Pénurie de médicaments : les pharmacies préparatoires sur le pied de guerre
Antibiotiques, antiarythmiques, anti-inflammatoires… Depuis la fin de l’année 2022, alors que les pénuries de médicaments explosent, les quelques pharmacies "préparatoires" de France se mettent en branle pour pallier le manque. Allons-nous assister au retour du métier d’apothicaire ?
Bien qu'ils n'en soient pas l'unique origine, il est raisonnable de considérer l’apothicaire comme ancêtre de nos pharmaciens. D’abord associés aux épiciers et droguistes, vendant toutes sortes de denrées et d'articles, ils se sont peu à peu distingués de ces derniers pour se spécialiser dans la fabrication de médicaments. Entre 1258 et 1777, toute une série de règlementations ordonnées par les rois de France renforceront cet aspect du métier, jusqu’à la création du "Collège de Pharmacie" — qui deviendra après la Révolution "la société libre des pharmaciens de Paris".
Bien distincts des médecins, les apothicaires étaient alors séparés en deux corps de métier : en plus de la conception de médicaments, les "stationarii" étaient davantage spécialisés dans la vente, tandis que les "confectionarii" étaient capables de suivre un diagnostic, de comprendre l'avis du médecin et de proposer un médicament adapté.
Pharmacies : officine ou préparatoire
Aujourd’hui, système mondialisé et modernité obligent, la confection des médicaments est presque exclusivement réservée aux grands laboratoires pharmaceutiques. Ces derniers testent les molécules, demandent l’autorisation de mise sur le marché (AMM) à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), puis distribuent leurs produits en pharmacies.
En France, ce sont les 22 000 pharmacies dites "d’officine" qui sont chargées de vendre les médicaments aux clients. Seules quelques-unes d’entre elles (une centaine d’après CNEWS) sont agréées pour fabriquer des "médicaments sur-mesure" en cas de besoin — mais pas tous. La pharmacie est alors dite "préparatoire", et la confection des médicaments est appelée "préparation magistrale". Pour des préparations courantes, ces établissements "livrent leurs confrères", explique Philippe Besset, président de la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France (FSPF). La plus connue de l’Hexagone, aussi le plus grand préparatoire d’Europe, est la pharmacie Delpech de Paris.
Pénurie quand tu nous tiens
En décembre 2022, c’est une pénurie d’amoxicilline qui inquiétait les autorités sanitaires. Puisqu’il ne s’agissait pas d’un manque de matière première, mais d’une défaillance de fabrication en laboratoire, l’ANSM a autorisé "à titre exceptionnel et temporaire" les pharmacies préparatoires à se lancer dans la production de cet antibiotique utilisé en pédiatrie. Cela étant, seules une quarantaine de pharmacies ont été autorisées à produire ce médicament, pour lequel le processus de préparation est particulièrement strict.
L’année 2023 n’a fait que multiplier les pénuries. "Des antibiotiques pédiatriques aux antidiabétiques, en passant par les corticoïdes : en France, les pénuries de médicaments se multiplient. Aucune famille de molécules n'est épargnée.", écrivait France Bleu le 2 octobre dernier. Aussi les pharmaciens se sont-ils retroussé les manches. "On fabrique quotidiennement des préparations pour nos patients, mais aussi pour une centaine d'autres pharmacies de la Nouvelle-Aquitaine.", explique Maxime Davoust, responsable de l’unique préparatoire de Charente-Maritime.
Une semaine plus tard, l’AFP rapportait les propos de Fabien Bruno, patron de la pharmacie Delpech : "On passe notre temps à gérer les ruptures". Depuis quelques jours, en plus de l’amoxicilline et des corticoïdes, ce sont des antiarythmiques à base de flécaïnide qu’il faut produire. "C'est un peu comme quand on fait la cuisine : on ne synthétise pas soi-même le sucre, mais on l'achète tout prêt à l'industrie sucrière", explique Fabien Bruno, assurant que la confection artisanale des antiarythmiques n’est "pas compliquée" comparée à celle de l’amoxicilline. Au total, la pharmacie Delpech "tourne à environ 2.300/2.400 préparations" par jour, toutes molécules confondues.
Vers une recentralisation de la pharmacie ?
Selon l'ANSM, les laboratoires expliquent les tensions actuelles (qui datent de la fin d’année dernière) par "des difficultés d'approvisionnement en matière première et en articles de conditionnement". D’autres considèrent que le problème réside dans "l’hyperconcentration" de la production : "Tout est façonné dans la même usine en Espagne", déplore Guillaume Racle, pharmacien et conseiller économie à l'Union de syndicats de pharmaciens d'officine (USPO). En Asie aussi, les coûts sont moindres. Finalement, comme d’autres industries avant elle, la pharmacie semble pâtir de sa dépendance aux géants internationaux.
Pour autant, des groupes français assurent pouvoir répondre aux besoins. Interrogé par l'AFP, le patron d’Axyntis déclare avoir "répondu aux demandes des préparateurs en pharmacie en France sans difficulté". "Nous avons une capacité à répondre aux besoins", promet-il, mais "encore faut-il que les clients acceptent les surcoûts d'une production en Europe".
Reste à savoir, donc, si les autorités sanitaires vont choisir de se réapproprier la production de médicaments, ou pas. Peut-être faudra-t-il se tourner vers d’autres méthodes de soin.
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.