Raqqa : les cellules clandestines de l'Etat islamique montent en puissance et sèment la terreur
Assassinats ciblés, attentats à l'explosif, enlèvements… la liste des actions terroristes des cellules clandestines de l'Etat islamique implantées dans la province de Raqqa en Syrie ne cesse de s'allonger. Matteo Puxton, observateur de référence du groupe djihadiste, fait le point pour France-Soir sur cette campagne de terreur menée par les djihadistes qui frappent jusque dans le centre-ville de l'ancienne "capitale" du califat autoproclamé.
Les "détachements de sécurité" (mafariz amniyat) de l'Etat islamique opèrent dans la province de Raqqa depuis juin 2018. Les premières photos confirmant l'activité sont diffusées en août, la première vidéo Amaq apparaît en janvier 2019. En dépit des nombreuses opérations des forces de sécurité locales et de la coalition anti-EI, et des arrestations qui s'ensuivent, les cellules clandestines continuent d'être actives jusque dans le centre-ville de Raqqa.
En mars 2019, la province de Raqqa connaît ainsi une première opération inghimasi. Le 2 mars, un long communiqué d'Amaq fait suite à un premier, plus court, et qui donnait déjà la kounya de l'inghimasi ayant mené l'opération, Abou al-Walid al-Sharqi. Ce communiqué revendiquait la mort de sept anciens de tribus et de cinq membres du "PKK" (les djihadistes désignent les Kurdes syriens du PYD par le sigle de la formation kurde turque) lors de l'opération inghimasi sur le QG militaire à Jadid Kabhour, à l'est d'al-Karamah (sud-est de Raqqa). L'Etat islamique a revendiqué le même jour (2 mars) une attaque à l'IED dans le district de Suluk (quatre tués/blessés); une attaque sur un QG du "PKK" dans un village du secteur d'al-Karamah (deux gardes tués, 2 mars), illustrée par un reportage photo le lendemain; une attaque à l'IED dans Tabqa (4 mars); l'assassinat d'un "espion" du "PKK", Shibli al-Shibli al-Sukkar, dans le village d'al-Soqourah au nord-ouest de Raqqa par un jet de grenade dans son véhicule (4 mars); une attaque à l'IED dans le secteur d'al-Karamah (7 mars); deux hommes abattus par des snipers dans le secteur à l'est d'al-Karamah, à Mazra'at al-Ghassaniya (17 mars).
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Le 1er mars, le site activiste Raqqa is being slaughtered silently (RBSS) annonce que plusieurs personnes enlevées par l'Etat islamique dans l'est de la province de Raqqa ont été exécutées. Il évoque plus de 15 morts suite à l'attaque inghimasi revendiquée par l'Etat islamique le 2 mars. Les Forces démocratiques syriennes (coalition arabo-kurde) ont relâché un peu moins de 300 personnes liées à l'EI dans les provinces sous leur contrôle. Quelque 25 détenus ont été sortis des prisons de Tabqa, dans la province de Raqqa, pour être libérées tandis que 24 autres prisonniers sont affranchis à Raqqa. Le 2 mars, les FDS libèrent près de 200 détenus de l'organisation terroriste retenus à Aïn el Issa, pour "bonne conduite". Le 5 mars, les forces de sécurité intérieure de Raqqa (FSIR) annoncent avoir arrêté un kamikaze qui voulait, la veille, viser un convoi funéraire; le prisonnier a ensuite permis d'arrêter cinq de ses camarades. Le 11 mars, les FDS commencent à installer les premières de 600 caméras de vidéosurveillance dans Raqqa (probablement celles qui ont donné des images de l'attaque à la voiture piégée le 9 avril, voir plus loin). Le 12 mars, un IED explose sur un véhicule de miliciens dans le quartier de Haramiya. Le 16 mars, les FSIR démantèlent un engin explosif dans le quartier de Rumeyla. Le 26 mars, un enfant est tué et deux autres blessés par l'explosion d'un IED laissé par l'EI dans le secteur de base de la division 17 au nord de Raqqa. Le 30 mars, trois personnes sont blessées par l'explosion d'un IED placé anciennement par l'EI dans un des parcs de Raqqa. Le 31 mars, quatre déplacés d'al-Suknah sont tués à Mansourah par le groupe djihadiste après avoir été capturés pendant qu'ils cherchaient des truffes dans le désert au sud de la province – ce type d'enlèvements avaient également été pratiqués par l'EI en Irak, dans la province d'al-Anbar, en février dernier.
