Chômage : derrière l'optimisme de façade, les réalités statistiques qui échappent au message officiel

Auteur(s)
Jean-Yves Archer
Publié le 25 janvier 2017 - 14:17
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Une file d'attente à Pole Emploi.
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©Philippe Huguen/AFP
Le nombre de chômeurs de la catégorie D a connu une hausse de 21,9% en 2016.
©Philippe Huguen/AFP
Selon les statistiques dévoilées mardi, le nombre de chômeurs a baissé en 2016 (malgré une hausse finale en décembre). Mais les chiffres dont se flatte le ministère du Travail ne concernent que les chômeurs de catégorie A, ceux qui n'ont aucun emploi mais en cherche activement un. Jean-Yves Archer, spécialiste des finances publiques et dirigeant du cabinet Archer, décrypte en partenariat avec "FranceSoir" les différentes réalités du chômage, qui relativise l'optimisme affiché sur l'année écoulée.

Depuis la fin des Trente glorieuses en 1974, le chômage n'a cessé de croître en Occident et particulièrement en France où il est de nouveau légitime de parler de chômage de masse depuis la crise de 2008. La hausse annoncée mardi soir (+26.100 chômeurs de catégorie A ) marque donc une pause dans l'amélioration de la situation. Cette pause confirme que chômage et croissance molle sont parties prenantes conformément à la Loi d'Okun.

Le bilan social est humainement très lourd: on recense près de 6 millions de sans-emploi et corrélativement 9 millions de personnes vivant en-deçà du seuil de pauvreté. L'année 2016 aura vu une amélioration assez nette (moins 8%) pour les jeunes de moins de 25 ans mais une violente dégradation de la situation des seniors.

Face à une telle épreuve, les politiques sont plus habiles qu'efficaces. Plus parleurs que faiseurs. Ainsi, la principale trouvaille consiste à orienter le regard de l'opinion vers la seule catégorie A de demandeurs d'emploi et d'être discrets sur les catégories B et C. Quant aux catégories D et E, elles sont savamment passées sous silence à la fois en nombre de personnes (qui les composent ) et en coûts pour la collectivité.

De quels chômeurs parle-t-on ?

Selon l'Insee, 5 grandes catégories permettent de décrire le chômage :

- catégorie A: demandeurs d'emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi, car n'occupant effectivement aucun emploi

- catégorie B: demandeurs d'emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi, ayant exercé une activité réduite courte (de moins de 78 heures ou moins au cours du mois)

- catégorie C: demandeurs d'emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi, ayant exercé une activité réduite longue (plus de 78 heures au cours du mois)

- catégorie D: demandeurs d'emploi non tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi (en raison d'un stage, d'une formation, d'une maladie…), y compris les demandeurs d'emploi en convention de reclassement personnalisé (CRP), en contrat de transition professionnelle (CTP), sans emploi et en contrat de sécurisation professionnelle

- catégorie E: demandeurs d'emploi non tenus de faire de actes positifs de recherche d'emploi, en emploi (par exemple : bénéficiaires de contrats aidés).

 

>Où est la dynamique baissière du chômage?

L'inversion de la courbe du chômage enregistrée depuis trois mois ne concerne que la seule catégorie A. Entre janvier et novembre 2016, il est exact de dire que le nombre de chômeurs relevant de la catégorie A a baissé de 133.500 personnes (soit moins de 4% ) pour la métropole pour un total de 3,45 millions de personnes.

Seul ce chiffre de la catégorie A est annoncé en prime time, aux journaux télévisés de 20 heures. Bien peu –même sur les chaînes info- évoquent les autres catégories. Or, à ce stade, il faut garder à l'esprit que les catégories B et C dites d'activité réduite représentent 2,06 millions de personnes. On ne se focalise que sur un peu plus de la moitié de l'évolution du chômage de masse.

Il est vrai qu'il serait délicat pour le gouvernement actuel de rappeler que la catégorie B a récemment évolué à la hausse (+0,3% sur un trimestre ) tout comme la catégorie C qui a connu (subi?) une hausse de 5,3% sur le dernier trimestre 2016.

Clairement, on affiche la catégorie A comme porte-étendard d'une réussite là où il faut être prudent voire plus sévère sur l'action des pouvoirs publics.

