Narcotrafic : Dupond-Moretti "assume" son recadrage de magistrats malgré les critiques
Il "ne retire rien". Une semaine après avoir recadré des magistrats marseillais dont les propos devant des parlementaires sur la lutte contre le trafic de drogue lui avaient déplu, Eric Dupond-Moretti "assume" malgré la multiplication des critiques.
Rapporteur de la commission sénatoriale d'enquête sur la lutte contre le trafic de drogues, le sénateur LR Etienne Blanc lui a demandé directement lors des questions au gouvernement au Sénat mercredi après-midi. Le garde des Sceaux peut-il "confirmer" qu'en marge du déplacement anti-drogues à Marseille mardi dernier, il a "convoqué" des magistrats entendus par la commission, pour leur reprocher ce qu'ils y avaient dit ?
Des magistrats présents à cette réunion avec Eric Dupond-Moretti ont raconté au Figaro s'être "pris une soufflante".
Le ministre était notamment furieux que la juge d'instruction du pôle criminalité du tribunal, Isabelle Couderc, ait déclaré devant la commission craindre "que nous soyons en train de perdre la guerre contre les trafiquants à Marseille".
"J'ai dit que lorsque l'on exprimait l'idée qu'une guerre était perdue, on la perdait. Oui, c'est une réalité", a confirmé au Sénat le ministre, qui sera lui entendu par la commission le 9 avril. "Je l'assume totalement".
Selon les magistrats sur place, Eric Dupond-Moretti les avait également accusés d'avoir par leurs propos "fait le jeu de l'extrême droite".
Les magistrats "sont libres de leur parole", a maintenu le garde des Sceaux lors de l'échange houleux au Sénat. "Mais le ministre l'est aussi dans son expression (...) je ne retire rien des propos que j'ai tenus".
En réponse, le sénateur Blanc l'a accusé de violer "délibérément la séparation des pouvoirs", d'avoir fait de "la subordination de témoins", reprochant au ministre d'avoir "voulu instrumentaliser des magistrats alors que la commission d'enquête est en cours".
- Grand déballage -
De nombreux magistrats se sont émus du recadrage du ministre, et le Conseil supérieur de la magistrature (CSM, l'organe constitutionnellement chargé de protéger l'indépendance de la justice) doit recevoir prochainement les chefs de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et du tribunal judiciaire de Marseille pour se faire clarifier ce qu'il s'est passé.
Entendu par la fameuse commission sénatoriale mercredi, l'ex-procureur général de la Cour de cassation François Molins a voulu commenter en disant toute son "admiration pour ces magistrats", qui "vous ont dit la vérité avec une grande lucidité dans le combat qu'ils mènent au quotidien".
Puis le haut-magistrat - qui a toujours eu des relations exécrables avec le ministre - , a exprimé son "incompréhension majeure devant le comportement du garde des Sceaux à Marseille, face à cette remontée de bretelles", aux "antipodes de l'office d'un garde des Sceaux qui est censé soutenir la justice, défendre son indépendance".
L'attitude du ministre est "inadmissible", estime Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche). "Ce qui est particulièrement choquant c'est qu'il recadre des magistrats pour des propos tenus devant une commission parlementaire", dans un "cadre précis", où "ils prêtent serment, et viennent pour témoigner d'une situation".
Elle a dénoncé la multiplication de "petites pierres" déposées au fil du temps par le ministre "pour museler la parole des magistrats". "Bientôt ils n'oseront plus prendre la parole du tout".
Le procès du garde de Sceaux, relaxé en novembre après avoir été accusé en 2020 d'user de ses fonctions pour régler des comptes avec des magistrats, avait été l'occasion d'un grand déballage sur les relations houleuses qu'entretient le ministre avec "ses" magistrats.
A plusieurs reprises ces dernières années, il s'est permis de dire frontalement ce qu'il pensait à des chefs de tribunaux ou de cours, en dépit des usages habituels.
Après des années compliquées et un retour "à la normale" post-procès, la magistrature pourrait ne pas vouloir "rallumer un nouveau feu" avec son ministre, estime cependant un magistrat.
L'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) reste pour l'heure prudente. "Le CSM est chargé de l'indépendance des magistrats, il s'est saisi de la situation, j'attends avec intérêt de voir ce qu'il dira", déclare son président Ludovic Friat.
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