IED démantelé par les FSIR dans le quartier de Rumeylah à Raqqa le 16 mars.
En avril, l'Etat islamique revendique également un certain nombre d'opérations: assassinat d'un "apostat du PKK" avec une arme à silencieux à l'est d'al-Karamah (1er avril); une attaque à l'IED sur un véhicule du "PKK" dans la rue Palestine de Tabqa, une attaque causant trois tués et blessés parmi les "apostats du PKK" à Jadid Kabhour (8 avril). L'attaque dans Tabqa semble confirmée par le média local Raqqa is being Slaughtered Silently. Il semble y avoir eu deux explosions: la première dans un container à poubelles, et l'autre ciblant une patrouille militaire. L'EI ne revendiquait plus trop dans l'ouest/sud-ouest de la province de Raqqa ces derniers mois, il y a donc peut-être retour d'une cellule depuis le mois de mars. Le 3 avril, deux hommes sont blessés par l'explosion d'un engin explosif probablement disposé anciennement par l'EI dans la ville de Raqqa. Le 4 avril, une manifestation avait eu lieu dans Raqqa pour protester contre l'interdiction des motos dans la ville (pour lutter contre les motos piégées utilisées par l'Etat islamique pour commettre ses attentats).
Dans le cadre de l'opération "Revanche pour le Cham" lancée par le groupe terroriste le mardi 9 avril, et qui voit les cellules clandestines de l'EI en Syrie et en Irak ainsi que les branches extérieures au Levant multiplier les attaques pour "venger" la chute de Baghouz, les détachements de sécurité montent une opération dans la ville de Raqqa. Ils font d'abord sauter un IED enterré dans le sol, afin d'attirer les forces de sécurité sur la zone de la première explosion. C'est alors qu'ils font exploser la voiture piégée garée à proximité. L'explosion tue trois miliciens et 10 civils, dont des enfants. Une vidéo est diffusée le soir même par l'agence Amaq sous le titre: "Agence Amaq: Raqqa – une vidéo obtenue par Amaq du moment de la détonation d'une voiture piégée sur les éléments du PKK dans la rue al-Nour". La scène est filmée depuis un véhicule à l'arrêt, avec sans doute un téléphone portable. La vidéo est courte et montre seulement l'explosion de la voiture piégée dans la rue al-Nour.
Voir - L'Etat islamique lance une offensive sur plusieurs pays pour "venger le califat"
Capture d'écran de la vidéo Amaq diffusée par l'EI le 9 avril, montrant l'explosion de la voiture piégée dans la rue al-Nour l'après-midi.
Les cellules de Raqqa vont également revendiquer d'autres attaques. Le 9 avril toujours, deux "apostats du PKK" sont abattus dans un village du district de Suluk, au nord de la province. La veille, l'Etat islamique annonce avoir tué trois miliciens et en avoir blessé cinq autres lors d'une attaque sur Jadid Khabour. Un IED aurait également détruit un véhicule à l'est d'al-Karamah (six tués ou blessés selon l'EI). Le groupe terroriste tue deux hommes à moto avec un IED à l'est de Raqqa et un autre engin explose au domicile d'un "cadre du PKK" à Jadid Khabour.
