Le projet de loi numérique, un texte foisonnant qui suscite la méfiance
Cyberharcèlement, arnaques sur internet, propos haineux, accessibilité des sites pornographiques aux mineurs... autant de maux contre lesquels le projet de loi visant à sécuriser l'espace numérique (SREN) entend lutter dans une démarche a priori consensuelle, mais qui suscite l'inquiétude des oppositions pour les libertés publiques.
Le projet de loi arrive mercredi dans l'hémicycle de l'Assemblée après avoir été adopté au Sénat le 5 juillet.
Prenant appui sur les règlements européens sur les services numériques et les marchés numériques (DSA et DMA), il se propose de réguler le "far west" d'Internet, comme le dit le rapporteur général du texte, le député Paul Midy (Renaissance).
Pour ce faire, expose M. Midy, le projet de loi, dans la lignée du DSA, "donne des devoirs de modération aux grandes plateformes de réseaux sociaux beaucoup plus importants qu'aujourd'hui" ; il crée une "peine de bannissement des réseaux sociaux" pour les cyberharceleurs et propose d'instaurer des "amendes" pour les auteurs de discours haineux ; il donne la possibilité à une autorité administrative de bloquer les sites pornographiques n'empêchant pas les mineurs d'accéder à leur contenu.
Le texte propose aussi de réglementer le "cloud" pour permettre davantage de concurrence parmi les fournisseurs d'infrastructure et de services informatiques, ou d'encadrer le lancement à titre expérimental de "Jeux à objets numériques monétisables" (Jonum), un mix entre jeux d'argent et de hasard d'un côté et jeux vidéo de l'autre.
Il pourrait également accueillir des éléments du plan de lutte contre le harcèlement scolaire (confiscation du téléphone portable, bannissement des réseaux dans le cadre d'un contrôle judiciaire).
Généralisation de "l'identité numérique"
Si tous les députés partagent les objectifs du texte, certains s'inquiètent que les contrôles mis en place n'aboutissent à une restriction des libertés individuelles — dans un écho pas si lointain à la loi Avia contre les contenus haineux sur Internet, dont nombre de dispositions ont été censurées par le Conseil constitutionnel.
D'autant que la majorité est partie à l'offensive sur la question de l'anonymat sur Internet, ajoutant en commission à l'Assemblée la semaine dernière un article qui prévoit la généralisation à l'horizon 2030 de l'affectation à chaque internaute d'une "identité numérique".
Contre l'avis du gouvernement, Paul Midy et "près de 200 députés" de Renaissance, du MoDem et d'Horizons, veulent aller plus loin et demandent dans des amendements qu'à partir de 2027 "toute création de nouveau compte" sur un réseau social fasse l'objet d'une "procédure de certification" de l'identité numérique de l'utilisateur.
Une "ligne rouge" pour le député PS Hervé Saulignac. "Si jamais c’est voté, on ne vote pas le texte", qu'il juge par ailleurs "beaucoup plus prudent" que la loi Avia.
Le député RN Aurélien Lopez-Liguori pointe une "logique liberticide", s'inquiétant qu'à l'avenir il faille prouver son "identité numérique" pour ouvrir une boîte mail.
Tandis qu'à l'autre extrémité du spectre, Ségolène Amiot (LFI) dénonce la mise en place d'un "passeport numérique" qu'il faudra peut-être un jour "montrer systématiquement pour circuler sur internet". En outre, "on retire aux juges leur compétence pour censurer certains contenus", pour l'attribuer à Pharos (la plate-forme de ministère de l'Intérieur). "On trouve ça glissant comme pente", dit-elle.
Même au sein de la majorité, des voix divergentes s'élèvent, comme celle du député MoDem Philippe Latombe, pour qui M. Midy "cherche à exister médiatiquement", avec des propositions "juridiquement pas fondées".
Ce n'est pas la seule réserve que suscite ce texte "polymorphe", selon le mot de Mme Amiot. Plusieurs députés se montrent ainsi très critiques vis-à-vis des articles concernant les "Jonum" qui vont bénéficier selon les représentants du secteur des casinos d'un "cadre de régulation très léger".
Les critiques pleuvent également sur les dispositions concernant les sites pornographiques, certains députés se mettant à l'unisson des associations de protection de l'enfance pour juger peu opérant le cadre légal prévu: les sites X devront se conformer à un "référentiel" défini par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).
Ces associations craignent que les sites X ne multiplient les recours contre le référentiel technique. Puis que, disposant d'équipes techniques avancées, ils trouvent des failles rendant ce référentiel obsolète.
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