Taïwan face à la Chine : se rapprocher ou s'éloigner de Pékin, la question qui divise

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Damien Durand (Taipei, envoyé spécial)
Publié le 16 novembre 2016 - 16:01
Mis à jour le 02 mars 2017 - 07:53
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Une manifestation de pro-indépendance à Taïwan.
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©Sam Yeh/AFP
Une partie des Taïwanais, plutôt jeune et urbaine, souhaiterait déclarer son indépendance.
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Pour le rapprochement ou pour une séparation plus marquée avec Pékin? La question à Taïwan sort largement du seul cadre diplomatique et clive de plus en plus la population. Au point de faire ressortir des fractures générationnelles, sociales et économiques sur le territoire.
(De notre envoyé spécial) En mai 2016, les Taïwanais ont porté à la présidence de la République, pour un mandat de quatre ans, Tsai Ing-wen, présidente qui, sans être ouvertement indépendantiste, est largement en faveur d'une prise de distance vis-à-vis de Pékin. Mais si son élection a marqué un changement diplomatique, elle a surtout souligné des clivages dans le pays. Portée principalement par l'électorat jeune et urbain qui n'envisage pas que Taïwan soit un jour rattaché à une Chine devenue trop différente, la candidate du Parti démocrate progressiste a aussi été soutenue par les voix des petites entreprises de l'île. Son adversaire battu Eric Chu du Kuomintang -le parti historique qui s'est replié sur Taïwan en 1949 face à l'avancée des maoïstes- était, lui, soutenu par un électorat plus traditionnel, et par les principaux milieux d'affaires qui ont largement contribué à l'émergence du "miracle économique" taïwanais. Cette élection, dont Pékin fût l'un des principaux clivages, a souligné la réalité des dissensions dans la société taïwanaise.
 
Ce ne sont en réalité pas deux, mais "trois Taïwan" qui se juxtaposent dans l'île, avec des disparités de plus de plus marqués. Le premier est tout simplement constitué des Taïwanais "de souche", à savoir ceux dont les familles étaient présentes avant l'arrivée des Chinois du continent chassés par les hommes de Mao. Appartenant pour certains à des cultures aborigènes, et ne parlant à l'origine pas le mandarin -langue offiicielle de Taïwan- les dissensions politiques font ressortir la différence de ceux qui étaient là "les premiers". Kwang-yang, la cinquantaine, le teint foncé, qui accompagne des groupes de touristes (et occasionnellement des Chinois), l'assume pleinement: "Mes ancêtres étaient sur l'île bien avant l'arrivée de Tchang Kai-chek (le dirigeant chinois chassé par les maoïstes, NDLR). Je suis réellement Taïwanais, et, en fait, je ne me sens absolument pas chinois". Une position bien différente de l'électorat du Kuomintang, constitué pour beaucoup de personnes "entre deux âges", descendants directs des exilés de 1949, quand ils n'en étaient pas eux-mêmes. Pour cette catégorie de population qui, balance démographique oblige, est très nombreuse, le rapprochement avec Pékin reste un rêve, et le fait qu'il faille le faire avec une Chine dirigée par le Parti communiste, une concession. Ils sont de ceux qui refusent l'indépendance de l'île, non pas par crainte de représailles, mais parce que l'indépendance déclarée marquerait une défaite: celle de leur perte d'identité. Problème: ceux-là ne ressemblent pas à leurs enfants, ceux qui n'ont jamais connu l'autre rive, et qui ne voient Pékin que comme une puissance totalitaire, et leurs "frères" du continent que comme une population à la culture, aux mœurs et au rapport à la démocratie aux antipodes de leur quotidien. Ce sont eux qui ont porté Tsai Ing-wen au pouvoir. Et qui pourraient la maintenir dans la durée, quitte à rendre la position diplomatique de Taïwan difficile. 
 
Paroxysme récent de ces fractures, la visite de Hung Hsiu-chu, l'actuelle présidente du Kuomintang, en Chine où elle a été reçue avec les honneurs, alors que Pékin ne daigne même pas échanger avec la présidente Tsai Ing-wen. Ce déplacement, la chaleur apparente de l'échange de la leader de l'opposition avec Xi Jinping, et les positions pro-chinoises de plus en plus marquées de Hung Hsiu-chu ont déchaîné la polémique sur l'île. Et renforcé un peu plus encore les clivages. 
 
Clivages qui ne sont uniquement politiques ou culturels mais aussi économiques. Car le tissu d'entreprises n'a jamais semblé avoir autant d'intérêts divergents que sur la question chinoise. D'un côté les locomotives de l'industrie taïwanaise, comme les fabricants électroniques Foxconn -qui emploie plus d'un million de personnes en Chine- ou Acer, qui se sont découvert depuis dix ans une passion pour le rapprochement entre les deux rives. De l'autre, le tissu des moyennes et petites entreprises qui s'est, lui, largement rangé derrière Tsai Ing-wen. Et pour cause: ces petites sociétés ne voient pas du tout la Chine comme une opportunité mais comme un danger de dumping sur les prix. Comme en Europe donc, la distance en moins. Une source diplomatique qui suit les dossiers de rapprochement économique Taïwan-Chine nous confirme d'ailleurs que le clivage est parfaitement justifié: "Foxconn et Acer font d'importants profits grâce au rapprochement qui leur permet de s'implanter plus facilement en Chine. Mais à l'inverse, il est clair que les PME taïwanaises n'ont pratiquement aucun intérêt à l'accroissement des échanges. Les écarts économiques sont encore trop importants. Il y a donc un intérêt politique bien distinct selon la taille de l'entreprise".
 
Les autorités taïwanaises, même si elles sont idéologiquement orientées vers un plus grand détachement, doivent malgré tout trouver une position commune aux intérêts de tous les citoyens. Ce qui n'est pas chose aisée: "Notre mission est de parvenir à unir les partis, les entreprises et les citoyens dans un même consensus sur la question chinoise... et c'est difficile" avoue à FranceSoir Chiu Chui-cheng, le vice-ministre chargé des Relations avec la Chine continentale. D'autant qu'une source diplomatique rappelle une autre difficulté que doit affronter Taïwan: "Nous sommes un Etat de droit démocratique. Cela veut dire que, dans la durée, et avec une certaine régularité, notre position change au gré des alternances politiques. Cela nous rend la tâche plus compliquée" nous explique-t-on. Rajoutant malicieusement que "comme c'est une question liée à la démocratie, c'est un problème que n'a pas la Chine"
 

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