 

>Le boom de la catégorie D

Bien des économistes réputés (tels que ceux de l'OFCEétalent leur socle de compétences en ne citant pas une seule fois les catégories D et E dans leurs analyses par définition biaisées voire inféodées. Il faut ici rappeler que sur un an ( de novembre 2015 à novembre 2016 ) la catégorie D a connu une hausse de 21,9% passant de 277.600 à 338.300 tandis que la catégorie E passait de 419.200 à 424.300 personnes soit une augmentation de 1,2%.

Première conclusion: quand le citoyen entend l'annonce d'une baisse du chômage, il est bien obligé de la relativiser à la lumière des quelques 75.000 chômeurs envoyés d'un trait de plume présidentiel en formation suivant des méandres que chacun comprend et visualise. Oui, sur un an (de décembre 2015 à décembre 2016) la catégorie D a progressé de 24,6% ce qui nuance la grille de lecture des porteurs de lunettes roses.

 

>La précarité continue ses ravages

Elle le fait via la politique dynamique de radiations de Pôle emploi. Elle le fait par la hausse des contrats précaires. Dans les nouveaux entrants dans le monde du travail, on trouve essentiellement des CDD. Qui peut oser l'ignorer?

La précarité vient aussi de ce que l'on nomme le "halo du chômage". Ce terme désigne les personnes inactives désirant travailler (et hors statistiques de Pôle emploi mais comptabilisées par le BIT – bureau international du Travail).

Ce halo est délicat à chiffrer: le consensus s'établit autour de 1,4 millions de personnes. Là encore, le silence est d'or et peu en parlent.

 

>Un peu de théorie économique: Edmond Malinvaud

Le piège des chiffres du chômage vient aussi d'une impossibilité statistique: on ne saurait distinguer, parmi les chômeurs, ceux qui escomptent un niveau de rémunération excessif par rapport au prix du travail proposé (chômage de type classique) et ceux qui sont victimes de la conjoncture et singulièrement de la faiblesse de la demande (chômage de type keynésien). Cette dualité du sous-emploi a été démontrée posément par Edmond Malinvaud (ancien directeur général de l'INSEE) dès les années 1980 sous le nom de théorie du déséquilibre.

On peut regretter que des enquêtes qualitatives de bonne ampleur ne permettent pas de sourcer statistiquement ces deux affluents du fleuve chômage.

Autre point d'ancrage du piège des chiffres du chômage, les pouvoirs publics sont fort discrets sur la notion de chômage frictionnel qui est défini par le temps requis pour retrouver un emploi. Une étude de Pôle Emploi a détaillé que le chiffre moyen de 500 jours avait été franchi contre moins de deux mois en Autriche ou en Tchéquie.

Le chômage est un chiffre qui incarne le flux entrant et sortant permanent des demandeurs d'emplois. Ayant un chômage frictionnel très alourdi, notre pays présente ainsi un chômage structurel croissant car la durée moyenne de présence au chômage continue à s'allonger. C'est là que l'épreuve humaine rejoint l'échec de la politique de Monsieur Sapin.

 

>Une conclusion préoccupante

La France souffre bien souvent du paradoxe d'Anderson. Ce sociologue, Charles A. Anderson, a établi dès 1961 que le fait d'obtenir un diplôme supérieur à celui de ses parents ne conduit pas nécessairement à l'obtention d'une position sociale plus élevée. C'est effectivement ce que montre le chômage croissant des jeunes diplômés notamment universitaires. Est-il normal d'être parfois BAC +6 pour finir co-vendeur dans un food-truck?

Parallèlement, le CESE (Conseil économique, social et environnemental) vient de rendre un avis sur l'emploi des jeunes et a attiré l'attention sur la situation tendue des "Neet" ("not in education, employment or training") et sur le fait qu'un jeune sur trois est surdiplômé par rapport à son emploi. 

Il faut savoir sortir du chômage – ce qui est une lutte personnelle obligatoirement relayée par les différentes actions incitatives de la sphère publique, mais parfois on n'en sort dans une configuration inférieure à ses légitimes attentes. C'est ici que la vérité rejoint les germes de la frustration et du déclassement social analysé par Camille Peugny.

Raymond Barre disait qu'il fallait "défricher avant de chiffrer": ici la matière est brute et incomplète mais ce chiffrage donne plus qu'un ordre d'idées sans prétendre ne pas rencontrer des "degrés dans l'inconfort" pour reprendre le terme de M. Lagrave dans son étude de mars 1983: Les difficultés d'évaluation du coût du chômage ( Revue française des affaires sociales ).

 

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