Une police malade : Alexandre Langlois dénonce "un dévoiement de la vocation policière"
Alexandre Langlois, policier déçu, et nouveau candidat à la prochaine élection présidentielle, a accepté de développer pour France Soir les raisons l’ayant conduit à décider de quitter une institution, qu’il a pourtant choisie avec un indéniable idéalisme. Il ne mâche pas ses mots, ne montre pas l’once d’un talent pour la langue de bois, et on peut imaginer sans peine qu’il soit devenu un caillou dans la chaussure du ministère de l’Intérieur. C’est un réquisitoire virulent qu’il livre contre l’organisation de l’institution et certains de ses cadres.
Comme la plupart des policiers, c’est par vocation qu’Alexandre Langlois décide d’intégrer la police en 2005. Pour servir l’intérêt général et protéger ses concitoyens, en leur garantissant une jouissance paisible de leurs libertés fondamentales.
Il déchante rapidement, se lance dans un combat syndical et finit secrétaire général de VIGI. Au fil des années, il critique avec virulence l’organisation d’une institution qui est, d’après lui, victime de dérives bureaucratiques et politiciennes dont les ultimes conséquences sont la relégation au second plan de sa vocation initiale, et un manque de respect de plus en plus flagrant pour les fonctionnaires de terrain qui la servent et les citoyens qu’elle est censée servir.
En 2020, il décide de jeter l’éponge, et demande une rupture conventionnelle dans une lettre fracassante au ministère de l’Intérieur, où il déclare notamment :
« Je quitte la Police nationale pour les mêmes raisons que j’y suis entré : la défense des libertés individuelles et de l'intérêt général ».
Une demande de rupture conventionnelle refusée par sa hiérarchie, qui choisit de le révoquer pour manquement aux devoirs « de réserve et de loyauté », suite à un tract critiquant violemment le bilan de l’ex directeur général de la police nationale, Eric Morvan. Quelques remarques acerbes concernant l’ancien ministre de l’Intérieur ne sont pas étrangères non plus à cette sanction, inédite pour un représentant syndical, et imposée par la hiérarchie alors même qu’un conseil de discipline préalablement convoqué l’a refusée. La révocation du policier est d’ailleurs suspendue, le 16 avril 2021, par le tribunal administratif qui émet « un doute sérieux quant à la légalité de la sanction », au motif notamment que sa sévérité apparaît « disproportionnée ».
Le fait est que révoquer un policier syndicaliste, au simple motif qu’il a critiqué de hautes hiérarchies de l’institution, peut apparaître exagéré, voire inquiétant pour la liberté d’expression syndicale, et ce, même si le policier syndicaliste est capable d’une virulence s’encombrant peu de ménager ses hautes instances.
La préoccupation première d’Alexandre Langlois est un dévoiement de la vocation de la police. L’immense majorité des policiers embrasse cette carrière pour servir les gens et l’intérêt général, mais d’après lui, une fracture se creuse entre ces hautes aspirations et les décisions politiques.
Selon lui, une des racines du mal se révèle dans la réforme du code de déontologie de la police nationale en 2014. Le premier code de déontologie, de 1986, définissait les policiers comme étant les gardiens des libertés individuelles et des institutions de la République. En 2014, ils deviennent les gardiens des lois et les défenseurs des institutions et des intérêts nationaux.
Or, « les mots ont un sens et sont importants, explique le policier, défendre les libertés et défendre les lois, c’est très différent. C’est une réforme politique. Tous les régimes ont des lois. Il faut se rappeler de la mise en garde de Nicolas de Chamfort "il est plus facile de légaliser certaines choses que de les légitimer". Quand on précise que la fonction de la police est aussi de défendre les intérêts nationaux sans définir ce que sont ces intérêts nationaux, ça permet de réprimer les gens au motif que ce qu’ils réclament est contraire aux intérêts nationaux. C’est une catastrophe pour les policiers, mais aussi pour les libertés individuelles. On a vu le retour des nasses, des répressions inédites des manifestations. Cela avait commencé avec les répressions lors de la manif pour tous en 2013, mais après la réforme, c’est allé crescendo, avec les manifs des écologistes, celles contre la loi travail, celles les gilets jaunes, ... »
Un exemple lui vient immédiatement à l’esprit : les affrontements entre les policiers et les pompiers venus manifester devant l’assemblée nationale en 2019. « Qu’on nous ordonne de gazer les pompiers et d’utiliser les canons à eau contre eux a été un choc. Je connais une collègue qui s’est mise en dispo le lendemain. « Je ne peux pas cautionner ça » m’a-t-elle dit ».
