Nord Stream : une nouvelle guerre froide entre Moscou et Washington ?

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FranceSoir
Publié le 03 octobre 2022 - 19:15
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Les Gazoducs Nord Stream
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Handout / DANISH DEFENCE / AFP
La Russie a réuni un conseil de Sécurité d'urgence des Nations Unies ce vendredi 30 septembre.
Handout / DANISH DEFENCE / AFP

Objets de bras de fer géopolitiques ces derniers mois, les deux gazoducs Nord Stream 1 et 2, exploités par un consortium dépendant du géant russe Gazprom, ont été tous deux subitement touchés par des fuites spectaculaires inexpliquées, relevées les 26 et 27 septembre dernier en mer Baltique par les autorités danoises et suédoises. Les deux pays nordiques ont constaté une quatrième fuite au-dessus des gazoducs Nord Stream, le 29 septembre, visés par des explosions suspectes. Derrière les faits inexpliqués, l’enjeu est géopolitique : les gazoducs représentent pour la Russie un levier de pression. Si la piste du sabotage est désormais ouvertement assumée, Moscou évoque un acte « terrorisme international », accusant les États-Unis d'être à l'origine des fuites ; ces derniers accusent la Russie de « faire de la désinformation ». Par ailleurs, le tweet d’un ancien ministre polonais et député européen Radek Sikorski a suscité de vives réactions… Ce dernier a remercié les États-Unis suite à l'annonce des évènements liés à ces gazoducs. Enfin, la Russie a demandé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité des Nations Unies ce vendredi 30 septembre.

Des explosions quasi simultanées spectaculaires

Quasi simultanées, les explosions spectaculaires des gazoducs Nord Stream 1 et 2, reliant la Russie à l’Allemagne, ont bouleversé le champ géopolitique mondial. Le premier incident a débuté lundi 26 septembre lorsqu’une « forte baisse de tension » a été constatée sur Nord Stream 2 par les autorités allemandes. Ce conduit a été achevé en septembre 2021, mais n’est jamais entré en service, comme le rapporte La Croix. Le mardi 27 septembre, nouveau rebondissement : le Danemark et la Suède rapportent deux fuites en mer Baltique, cette fois sur Nord Stream 1, effectif depuis 2012 et source d’approvisionnement de gaz conséquente pour l’Europe. 

L’affaire ne s’arrête pas là. Le jeudi 29 septembre, une quatrième fuite a été identifiée en mer Baltique au-dessus des deux gazoducs Nord Stream, a appris l’Agence France Presse auprès des garde-côtes suédois. « Il y a deux fuites côté suédois à proximité l’une de l’autre et deux fuites côté danois », a constaté un responsable de l’autorité suédoise. Un article du Point rapporte les vastes fuites qui « provoquent d'importants bouillonnements marins de plusieurs centaines de mètres de large en surface qui rendent impossible dans l'immédiat des inspections des ouvrages ».

Le bras de fer entre Moscou et Washington

Objet de tous les soupçons après le sabotage présumé des deux gazoducs, la Russie a laissé entendre le 28 septembre que les États-Unis pourraient être à la manœuvre derrière ce sabotage. Moscou a également ouvert une enquête pour « terrorisme international ». Côté américain, Washington mise sur la prudence, refusant de « confirmer » un acte de sabotage, mais le secrétaire d’État Anthony Blinken a toutefois envisagé la possibilité selon laquelle les fuites puissent être « le résultat d’une attaque ou d’une sorte de sabotage ». Et d’ajouter devant la presse : « Si c'est confirmé, ce n'est clairement dans l'intérêt de personne ».

Suite à la déclaration de Joe Biden au début du mois de février 2022, reprise massivement sur les réseaux sociaux, qui affirmait que Washington « mettrait fin » à Nord Stream 2 si la Russie intervenait militairement en Ukraine, la porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova a demandé des réponses au président américain Joe Biden sur l’implication des États-Unis dans le sabotage des gazoducs. Elle a lancé sur Telegram : « Le président américain est obligé de répondre à la question de savoir si les États-Unis ont mis à exécution leur menace ». En effet, le 7 février, le président américain avait assuré que « si la Russie envahit (l'Ukraine), alors il n'y aura plus de Nord Stream 2 ». Interrogé par une journaliste sur la manière dont les États-Unis comptaient s'y prendre, puisque le projet est sous contrôle de l’Allemagne, Joe Biden avait répondu, d'un air mystérieux : « Je vous promets qu’on pourra le faire ».  

