Renault : vers une expropriation volontaire en Russie ?

Auteur(s)
Xavier Azalbert, directeur de la publication de FranceSoir
Publié le 24 mars 2022 - 17:35
Mis à jour le 25 mars 2022 - 14:17
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Renault Siège.
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B. Guay / AFP
Renault est contraint par la pression de Zelensky et des Etats-Unis à suspendre ses activités en Russie.
B. Guay / AFP

EDITO - Renault – sanctions, contre-sanctions – À quel jeu joue-t-on ?

Ce 23 mars 2022, sous la pression des alliés atlantistes, sous domination américaine, et du président Volodymyr Zelensky, qui a appelé devant le Parlement français les entreprises françaises à se désengager du marché russe, Renault a décidé de suspendre son activité en Russie.

Les enjeux pour Renault

La Russie est le second marché de Renault (20% de part de marché), un marché de taille qui pèse autant que ceux de l’Allemagne, de l’Espagne et de l’Italie réunies. En 2021, l’entreprise au losange avait vendu 480 000 véhicules sur le marché russe, meilleur volume de vente après la France, où le constructeur automobile comptabilise 522 000 ventes de ses véhicules. Autant dire que les risques de pertes financières pour l’entreprise sont colossaux. Dans son usine de Moscou, l’entreprise recense 2 000 emplois et produit 100 000 véhicules par an. Par ailleurs, un sujet autrement plus épineux la préoccupe : sa filiale, AvtoVAZ, nom de la société russe qui gère la marque Lada, dont Renault contrôle 68% du capital. Lada fabrique chaque année pas moins de 400 000 voitures et emploie dans ses deux usines situées au sud de Moscou 40 000 salariés.

Renault est entré dans le capital de cette entreprise en 2008, après une négociation entre Carlos Gohsn et Vladimir Poutine. Celle-ci avait fait l’objet d’un gros plan d’investissement de près de deux milliards d’euros qui commençait à porter ses fruits. Après des années de perte (196 millions en 2020), en 2021, AvtoVAZ était parvenue à dégager un bénéfice de 166 millions d’euros. Globalement, après une année catastrophe pour Renault en 2020 suite à la crise des semi-conducteurs, l’entreprise avait enfin renoué avec les profits l’année suivante (1 milliards d'euro).

La situation est d’autant plus délicate pour la stratégie à moyen terme du fabricant de voitures que celui-ci planchait en Russie sur le développement d’un remplaçant du 4x4 Niva, présenté en 2017 comme "un instrument de conquête à l’export", censé être disponible d’ici à la fin 2024. Mais ce n’est pas tout, le Niva devait aussi être suivi "en 2025-2026 d’un dérivé long qui pourrait s’appeler Grand Niva". Des investissements capitaux dans une stratégie de modernisation grâce à laquelle Renault envisageait des économies majeures.

Ce retrait contraint de la Russie est donc un coup dur pour le constructeur automobile qui, outre la mise en arrêt de ses sites de production et la privation de revenus s’ensuivant nécessairement, verra probablement son usine du Mans affectée par les risques de rupture d’approvisionnement. En effet, 20 % de la production de cette usine est constituée par des pièces (retorts, bras d’essieux, pièces embouties) destinés aux usines russes. Il s’agit d’une action sans précédent. Aucune entreprise ne s’est jamais retirée d'un pays ou n’a jamais arrêté sa production si brusquement.

En plus d’impacter à la hausse le prix du carburant et de causer des pénuries dans les commerces de détail, les sanctions contre la Russie pénaliseront donc fortement nos rares fleurons industriels. Inévitablement, les premières victimes seront les consommateurs, qui verront leur facture augmenter ainsi que les délais de réparation de leur véhicule s’allonger, dans le cas de figure où des pièces viendraient à manquer.

La Russie est-elle pénalisée ou bénéficiaire ?

En guise de contre-sanction, il n’est pas impossible que la Russie décide de mettre la main sur les participations de Renault au capital d’AvtoVAZ. Du tout bénéfice si l’on se place de son point de vue, puisqu’elle ferait ainsi l’acquisition d’un outil de production en capacité de produire près de 500 000 véhicules modernisés. Il s’agit d’une nouvelle forme de désinvestissement : l’expropriation volontaire.

En mettant la main sur Renault "Russia", l’affaire lui est d’autant plus juteuse que le cours de l’action de Renault a déjà dévissé de 38 euros à 23 euros, soit une perte de 21% en un mois. Pour profiter de cet effet d’aubaine, on peut imaginer la Russie être tentée de faire appel à des fonds amis. L’effet devise sera aussi à prendre en considération avec la variation importante du taux de change entre le rouble et l’euro des dernières semaines.

En temps de guerre et de conflits armés, les mesures de sanctions qui accompagnent une stratégie géopolitique ne rencontrent pas toujours l’effet escompté. C’est pourquoi, à ce jeu, il faut savoir être fin analyste et bon stratège de sorte que les mesures prises ne se retournent pas contre ses auteurs.

Le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) traite de cas d’entreprises qui ont vu leurs avoirs confisqués par expropriation directe ou par révocation abusive de concession et de droit d’exploitation. Ces cas se déroulent dans des pays institutionnellement instables avec une haute insécurité juridique. Mais dans notre cas, il s’agit d’une entreprise qui s’autoexproprie sur son deuxième marché en termes de volume de vente, ce en l’absence de tout litige juridique.

Le coût risque d’être substantiel pour Renault comme pour le citoyen français, puisque l’État français détient plus de 15% du capital de l’entreprise.
 

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