Le n°177 de la revue al-Naba de l'Etat islamique, paru le 11 avril, revendique en tout 31 tués et blessés et 8 véhicules détruits en trois jours pendant l'opération "Revanche pour le Cham" dans la province de Raqqa. Dans le numéro précédent, le 176, paru le 4 avril, l'EI détaillait un cas de désertion au sein des FDS et dénonçait la conscription forcée des Arabes par les Kurdes. Dans le n°178 paru le 18 avril, l'Etat islamique revendique l'explosion d'un engin piégé qui a blessé un démineur dans un village près de Tal Abyad, au nord de la province de Raqqa.
Le 14 avril, trois corps sont retrouvés dans le désert près de la ville de Maa'dan, dans la partie sud-est de la province de Raqqa tenue par le régime syrien. Le 17 avril, un enfant est blessé par un engin explosif dans le marché aux légumes à Tabqa. Le même jour, un homme est abattu par balles dans une des rues de la même ville. L'EI toutefois ne formule pas de revendication.
Le 25 avril, l'Etat islamique annonce avoir attaqué le porte-parole des tribus de Tabqa dans la ville de Mansourah: Abdullah Al-Mudhi est visé par une arme à silencieux d'un "détachement de sécurité", mais il est seulement blessé. Le 30 avril, l'EI annonce avoir abattu un milicien près d'un village. Le 1er mai, l'organisation terroriste fait sauter un IED sur un véhicule passant près du parc al-Rashid, dans Raqqa. Le 5 mai, un IED explose au passage d'une moto transportant deux hommes dans le village d'al-Shahar, à l'est d'al-Karamah, les tuant. Le 6 mai, un homme est abattu au fusil d'assaut à l'est de Tabqa. Le groupe revendique aussi l'explosion d'un IED sur un véhicule à l'est d'al-Karamah. Le 7 mai, l'EI annonce avoir abattu deux hommes à l'entrée de Tabqa. Les premières de ces opérations sont revendiquées dans le n°180 d'al-Naba paru le 2 mai.
Le responsable tribal visé par l'EI avec une arme à silencieux dans Mansourah.
Le 26 avril, un engin explosif saute près d'une mosquée dans Raqqa. Le 28 avril, les FDS deux personnes qui plaçaient des engins explosifs dans le secteur, dans le village d'al-Jadidat, à l'est de Raqqa. Le 29 avril, deux IED explosent, l'un à Raqqa à côté du stade municipal, l'autre à Tabqa. Le 30 avril, les FSIR enterrent Ahmed Hussein Al-Abdullah, tué dans Raqqa cinq jours plus tôt. Le 1er mai, confirmant une attaque revendiquée par l'EI, un vélo piégé explose devant le restaurant Abou Sanad, près du parc al-Rashid. Le 3 mai, un IED explose sur un rond-point dans le quartier al-Rumeylah, au nord-est de Raqqa. Le 5 mai, les FSIR enterrent Mohammed Abd-al-Barqas, tué à al-Karamah le 26 avril.
En mars-avril 2019, l'EI revendique des opérations au nord de la province de Raqqa, à l'est de Suluk. Il revient dans le secteur de Tabqa au sud-ouest de la province. Il continue d'opérer dans Raqqa, et dans et autour d'al-Karamah. Une cellule est toujours active également au nord-ouest de Raqqa, dans la campagne (al-Soqourah en mars). C'est ici que la première vidéo Amaq diffusée par le groupe (janvier) prenait place.
L'EI produit plusieurs dizaines de documents (communiqués de revendication, reportages photos, vidéos courtes, etc) par mois dans la province de Raqqa. L'opération "Revanche pour le Cham" a refait partir à la hausse un total en baisse en février-mars.
Ainsi, depuis un peu moins d'un an, le réseau insurrectionnel préparé par l'Etat islamique dans la province de Raqqa se maintient, et parvient à continuer de frapper les FDS, qui doivent en outre faire face aux tensions avec la Turquie et le régime syrien, et aux problèmes posés par une reconstruction très lente, et par la mésentente avec certaines tribus arabes, et d'autres acteurs, de la province de Raqqa.
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