Après l'annonce du sabotage des gazoducs, ces propos ont ensuite refait surface puis massivement relayé sur les réseaux sociaux. Au vu de l’actualité, et la porte-parole de la diplomatie russe a insisté : « L'Europe doit connaître la vérité ».

Aux États-Unis, le 27 septembre, le journaliste américain de la chaine Fox News, Tucker Carlson, a également ouvertement fait part de ses soupçons sur la possibilité responsabilité de l'administration Biden dans le sabotage des gazoducs. « Si vous étiez à la place de Vladimir Poutine, vous devriez être un crétin suicidaire pour faire sauter vos propres conduits d'énergie », soulignant que « c'est la seule chose que vous ne feriez jamais », puisque « les gazoducs sont la principale source de votre pouvoir et de votre richesse, mais, surtout, votre levier de pression sur les autres pays », a-t-il martelé.

De son côté, la Maison-Blanche a contesté ces accusations, affirmant qu’il était « ridicule » d’insinuer que les États-Unis soient impliqués dans ces sabotages. La porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche, Adrienne Watson, a rétorqué : « Nous savons tous que la Russie diffuse de la désinformation depuis longtemps et elle le fait à nouveau ici ».

Pour autant, le secrétaire d'État américain n'a pas cherché à masque le fait que cet évènement représente une « opportunité formidable » pour que l'Union européenne puisse « une fois pour toutes éliminer sa dépendance à l'énergie russe ».

Même son de cloche chez les Russes, accusés en Occident d'avoir oeuvré au sabotage de leurs propres gazoducs. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré qu’il était « stupide et absurde » que la Russie puisse être impliquée, soulignant « les énormes bénéfices réalisés par les fournisseurs américains de gaz naturel liquéfié, qui ont multiplié leurs approvisionnements sur le continent européen » depuis le début de la guerre en Ukraine.

L’UE met en garde, l’Ukraine accuse Moscou

De son côté, l’Union européenne a mis en garde contre toute attaque ciblant ses infrastructures énergétiques. Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a déclaré : « Toute perturbation délibérée des infrastructures énergétiques européennes est totalement inacceptable et fera l'objet d'une réponse vigoureuse et unie ».

La présidente de la Commission européenne a, elle, évoqué un « acte de sabotage » de Nord Stream, déclarant : « Il est primordial d'enquêter sur les incidents et de faire toute la lumière sur les événements [...] Toute perturbation délibérée de l'infrastructure énergétique européenne active est inacceptable et entraînera la réponse la plus ferme possible ».

Enfin, le conseiller de la présidence ukrainienne Mykhaïlo Podoliak a dénoncé une « attaque terroriste planifiée » par Moscou. Une thèse également avancée par la Pologne qui considère, par la voix de son Premier ministre Mateusz Morawieck, qu’il s’agit d’un « acte de sabotage, qui marque probablement la prochaine étape de l'escalade de la situation en Ukraine ».

Un ancien ministre polonais remercie Washington

Selon RT France, dont les informations sont censurées depuis le 27 février 2022 en Europe par décision de la présidente de la Commission européenne, un ancien ministre polonais et député européen Radek Sikorski a remercié les États-Unis pour les fuites de gaz des gazoducs Nord Stream. En effet, à travers une image aérienne de l’incident publié le 27 septembre sur Twitter, le député européen a félicité Washington. Très rapidement, le tweet a été supprimé par son auteur, suscitant des interrogations à travers les réseaux sociaux. RT France précise toutefois que ce « message ne tient pas lieu de revendication ».

