A Calais, pas de trêve hivernale pour les migrants
"Mon anniversaire est dans quelques jours, mais je ne crois pas que je vais le fêter", sourit amèrement Mohamed, Syrien de 23 ans. Comme lui, les 500 à 700 migrants de Calais subissent désormais la morsure du froid, 24 heures sur 24 en l'absence totale d'abri.
A midi, la distribution de nourriture proche du centre-ville agglomère autour de la camionnette de l'Auberge des migrants des grappes d'exilés. Ils viennent recharger leur portable, mais aussi et surtout leurs propres batteries, bien entamées par le climat venteux et le manque de sommeil.
Sur le visage de Mohamed se lit déjà la lassitude, lui qui n'est arrivé que depuis quatre jours à Calais. Pourtant en se réchauffant les mains autour d'une barquette de ragoût, il relativise: "C'est rude. Il fait vraiment froid. Mais moi au moins, je n'ai pas de problème de vêtements et j'ai un sac de couchage".
Son alter ego syrien du même nom, Mohamed, 30 ans, n'a pas la même "chance". "J'ai besoin de meilleures chaussures", confie-t-il en montrant plusieurs trous. "Je demande tous les jours" aux associatifs, en vain.
La pénurie de chaussures est en effet l'une des préoccupations majeures du moment. Elle est entretenue par les pouvoirs publics, dénoncent certaines associations. "Les biens sont confisqués et détruits systématiquement, du sac de couchage aux tentes en passant par les chaussures et les biens personnels", rapporte Franck Esnée, coordinateur régional pour Médecins du Monde.
"On doit redistribuer ça toutes les semaines, voire plus", abonde Sylvain Marty en montrant un rayonnage entier de sacs de couchage dans le hangar de l'Auberge des migrants. Il grince: "Les exilés ne comprennent pas pourquoi il y a des blancs-becs qui leur amènent des couvertures et d'autres blancs-becs qui les reprennent le jour d'après".
Sollicitée par l'AFP, la préfecture du Pas-de-Calais a reconnu que "des opérations de démantèlement ont lieu, aussi bien dans des espaces publics que privés". Quand ils sont présents, "les migrants sont systématiquement invités à conserver leurs effets personnels (documents personnels, téléphone, vêtements, duvets, couvertures)", ajoute-t-elle. S'ils sont absents, par exemple pour se rendre à une distribution de nourriture, ces "effets" sont en revanche emportés.
- Hypothermie -
"Je suis ici depuis quatre mois, je dors dans la rue", souffle Girmoy, Erythréen de 42 ans, avant de faire la queue pour manger. "Je suis seul. 24 heures sur 24 j'ai froid. Et quand je rencontre la police, je m'enfuis".
En début de semaine, une quarantaine de policiers sont arrivés, s'ajoutant aux 1.130 policiers et gendarmes travaillant dans le Calaisis, dont 440 dédiés à la "problématique migratoire", selon la préfecture du Pas-de-Calais.
"L'Etat doit entendre que la solution, ce n'est pas de faire comme si les migrants étaient invisibles", estime Franck Esnée. "Le plan grand froid ne permettra vraisemblablement une mise à l'abri qu'à partir de - 5 degrés (le jour, et - 10 la nuit, ndlr), c'est insuffisant".
Selon lui, les migrants qui occupent l'une des 300 places des quatre Centres d'accueil et d'examen des situations (CAES) ouverts par l'Etat dans les Hauts-de-France repartent sur le littoral après une ou deux nuits. La plupart n'a aucune intention de demander l'asile en France.
Face aux conditions extrêmes, la tentation de la boisson a pu exister. La maire LR de Calais Natacha Bouchart avait fin octobre vilipendé des migrants qui "boivent beaucoup, au litre, de la vodka, et provoquent plus de rixes". Le viol présumé d'une Calaisienne par un Erythréen de 22 ans quelques jours plus tard a alimenté sa rhétorique.
Tout en condamnant ces termes, Sylvain Marty admet avoir organisé "plusieurs réunions avec certains pour leur dire de se calmer sur l'alcool, ce qu'ils ont fait". Les premières victimes étaient les migrants eux-mêmes: "Un matin j'ai ramassé quelqu'un en hypothermie près du canal, il n'arrivait pas à se réveiller avec l'alcool de la veille, il a dû rester deux jours à l'hôpital".
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