse". Un protocole qu'elle explique ne pas appliquer avec la kippa ou la croix catholique, qui seraient des signes religieux plus évidents.
Matthieu Croissandeau, éditorialiste chez BFM TV, s'interroge alors : "N'est-ce pas une formidable hypocrisie" de la part du corps enseignant ? En tout cas, cette volonté vaut aux professeurs d'être presque systématiquement débordés par le nombre. Certains en appellent alors à l'État.
L'État refuse la responsabilité
Le gouvernement, à qui veut bien l'écouter, dira la plupart du temps qu'il faut effectivement interdire le port de l'abaya. Sonia Backès, secrétaire d'État chargée de la Citoyenneté, déclarait en octobre dernier qu'elles étaient "bien sûr des marqueurs religieux", tombant donc sous le coup de la loi. Yaël Braun-Pivet, présidente de l'Assemblée nationale, a déclaré ce mercredi 7 juin que le port de l'abaya à l'école est "inacceptable" et ne "doit en aucun cas être toléré".
Mais le ministre de l'Éducation Pap N'diaye, quant à lui, botte en touche. En novembre dernier, quand on lui avait demandé de dresser une liste claire des signes et vêtements interdits par la loi, pour en faciliter l'application, il s'est défaussé en expliquant que ce serait "s'aventurer sur un terrain extrêmement complexe". Mardi 6 juin, il réunissait les recteurs d'établissements pour aborder le sujet de la laïcité, mais aussi pour leur demander de la "fermeté". Selon lui, c'est à eux de gérer cette question épineuse.
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