Ce tweet a provoqué l’ire de Moscou. La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova s’est interrogé sur Telegram « L'ex-ministre des Affaires étrangères polonais, aujourd'hui député européen, Radek Sikorski, a remercié les Etats-Unis[...] pour l'incident survenu aujourd'hui sur le gazoduc russe (Nord Stream 2). S'agit-il d'une déclaration officielle sur le fait qu'il s'agit d'une attaque terroriste ? »

Parmi les thèses avancées sur le sabotage des gazoducs, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peksov avait répondu le 27 septembre : « ll est évident qu'il y a une sorte de panne [...], mais il est impossible d'exclure quoi que ce soit avant que les résultats [de l'enquête] ne soient disponibles ». Et de souligner que le fonctionnement de Nord Stream 1 était une question de « sécurité énergétique du continent européen tout entier ». Le 28 septembre, il a commenté les accusations de sabotage par la Russie en les qualifiant de « prévisibles » mais « stupides », car les fuites des gazoducs sont problématiques pour Moscou également.

Enfin, le porte-parole russe a fustigé : « Y avons-nous un intérêt ? Non, nous n’en avons aucun. Nous avons perdu des itinéraires d’acheminement du gaz vers l’Europe. L’Europe y est-elle intéressée, notamment l’Allemagne, moteur de l’économie européenne ? Non. Ils se trouvent également dans une situation très difficile aujourd’hui. Non seulement ils paient maintenant leurs décisions à courte vue au prix fort, je parle là de ces sanctions effrénées. Mais ils sont aussi maintenant dans une situation extrêmement difficile, en termes du développement global futur de leur industrie, de sa rentabilité et de sa compétitivité. Par conséquent, de nombreuses questions se posent. »

« L’Occident est en train de s’effondrer »

Ce jeudi 29 septembre, Vladimir Poutine a dénoncé le « sabotage sans précédent » des gazoducs Nord Stream lors d’un entretien téléphonique avec le dirigeant turc Recep Tayyip Erdogan qu’il qualifie « d’acte de terrorisme international ».

« Des conflits se dégradent et de nouvelles menaces apparaissent. Nous devons former un ordre du monde plus juste. Cela est lié à l'hégémonie de l'Occident qui est en train de s'effondrer. Ils s'accrochent au passé et cherchent à imposer un diktat dans toutes les sphères des relations internationales de la politique. L'Occident crée de nouvelles crises et il fait pression sur les pays qui choisissent une voie de développement souveraine. », a-t-il martelé devant ses homologues séparatistes. 

À la demande du Kremlin, un Conseil de sécurité de l'ONU s'est tenue le vendredi 30 septembre pour discuter de cette crise géopolitique d'envergure mondiale. Si la Russie a de nouveau pointé du doigt l'implication des Etats-Unis, qui ont, eux, nié toute responsabilité, l'ONU a fait savoir qu'elle « n'est pas en mesure de vérifier ou de confirmer aucun des détails rapportés », a déclaré Navid Hanif, sous-secrétaire général chargé du développement économique, soulignant les risques que les fuites font peser sur les marchés de l'énergie et sur l'environnement.

L'Allemagne, le Danemark et la Suède lancent une enquête conjointe sur le sabotage de Nord Stream

Lors d'une discussion en visioconférence avec ses homologues du Danemark et de la Suède, le chancelier allemand Olaf Scholz a déclaré le 30 septembre que l'Allemagne « soutiendrait l'enquête conjointe » entre les trois pays sur les explosions sous-marines qui, selon eux, sont à l'origine des récentes fuites sur les gazoducs Nord Stream. La ministre allemande de l'Intérieur Nancy Faeser a confirmé le lancement de cette enquête le 1er octobre.

Celle-ci a déclaré à l'hebdomadaire Bild am Sonntag qu'elle avait convenu avec ses homologues du Danemark et de la Suède que le travail d'enquête serait mené « par une équipe conjointe dans le cadre des lois de l'UE » comprenant des membres des trois pays. « Toutes les indications désignent un acte de sabotage contre les gazoducs Nord Stream », a-t-elle affirmé, précisant que l'équipe ferait appel à l'expertise de « la marine, de la police et des services de renseignement ».

