Rentrée des classes à la "Jungle" de Calais
"Je vais vous apprendre une nouvelle chanson pour dire bonjour!", lance gaiment Constance, leur enseignante de 34 ans, yeux bleus et cheveux courts. Ce matin, sur le coup de 11h, ils sont sept enfants à avoir franchi la porte de cette classe située dans le secteur réservé aux femmes du centre Jules-Ferry, où sont servis des milliers de repas aux migrants qui ont échoué dans la "Jungle", plus grand bidonville de France.
Dans ce préfabriqué d'une soixantaine de mètres carrés, où deux salles de classe ont été aménagées début juin pour environ 100.000 euros, ces enfants, qui ont parcouru parfois des milliers de kilomètres dans des conditions dramatiques, peuvent découvrir les mystères (et les difficultés) de la langue française.
Mais comme il ne s'agit pas d'une école au sens strict du terme, avec obligation de présence et fiche d'inscription, l'Education nationale, pas avare en la matière, a créé un acronyme spécifique: le DAE (Dispositif d'accueil et d'enseignement).
"Ce n'est pas une école telle qu'on pourrait le dire car c'est un dispositif transitoire et il n'y a pas d'inscription", explique Christine Salvary, 57 ans, inspectrice de l'Education nationale. Il existe bien deux autres écoles dans la "Jungle", mais elles ont été créées par le secteur associatif, sans l'agrément du ministère et de l'Etat.
En tout, depuis l'ouverture début juin, une centaine d'enfants de six à seize ans ont été scolarisés au DAE. En juillet, ils étaient parfois jusqu'à 25 le matin en classe. Entre 13h et 15h, c'est souvent au tour des plus âgés de venir en cours: "l'après-midi, ce sont les adolescents car la plupart ont essayé de passer la nuit (en Angleterre, NDLR) et on les a donc un peu plus l'après midi", note Mme Salvary.
Ainsi, le roulement est permanent: les uns sont partis en Angleterre de façon clandestine, d'autres ont posé les pieds en Grande-Bretagne en rapprochement légal tandis que certains ont trouvé refuge dans des centres d'accueil ailleurs en France.
D'où la difficulté pour la maîtresse de faire face à une classe qui change presque quotidiennement. "C'est la particularité de ce poste, je ne peux pas préparer les cours d'avance, je ne sais pas s'ils seront quatre ou huit, si le niveau sera homogène ou hétérogène, alors je m'adapte!", glisse Constance, l'une des deux enseignants recrutés.
Aussi, la voix sympathique et le timbre énergique, elle n'hésite pas à faire vibrer les cordes de la guitare ou à utiliser un accordéon pour aider les jeunes enfants à se familiariser avec la langue française.
Un petit Albanais peine à dire "j'ai six ans", alors que ses voisins africains sont plus à l'aise. Après l'apprentissage des mots de présentation, l'apprentissage de l'alphabet et les chiffres, les écoliers s'installent sur des sièges en métal fixés aux tables en bois rappelant l'époque de Jules Ferry, avec la place pour l'encrier, un équipement donné par la ville de Boulogne-sur-Mer. Munie de son cahier, une écolière aux tresses soignées passe à l'atelier d'écriture. Certains enfants n'ont jamais été à l'école, en particulier ceux venus d'Afrique. Outre l'apprentissage, l'important est aussi de donner un cadre et des règles à ces enfants, loin de la loi de la "Jungle".
"Chaque fois que je vais à l'école et que je vois les progrès réalisés par ces enfants, c'est une petite bouffée d'oxygène", se félicite Stéphane Duval, directeur général du centre Jules Ferry.
De la fenêtre de la salle de classe, où sont accrochés dessins d'enfants, mappemonde et alphabet, on aperçoit des centaines de migrants adultes sous le préau, se protégeant de la canicule, certains trompant leur ennui en improvisant un match de football, dans l'attente de trouver un moyen de rejoindre l'Angleterre.
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