Quand Abdeslam évoquait devant les enquêteurs son "bon ami" Abaaoud
"Un bon ami", "un chouette gars": ainsi parlait début 2015 devant les enquêteurs belges Salah Abdeslam, en fuite depuis les attentats de Paris, quand il évoquait Abdelhamid Abaaoud, l'organisateur présumé des attaques du 13 novembre. Lieutenant, logisticien, kamikaze raté, recruteur? Le rôle exact de Salah Abdeslam, 26 ans, délinquant de Molenbeek, commune bruxelloise, reste à dessiner.
Mais au-delà de son statut de probable "dixième homme" des attaques, son rôle apparaît crucial dans la genèse des attentats les plus meurtriers de l'histoire de France (130 morts). Notamment au regard de ses liens étroits avec Abaaoud, mort à 28 ans le 18 novembre lors de l'assaut de l'appartement de la banlieue parisienne où il avait trouvé refuge avec un complice encore non identifié.
Plusieurs proches entendus ont raconté comment, jusqu'au départ d'Abaaoud en Syrie début 2013, ces deux "vrais petits voyous" faisaient "les 400 coups", "tout le temps ensemble", rapporte à l'AFP une source proche du dossier.
Fin février 2015, un mois et demi après le démantèlement de la cellule djihadiste de Verviers en Belgique dont Abaaoud était le chef, les enquêteurs belges avaient d'ailleurs entendu Abdeslam dont ils savent qu'il fraie avec la mouvance islamiste radicale de Molenbeek. Ils sont aussi convaincus qu'il a été récemment en contact avec Abaaoud, selon la source.
Abaaoud n'est alors plus un complice de délinquance d'Abdeslam mais une cible prioritaire des services antiterroristes européens. Pour Abdeslam, il reste "un chouette gars", qu'il connaissait depuis "plus de dix ans" avec qui il "traînait tout le temps", "un bon ami", rapporte la source proche du dossier. Il affirme l'avoir un peu perdu de vue, dit rejeter ses actes mais ajoute: "En dehors du djihad, c'est quelqu'un de bien".
Outre Verviers, Abaaoud est alors sous le coup d'une condamnation à vingt ans de prison pour avoir enlevé début 2014 son petit frère de 13 ans et l'avoir emmené en Syrie. Il apparaît dans les enquêtes sur plusieurs actions ou projets terroristes de ces derniers mois.
Et Abaaoud est le "premier rôle" d'une vidéo de propagande djihadiste de mars 2014 où il devise, visage réjoui et parole satisfaite, au volant d'un 4x4 traînant des cadavres de soldats syriens et jouant avec des têtes décapitées.
Lors de son audition, Salah Abdeslam ne peut ignorer que son ami est devenu un personnage important de l'organisation de l'Etat islamique (Daech), apparaissant comme un des cadres du sous-groupe al-Battar.
Mais Salah Abdeslam présente un profil déroutant, décrit par des proches comme un musulman "pas trop pratiquant", qui "sortait en boîte", "buvait de l'alcool et ne faisait pas sa prière" ou alors pas régulièrement. Certes, il évoque dans son entourage ses velléités de départ en Syrie, notamment fin 2014, mais parle aussi d'un mariage, selon une source proche de l'enquête.
Il fréquente les casinos: en juin 2014 à Breda (Pays-Bas), où il se rend avec trois hommes, dont son frère Brahim, un des kamikazes du 13 novembre; mi-2015 à Bruxelles, en compagnie d'Ahmed Dahmani, le délinquant bruxellois radicalisé arrêté en Turquie quelques jours après les attentats.
En juillet, Abdeslam est contrôlé par les douanes dans le Haut-Rhin en possession d'un peu de cannabis, drogue que plusieurs membres de la mouvance radicale de Molenbeek semblent consommer régulièrement.
Mais la biographie récente d'Abdeslam comporte des aspects moins anodins. Ses voyages en Europe sont incessants: en Grèce avec Dahmani début août, puis en Autriche ou encore en Hongrie où transite le flot des migrants venus de Syrie. Il est aussi celui qui a loué des voitures et plusieurs logements pour le commando. Il utilise de nombreux portables.
Trois jours avant les attentats, il mange à Bruxelles avec une connaissance et pleure sans donner d'explication, selon une source proche de l'enquête. Le lendemain, il appelle un interlocuteur en Belgique avec un numéro allemand. Ce même jour, il est repéré sur une autoroute française avec Mohamed Abrini, un autre fugitif. Il revient en Belgique.
Le soir du 13, il convoie sans doute les kamikazes du Stade de France, est géolocalisé à Paris, abandonne une ceinture explosive au sud de Paris, appelle à la rescousse deux amis bruxellois, échappe à trois barrages policiers sur la route du retour vers la Belgique, envoie un ultime SMS à un mystérieux destinataire. Et disparaît. Depuis, traqué par les polices d'Europe, Salah Abdeslam semble s'être évanoui.
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