A Vaulx-en-Velin, "voter, pour quoi faire ?"

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Par AFP
Publié le 09 février 2017 - 11:16
Mis à jour le 18 février 2017 - 10:30
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Un homme au balcon de son appartement le 7 février 2017 à Vaulx-en-Velin
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© JEFF PACHOUD / AFP
Un homme au balcon de son appartement le 7 février 2017 à Vaulx-en-Velin
© JEFF PACHOUD / AFP

Vaulx-en-Velin s'affiche régulièrement, avec Villiers-le-Bel ou Roubaix, parmi les villes les plus abstentionnistes de France. Et ses habitants en sont certains: ce n'est pas 2017 qui changera la donne.

"Aller voter ? Pour quoi faire ? La petite mobilisation collective locale est bien plus efficace aujourd'hui que la politique", lance Anna 49 ans, fille d'immigrés portugais arrivée petite dans cette banlieue de l'est lyonnais.

Anna est énervée de voir ce que "sa ville" est devenue. Beaucoup, surtout, sont nostalgiques d'une époque où l'on y vivait ensemble. "Quand je regarde mes photos de classe, il y avait toutes les couleurs de peau. Quand je vois celles d'aujourd’hui, la mixité n'existe plus", regrette Yamina, qui a grandi là dans les années 1970-1980.

"Dans les premiers temps, il y avait une classe moyenne, des militants gaucho post-68, des +prolos plus+, beaucoup d'instits" logés alors par la ville, poursuit Michèle Burloux-Tortonese, 61 ans, infirmière psychiatrique à la retraite.

Aujourd'hui, presque aucun enseignant en poste dans la commune n'y habite.

- Kebab et béton -

Avec Chantal, ex-institutrice de 70 ans, Michèle refait l'histoire dans le salon de leur ami Patrick, au 15e étage de la tour la plus haute de cette ville de 43.000 habitants.

Quand Chantal était enfant, "Vaulx" c'était surtout des champs en bord de Rhône, des maraîchers. Puis arrive la première ZUP - zone à urbaniser en priorité. Le Mas du Taureau sort de terre, quartier qui deviendra malgré lui un symbole du mal-être des banlieues après les émeutes très médiatisées de 1990.

Depuis, l'endroit a servi de laboratoire à la politique de la ville et son jargon. Le centre a été refait, des immeubles sont tombés et "c'est plutôt plus joli", reconnaît Chantal. Mais le quotidien n'a cessé de se dégrader avec encore 50% de logements sociaux et un taux de chômage de 20%.

"Des commerces il y en a mais des kebabs, des boucheries hallal, des sandwicheries", soupire Michèle.

Il y a des pistes cyclables mais peu de vélos dessus. Le métro s'est arrêté au nouveau centre commercial du Carré de Soie, de l'autre côté du périphérique. Depuis 10 ans, la fréquentation des transports en commun a baissé de 10%, dénonce l'association "Agir Pour Vaulx-en-Velin".

"Ça se dégrade à une allure, les gens sont plus agressifs, communautaristes", assure Chantal Nay.

- Pas un 'ghetto de bobos' -

Les millions injectés dans la rénovation urbaine n'ont pas réussi à enrayer la désaffection citoyenne, dont témoigne régulièrement un taux d'abstention massif. Aux dernières municipales, la socialiste Hélène Geoffroy, après 85 ans de gestion communiste, a remporté le second tour avec 3.760 voix, soit seulement 17% des inscrits.

"Je vomis la politique de la ville, c'est de la fumisterie", tempête Anna, dénonçant le clientélisme "qui dégoûte les gens du politique et de l’engagement associatif".

La politique "doit se faire avec les habitants", or "c'est le préfet qui va nous dire comment on doit agir en fonction de leur obsession du moment", surenchérit Claude Descotes, 53 ans, fonctionnaire territoriale.

"On en vient à des aberrations où on demande à des professionnels d'organiser la Fête des voisins. De toutes les manières, il n'y a plus de Fête des voisins, de peur que les hommes se mélangent aux femmes. Et pour peu que quelqu'un apporte du saucisson, ça ferait une guerre nucléaire", tonne Anna.

"On peut subventionner autant d'associations culturelles, ça ne sert à rien si papa et maman sont au chômage", juge Michèle.

Patrick Chrétien propose un début de solution: baisser les impôts locaux pour réintroduire de la mixité. Avec sa retraite d'instituteur de 1.700 euros, il paie 1.200 euros par an de taxe d'habitation, autant de taxe foncière et 300 euros de charges mensuelles pour son 87 m2. Pas étonnant, pour lui, que les classes moyennes soient parties.

Pour autant, il se plaît ici: "on est dans le vrai monde, pas dans un ghetto de bobos". D'ailleurs, avec d'autres habitants, il a décidé de vieillir à Vaulx et de vieillir bien. Ils construisent leur propre maison de retraite, une coopérative d'habitants écolo baptisée "Chamarel".

"Il y a une envie de faire soi-même et en dehors des cadres", conclut Jean Sintes, ancien maçon de 65 ans, en serrant la main de son épouse.

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