Accidents de la route. Protection pénale de l’enfant à naître : un appel urgent au législateur (Parlement)
TRIBUNE - L’actualité récente fait jaillir de son sommeil la question interdite de la protection pénale de l’enfant à naître dans le domaine des accidents de la route. Cette question n’est pas nouvelle. Elle semble méconnue de nombreux concitoyens qui viennent d’exprimer leur incompréhension, et c’est peu dire, suite au récent accident fatal pour un bébé. Ce fait médiatisé devrait contraindre la société à ouvrir, à nouveau, ce débat initié il y a plus de 20 ans, suite à une décision de 2001 de la plus haute juridiction judiciaire française.
Le 29 juillet 1995, un conducteur d’une voiture, en état d’ébriété, se déporte sur la voie de gauche et percute un véhicule venant en sens inverse et conduit par une femme enceinte de six mois. Blessée, cette mère accouche prématurément le 20 août 1995 d’un bébé mort-né. L’autopsie conclut que cet enfant à naître était viable, mais il n’avait pas vécu du fait des lésions cérébrales graves en relation directe avec l’accident.
Le 17 juin 1997, le conducteur est reconnu coupable d’« homicide involontaire » par le tribunal correctionnel de Metz. Ce conducteur interjette appel. Le 3 septembre 1998, la cour d’appel de Metz infirme ce jugement et écarte l’incrimination d’« homicide involontaire » au motif que l’enfant mort-né n’est pas protégé pénalement au titre des infractions concernant la « personne ».
Pour être considéré comme une « personne », la cour exige l’existence d’un être vivant, c’est-à-dire venu au monde et non décédé. La cour ne retient l’« homicide involontaire » qu’à l’égard d’un enfant dont le « cœur battait à la naissance » et « qui a respiré ». Le procureur général et les parties civiles (la famille du bébé) forment un pourvoi en cassation. Mais, le 29 juin 2001, l’assemblée plénière de la cour de cassation rejette ce pourvoi : elle confirme l’analyse de la cour d’appel. Elle rappelle que l’application de la loi pénale est stricte et que le régime juridique relève de textes particuliers sur l’embryon ou le fœtus.
Pour tenter de comprendre cette position de la plus haute juridiction judiciaire française, il y a en effet lieu de proposer au public quelques éléments utiles non exhaustifs. Au fond, la question qui se pose est la suivante : une personne humaine est-elle nécessairement une personne juridique ?
En droit français, la personne humaine n’acquiert la « personnalité juridique » qu’au moment de la naissance. C’est uniquement à ce moment qu’elle acquiert des droits si elle est née vivante, ne serait-ce que quelques minutes. Cette personnalité juridique disparaît avec le décès de la personne. Cette position, concernant la protection pénale de l’enfant à naître, soulève de nombreuses interrogations qui appellent une intervention urgente du législateur.
Est-il acceptable que quelques minutes de vie puissent être le motif d’une discrimination entre deux enfants : le premier mort-né ; le second mort quelque temps après la naissance ? Et alors même que, dans les deux cas, l’accident s’est produit pendant la grossesse.
Ce parlement ne nie pas le caractère humain de l’enfant à naître (fœtus, embryon). Le commencement de la vie dès la conception est admis. Mais, il semble éviter de dire ce qu’est un embryon et de constater sa nature ; en se réfugiant derrière les opinions divergentes, les analyses subjectives, les croyances des uns et des autres. Il refuse de clarifier cette nature, sans doute par la crainte de voir certains remettre en cause notamment l’intervention volontaire de grossesse (IVG) et la recherche sur l’embryon.
Une telle peur devrait être évacuée eu égard aux textes spéciaux qui protègent ces interventions dérogatoires au principe qui protège l’être humain dès le commencement de la vie : dès l’embryon. Ces exceptions (IVG et recherche sur l’embryon) sont autorisées par la loi, car elles sont considérées comme poursuivant un intérêt supérieur à celui de l’embryon. Elles ne sont d’ailleurs pas les seules dérogations d’atteinte possible à la vie et à la dignité humaine : l’interruption médicale de grossesse (IMG), la légitime défense sont d’autres exemples.
