Olivier Schmitt : "Il y a une volonté politique russe d'influencer le devenir des démocraties occidentales"
Dans son livre Pourquoi Poutine est notre allié, Olivier Schmitt, professeur de science politique au centre d'études sur la guerre à l'université de Sud-Danemark, analyse les courants pro-russes français et les arguments avancés pour justifier un rapprochement avec la Russie. Pour FranceSoir, il revient sur l'aspect transpartisan de cet attrait français pour Vladimir Poutine et sur l'influence de ces courants sur la société française.
> Pourquoi avoir choisi de traiter ce sujet?
"Il s'agit d'un questionnement assez personnel à la base. En 2014, lors de l'invasion de la Crimée par la Russie, on a pu voir sur les réseaux sociaux français une sorte de campagne systématique de la part d'un certain nombre de gens, qui se définissaient comme pro-russes, qui niaient la présence de soldats russes sur place. De manière assez intéressante lorsque Vladimir Poutine a annoncé plus tard qu'il avait planifié cette invasion, leur réaction a été +on le savait depuis le début+.
"Il y avait pour moi un vraie part de surprise de voir qu'il y avait un discours cohérent et structuré, bien que clairement malhonnête, de la part de ces gens-là. J'ai donc décidé d’entreprendre les recherches pour ce livre afin de comprendre pourquoi dans notre culture politique il y avait une certaine sensibilité aux arguments avancés par la Russie".
> On le voit dans votre ouvrage, la fascination pour le personnage de Vladimir Poutine est plutôt transpartisane en France. Dans votre livre vous développez les différents arguments qui expliquent cette attirance. Y a-t-il un point que l'on retrouve chez tous les courants politiques?
"A mon avis, on ne retrouve pas d'argument commun à tous les courants politiques. En revanche, l'élément de fracture est lié au rejet du libéralisme politique par les gens qui soutiennent l'action de Vladimir Poutine. Ce même libéralisme politique qui est méfiant à l'égard des pouvoirs forts et promeut l'organisation de contre-pouvoirs pour réguler l'autoritarisme.
"Les libéraux de droite ou de gauche sont en général assez méfiants envers Vladimir Poutine notamment à cause de cette dimension autoritaire. A contrario, les antilibéraux de droite ou de gauche sont nettement moins rebutés par sa façon d'exercer le pouvoir et y voient une alternative souhaitable promouvant les valeurs conservatrices anti-libérales et s’opposant aux Etats-Unis, traditionnel objet de détestation. Il y a donc différentes strates de fascination en fonction du degré de rejet du libéralisme politique".
> Quelle est l'importance de la communication et des médias russes dans cette passion française pour Vladimir Poutine?
"Les médias russes sont en effet très compétents pour appuyer sur les lignes de fracture de notre société, plus vulgairement on pourrait dire qu'ils +tapent là où cela fait mal+. Cela renforce un discours pro-Poutine déjà préexistant. Je ne suis pas sûr que ces médias aient une réelle influence au-delà de certains cercles qui sont déjà convaincus.
"Toutefois, cela a permis de créer une caisse de résonnance chez les pro-Poutine car cela permet une +circulation circulaire+ de l'information à travers les cercles de convaincus. En gros vous allez de RT France à Sputnik en passant par le blog de Jacques Sapir et celui d'Olivier Berruyer: tous se citent (et parfois s'emploient) entre eux, utilisent les mêmes éléments de langage, renforçant cet effet de caisse de résonnance.
"Je ne pense pas que ces médias aient une réelle influence sur les personnes qui sont naturellement méfiantes envers la Russie de Vladimir Poutine: il y a une résilience de la société française elle-même liée à l’attachement aux valeurs démocratiques et libérales. Tout le débat sur l'influence des médias russes est polarisé en France car il est posé sans nuance. Dans les faits vous avez soit d'un côté les gens qui disent +ces médias de propagande vont faire élire Marine Le Pen en 2017+, soit des gens qui rétorquent que +de toute façon Sputnik, ce n'est finalement pas pire que CNN+. L'avis est soit alarmiste soit relativiste, il faut trouver un juste milieu et garder à l'esprit qu'en effet, il y a une volonté politique russe d'influencer le devenir des démocraties occidentales qui est relayée par les médias russes et des compagnons de route. Mais ce ne sont pas ces médias qui feront l’élection de 2017".
> Justement, faut-il craindre que la démocratie française soit mise en danger par cette tentative d'influence russe?
"La démocratie est un régime politique extrêmement complexe car la promesse qu'elle fait n'est jamais réalisée. Il y a toujours un écart entre la promesse d'une société démocratique et la réalité institutionnelle, et l’action politique consiste à tenter de réduire cet écart au minimum. Une partie importante de la population française considère désormais que cet écart est devenu trop important. La grande force des médias russes est d'identifier les enjeux de cet écart et d'essayer de les monter en épingle pour obtenir un effet politique. C’est comme du vinaigre sur une plaie ouverte, mais il ne faut pas oublier que la blessure initiale est auto-infligée".
> Cette fascination pour le dirigeant russe n'est-elle pas uniquement un refus traditionnel de l'atlantisme en France?
"Je pense que c'est plus compliqué que ça. Il y a en effet, un refus de l'atlantisme qu'il soit de droite conservatrice ou d'extrême gauche avec le refus de l'impérialisme qui reste un marqueur important de ce dernier courant. Mais il y a quelque chose de supplémentaire avec Vladimir Poutine qui est un romantisme français traditionnel vis à vis de la Russie et une fascination pour l'âme slave, la culture et l'histoire russe".
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