Des livres aux plantes, ce qui est modifié pour protéger les sensibilités

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Axel Messaire, pour France-Soir
Publié le 01 août 2024 - 10:04
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Jose Alberto Gutierrez au milieu des livres entassés dans sa bibliothèque à son domicile de Bogota l
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© GUILLERMO LEGARIA / AFP
Jose Alberto Gutierrez au milieu des livres entassés dans sa bibliothèque à son domicile de Bogota le 18 mai 2017.
© GUILLERMO LEGARIA / AFP

Après que l’édition anglophone s’est attaquée aux bouquins pouvant porter atteinte à la sensibilité des lecteurs au moyen des « sensitivity readers », voilà que des botanistes du monde entier changent le nom des plantes quand ils sont racistes. Ainsi, plus de 200 espèces de plantes, champignons et algues seront renommées à partir de 2026.

Cela ne va probablement pas changer la face du monde, mais c’est l’intention qui compte. D’ici à deux ans, Erythrina Caffra sera rebaptisée Erythrina Affra, Protea Caffra deviendra Protea Affra, et Dovyalis Caffra... Dovyalis Affra.

Les botaniques s’attaquent aux mauvaises herbes

Comme l’explique Le Parisien, et comme vous l’aurez deviné, le problème vient du mot « Caffra », un terme péjoratif d’une autre époque, utilisé à l’envi pendant la période de l’apartheid en Afrique du Sud pour désigner les Noirs. L’idée des 351 botanistes qui ont voté en faveur du changement de nom lors du 20e Congrès international de botanique à Madrid est de conserver l’origine africaine du nom, en retirant l’aspect péjoratif et raciste de ce dernier.

Gideon Smith, de l’université Nelson Mandela (Afrique du Sud), s’est réjoui de cette nouvelle : « Nous sommes satisfaits de la suppression d’une insulte raciste des noms scientifiques des plantes, des algues et des champignons. Et nous sommes contents de voir que plus de 60 % de la communauté botanique mondiale s’est exprimée en faveur de notre proposition ». 205 botanistes ont voté contre cette proposition, notamment parce que « cela pourrait potentiellement causer beaucoup de confusion et de problèmes dans de nombreux domaines autres que la botanique », selon Alina Freire-Fierro, botaniste à l’université technique de Cotopaxi, en Équateur.

Un débat similaire s’est immiscé dans le monde de l’édition depuis quelques années, notamment à cause de certains passages de livres jugés offensants. Alors, cependant que la botanique prévoit de créer une commission spéciale chargée de choisir soigneusement les nouveaux noms de plantes à partir de 2026, l’édition anglophone s’est déjà faite forte d’un bataillon de « sensitivity readers » (en français, ça donnerait « relecteurs sensibles » ou « relecteurs en sensibilités », c’est moyen).

L’édition s’attaque aux gros mots

« Censure ou progrès ? », « révisionnisme littéraire ou gommage des stéréotypes négatifs ? », « Conseillers culturels ou censeurs littéraires ? », interrogeaient les journaux français en 2023, quand l’actualité liée aux « sensitivity readers » a explosé dans l’Hexagone.

Populaires dans les pays anglophones, ces « lecteurs-censeurs » (selon Le Figaro) s’immiscent en France avec beaucoup plus de difficultés.

En fin d’année dernière, une polémique avait explosé au moment de l’attribution du prix Goncourt – qui a sacré Jean-Baptiste Andrea. En lice, le Québecois Kévin Lambert se félicitait d’avoir eu recours à une « sensitivity reader » pour travailler son manuscrit Que notre joie demeure. Ce qu’il lui avait valu une petite confrontation avec Nicolas Mathieu, auteur de Leurs enfants après eux et lauréat du Goncourt de 2018. Selon lui, le recours à ces relecteurs 2.0 est une « manière de faire primer en amont des enjeux de progrès social sur des libertés d’expression qui sont des conquêtes, et que nous devons préserver à tout prix ». Et d’ajouter que cela traduit aussi un « mépris pour le lecteur », considérant que ce dernier n’a pas besoin d’être protégé et infantilisé de la sorte en filtrant les mauvais mots des manuscrits. Comme l’a rapporté Les Inrockuptibles, Nicolas Mathieu concluait sa critique ainsi : « Je comprends l’ambition progressiste de ceux qui veulent organiser les discours afin de promouvoir l’avènement d’un monde meilleur. Mais je crois que la littérature doit veiller à sa liberté, par principe. Elle n’est pas l’outil du progrès, elle n’a pas à faire allégeance au militantisme, à l’idéologie ou à des fins politiques, fussent-elles les plus louables. »

Et ces relectures ne valent pas que pour les nouvelles sorties. En Grande-Bretagne, les maisons d’édition ont déjà sabré les textes de grands classiques tels que le Club des cinq d’Enid Blyton, les Dix petits nègres d’Agatha Christie – renommé Ils étaient dix en français –, ou encore Charlie et la chocolaterie de Roald Dahl. Pour le moment, les maisons d’édition française font de la résistance. En février 2023, interrogée par Le Parisien, Gallimard Jeunesse assurait n’avoir « jamais modifié les textes de Roald Dahl », ajoutant que « ce n’est pas en projet ».

Reste à savoir si le militantisme des plus « sensibles » aura raison de la liberté d’expression, ou si l’esprit critique des lecteurs saura refuser une surprotection réductrice. Et comme l’ont montré les botanistes, cette question ne vaut pas que pour la littérature.

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