Ce silence des députés et sénateurs conduit à de nombreuses contradictions et incertitudes concernant le statut de l’enfant à naître et sa protection pénale.
Comment expliquer que cet enfant à naître, vivant et viable dans le ventre de sa mère – in utero – ne soit pas protégé par l’incrimination d’homicide involontaire ; alors que d’autres incriminations pénales le protègent directement ou indirectement, comme par exemple dans les cas suivants : assistance médicale à la procréation, recherche sur l’embryon, interruption illégale de grossesse, circonstances aggravantes lors des infractions volontaires visant la victime enceinte (meurtre, viol, etc.) ?
Comment soutenir que cet enfant à naître, plein de vie, ne soit pas protégé par cette incrimination d’homicide involontaire ; alors qu’un cadavre est protégé ? En effet, l’auteur d’une tentative d’homicide volontaire sur une personne déjà morte (qu’il croyait encore en vie) est punissable pénalement.
Comment justifier l’exclusion de cet enfant à naître de cette protection pénale ; alors que le code civil lui accorde des droits, même s’il est né sans vie ?
Comment convaincre des parents en leur expliquant que leur bébé n’est pas une personne juridique ; alors que sa mère l’a senti bouger en elle, que son père et sa mère l’ont vu comme un être humain miniature entièrement constitué grâce aux progrès de l’imagerie médicale ?
Comment définir avec certitude ledit critère de viabilité eu égard aux progrès de la médecine, notamment de la réanimation, qui reculent de plus en plus les seuils de cette viabilité (malgré la définition de ces seuils par l’Organisation Mondiale de la Santé) ?
Comment admettre que cet enfant à naître ne soit pas considéré comme « autrui » ; étant donné que l’article 221-6 du code pénal qui punit l’homicide involontaire parle de « la mort d’autrui » ? Que veut dire « autrui » : une personne juridique, une personne humaine, une pièce anatomique, un déchet opératoire, un bien, une chose ? Les atteintes aux biens sont d’ailleurs réprimées par le code pénal. Comment accepter cette absence de considération à l’égard de l’enfant à naître, de sa famille, de ses proches ? Alors que cet article « 221-6 du code pénal » relève de la classification suivante :
« Livre II : Des crimes et délits contre les personnes
Titre II : Des atteintes à la personne humaine
Chapitre Ier : Des atteintes à la vie de la personne
Section 2 : Des atteintes involontaires à la vie »
Comment lutter contre la délinquance routière avec une telle situation ambiguë ?
De telles contradictions et incohérences signeraient le malaise du législateur. Ce dernier devrait pourtant rendre intelligible sa conception de l’Homme. Aucun intérêt supérieur n’empêche les représentants du peuple de protéger pénalement la vie anténatale et de faire en sorte qu’un chauffard puisse tomber sous le coup de la loi punissant l’homicide involontaire. La doctrine et les juges invitent à le faire. Deux solutions sont possibles : intégrer l’embryon à la catégorie des personnes au sens du code pénal ; ou lui reconnaître le bénéfice de cette protection par une disposition spéciale (qui déroge aux dispositions générales).
À une époque révolue, les esclaves, pourtant des êtres humains, n’avaient pas non plus la personnalité juridique. Le droit pénal est là pour protéger la vie dès son commencement. L’être humain ne saurait être sacrifié par un concept ou une fiction juridique.
L’enfant à naître est intrinsèquement humain. Il suffit à la loi de le constater. Et en cas de doute sur sa nature, l’embryon, du moins cet enfant à naître, devrait être considéré comme une personne humaine.
Il revient au parlement de se saisir rapidement de cette question ; et d’ouvrir le débat.
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