Dans le même temps, les policiers sont encore plus réduits au silence. « Ils ont repris un article du code de la fonction publique en vigueur sous le régime de Vichy qui interdisait à tous les fonctionnaires de critiquer leurs institutions, reprend le policier. Le nouveau code de déontologie dispose que "chaque policier doit veiller au renom de la police nationale y compris dans sa vie privée". Cela signifie qu’une opinion privée devient blâmable. Nous devenons des sous-citoyens. Pourtant, tous les syndicats ont signé ce texte à l’exception d’Alliance. »
Et de donner l’exemple de la mise à la retraite d’office du commandant Pichon, un policier de valeur qui put s’enorgueillir du titre de plus jeune commandant de France, mais qui fut victime de son idéalisme et de son désir d’améliorer l’institution en en pointant les faiblesses. Non seulement le policier s’était fait remarquer pour avoir dénoncé des traitements de faveurs dont certaines personnalités pouvaient bénéficier, mais il avait aussi voulu démontrer les dangers de la mauvaise gestion du fichier STIC (Système de Traitement des Infractions Constatées), en rendant publiques des fiches absurdes et obsolètes concernant des personnalités connues du show business. Si les artistes concernés avaient parfaitement compris sa démarche et ne s’en étaient pas plaints, il n’en avait pas été de même avec sa hiérarchie, qui l’avait sanctionné par une mise à la retraite d’office. Une sanction remise en cause par la justice pénale qui avait estimé que, certes, le policier méritait une peine symbolique pour avoir consulté et divulgué ces fiches, mais que pour autant, rien de justifiait une « peine complémentaire quelconque d’interdiction professionnelle ». En effet, le juge pénal relevait que le commandant avait d’abord tenté d’alerter, en vain, sa hiérarchie sur les faiblesses du fichier, et que les révélations dont il s’était ensuite rendu coupable prenaient racine dans « ses convictions d’intérêt public ». Pour autant, quelques curiosités dans les procédures administratives plus tard, et une intervention du ministre de l’Intérieur de l’époque, Manuel Valls, la sanction avait été confirmée par la justice administrative. Précisons que pourtant, la CNIL elle-même s’est inquiétée des dérives et éventuels dangers du fichier STIC, et que sa légalité a même fait l’objet d’interrogations de la part du juge administratif.
Le devoir de « protection du renom de la police nationale » serait-il un prétexte pour légaliser une autre mise en garde de Nicolas de Chamfort « En France, on laisse en repos ceux qui mettent le feu, et on persécute ceux qui sonnent le tocsin » ?
Pour Alexandre Langlois, l’institution policière sanctionne, mais pas n’importe qui, et pas toujours comme il le faudrait. Une autre citation littéraire résume assez bien sa piètre opinion du contrôle professionnel des policiers, et des éventuelles sanctions disciplinaires qui en découlent, une morale de Jean de la Fontaine :
« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir »
Il donne deux anecdotes, deux poids deux mesures :
- Un policier cuisinier emmène des steaks périmés pour nourrir son chien. Il est menacé de révocation pour vol avant de finir par écoper, suite à un parcours pénible, de quinze jours de suspension.
- Un directeur adjoint de la police détourne de l’argent parce qu’il a des difficultés à payer les traites de son château en province. Il explique qu’il avait l’intention de rembourser, le fait et le vol devient un emprunt. Il est mis au placard pendant deux ans, puis revient dans un poste actif, avec le logement de fonction qu’il a exigé.
Il dénonce aussi la politique des chiffres mise en place sous Nicolas Sarkozy, et la prévalence des statistiques qui en a découlé. « Il ne faut pas que les statistiques de la délinquance augmentent. Alors, on requalifie les délits en contraventions. Une tentative de vol avec effraction (ce qui est un délit) est requalifiée dans des rapports de police de « dégradations volontaires » (ce qui relève de la contravention). Alors, la victime n’a pas son compte, les chiffres de la délinquance chutent, et le chef de service a sa promotion ou sa prime. Or, les primes pour les cadres peuvent être très élevées si les « objectifs » sont remplis, de 20 000 à 160 000 euros selon le rang. Et ça permet un redéploiement des forces de police qui est décidé en fonction des chiffres de la délinquance. Moins de délinquance = moins de policiers. À force d’avoir moins de délinquance, on va finir par avoir des statistiques négatives… Avec le syndicat VIGI, nous avions dénoncé une falsification des chiffres qui induit des faux en écritures publiques, mais aussi une escroquerie en bande organisée puisque des primes sont perçues pour rémunérer la réussite d’un travail qui est fictive.
Au nom des chiffres aussi, on nous demande de laisser cibler des délinquants au profit d’autres. On nous dit qu’il y a un quota important de personnes d’Afrique du Nord arrêtées et qu’il faut dorénavant cibler les gens des pays de l’est, et uniquement des gens des pays de l’est. Voilà comment on gère la police…
"La profession s’est déshumanisée. Ils ont des chiffres froids et tout ce qui les intéresse, c’est que ça coûte moins cher. La réalité est dans un tableau Excel."
Alexandre Langlois accuse aussi les grands syndicats de « ne pas jouer le jeu », et de succomber trop souvent aux sirènes du pouvoir et des collusions avec les puissants, de la chasse aux adhérents, au détriment de la défense des intérêts de tous les policiers.
Voir aussi : Alexandre Langlois au Défi de la vérité : refondation 2022 ?
Sans plus personne, ou presque, pour se soucier d’eux et défendre leurs intérêts, les policiers de terrains se retrouvent souvent dans la situation terrible de ravaler les idéaux à l’origine de leur vocation, ou de protester dans une machine à broyer, qui applique les lois quand ça l’arrange…
Cet article fait partie d'un dossier sur la police nationale.
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