Réparation possible ? La question « en suspens », annonce le Kremlin

Le vice-Premier ministre du gouvernement de la Fédération de Russie Alexsandr Novak – ancien ministre de l'Energie – a déclaré le 2 octobre qu'il était techniquement possible de réparer les gazoducs Nord Stream 1 et 2. « Il y a des possibilités techniques pour restaurer l'infrastructure, cela nécessite du temps et les financement appropriés. Je suis sûr que les moyens appropriés seront trouvés », a-t-il affirmé sur la chaîne russe Rossia 1.

Alexsandr Novak a cependant souligné qu'il fallait dans un premier temps établir les responsabilités dans cette affaire et identifier les auteurs du sabotage ayant entraîné un total de quatre fuites sur les installations. Il a ainsi rappelé qu'un cortège de pays avait fait part de leur franche opposition à la mise en service de ces infrastructures. « Les États-Unis et l'Ukraine, ainsi que la Pologne à une occasion ont déclaré que cette infrastructure ne fonctionnerait pas, qu'ils feraient tout pour s'en assurer », a-t-il pointé, faisant notamment référence aux propos de Joe Biden tenus en février 2022.

Interrogé sur le même sujet en conférence de presse ce 3 octobre, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a confirmé la faisabilité technique d'une réparation : « On comprend [que Nord Stream 1 et 2] doivent être restaurés, et qu’en général on pourrait reconstruire n’importe quoi. » Il a néanmoins précisé que cette question d'une réparation des infrastructures restait « en suspens », développant son propos : « Il n’est pas évident de savoir sur quelle coopération internationale nous pourrions compter dans une telle situation, étant donné l’attitude antagoniste et hystérique de l’Occident pris dans son ensemble, à l’égard de notre pays. Et nous devrons bien sûr examiner les endroits des fuites et comprendre ce qui s’est passé là-dessous, comprendre l’ampleur de la catastrophe. » Le 30 septembre, les renseignements russes ont déclaré détenir des éléments appuyant la thèse d'une implication occidentale dans les dommages causés aux gazoducs Nord Stream.

Lors de son discours au Kremlin, le président russe Vladimir Poutine a directement accusé les Occidentaux d'être à l'origine des explosions ayant provoqué les fuites importantes dans les gazoducs concernés, construits pour acheminer le gaz russe en Europe. « En organisant des explosions sur les gazoducs internationaux qui longent le fond de la mer Baltique, ils ont en réalité commencé à détruire l'infrastructure énergétique européenne », a fustigé Vladimir Poutine lors d'un discours au Kremlin, imputant ce « sabotage » aux « Anglo-saxons ».

Questionné sur l'identité des coupables lors de sa conférence de presse du 3 octobre, Dmitri Peskov a développé : « Il y a certainement une partie ou des parties qui, en l’absence de fonctionnement de ces tuyaux de gazoduc, ont la possibilité de vendre une grande quantité de leur GNL à un prix plus élevé. C’est la première chose. Et cette partie est bien connue. Ce sont les États-Unis. Et il y a aussi des pays qui ont la capacité militaro-technologique d’effectuer un tel acte de sabotage. Là aussi, tous les spécialistes savent bien quels sont ces pays. » Le porte-parole a en outre souligné que les pays qui n'avaient aucun intérêt dans ce sabotage étaient d'une part les pays européens, « privés [...] d'une voie d’approvisionnement en gaz », et d'autre part les pays vendeurs, dont la Russie.

Pour l'heure, les bouillonnements provoqués par les fuites de gaz ont cessé au-dessus du gazoduc endommagé Nord Stream 1, mais pas de Nord Stream 2, ont annoncé les gardes-côtes suédois lundi 3 octobre, après un survol des deux conduites victimes d'un sabotage en mer Baltique. Selon les autorités danoises, les fuites, en net déclin, devaient s'arrêter autour de ce week-end. Côté suédois, la principale fuite affectait Nord Stream 1, tandis qu'une plus petite concernait Nord Stream 2.

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