Dans les prisons d'Ukraine, des conditions désastreuses et peu de progrès
Dans une atmosphère fétide, une vingtaine d'hommes s'entassent dans une cellule aux murs décrépis où s'agitent des cafards. Autrefois connue pour ses prisonniers politiques célèbres, la prison Loukianivska de Kiev symbolise aujourd'hui le terrible état du système pénitentiaire ukrainien.
"C'est comme ça", lance à l'AFP, fataliste et l'air gêné, un prisonnier en écartant un rideau qui ressemble à un torchon, censé isoler des toilettes à la turque au carrelage brisé et couvertes de moisissures.
Largement hérité de l'époque soviétique, le système pénitentiaire ukrainien, qui compte 57.000 détenus dans environ 140 prisons, est réputé pour ses conditions désastreuses.
Si les autorités ont entrepris de le réformer, les progrès sont lents, notamment faute de financement.
Dans un rapport l'an dernier, le département d'Etat américain a dénoncé les conditions "pitoyables", qui parfois "menacent la vie et la santé des prisonniers", citant notamment des "abus physiques, un manque de nutrition et soins médicaux appropriés, des piètres conditions d'hygiène et un manque d'éclairage".
Être condamné à la "réclusion à perpétuité en Ukraine relève de facto d'une lente exécution car les conditions de détention sont cauchemardesques", s’insurgeait en 2016 l'Union d'Helsinki, une organisation ukrainienne militant pour les droits de l'Homme.
Selon le ministère ukrainien de la Justice, ce problème a déjà coûté à l'Etat ukrainien, depuis l'indépendance en 1991, plus d'un million d'euros d'indemnités à la suite de condamnations par la Cour européenne des droits de l'Homme.
- Des dissidents -
La situation est particulièrement mauvaise dans les centres de détention provisoire, connus sous l'acronyme SIZO, où les suspects attendent leur procès parfois pendant des années.
L'Ukraine compte une trentaine de SIZO qui représentent le tiers de la population carcérale.
Située à deux pas du centre-ville de Kiev, en plein quartier résidentiel, la SIZO Loukianivska, avec ses 2.500 occupants, figure parmi les pires en Ukraine, selon le dernier rapport de la Représentante ukrainienne pour les droits de l'Homme.
Cet établissement, dont le plus ancien bâtiment date d'il y a 150 ans, a accueilli de redoutés criminels mais aussi des prisonniers politiques dont Félix Dzerjinski, créateur et dirigeant de la redoutée police politique communiste, le fameux cinéaste soviétique Sergueï Paradjanov ou encore de nombreux dissidents.
Plus récemment, l'ex-Premier ministre Ioulia Timochenko, l'une des favorites des sondages pour la présidentielle de 2019, est passée deux fois par Loukianivska, dans la partie réservée aux femmes, où les conditions de détention sont moins difficiles.
Si une partie des locaux de Loukianivska a été rénovée, les plus anciens bâtiments devraient être démolis.
"Il est impossible d'enlever la moisissure car elle a pénétré les murs de part en part. Cela n'a pas de sens de faire des travaux ici. Il faut un nouveau bâtiment", dit le vice-ministre de la Justice Denys Tchernychov lors d'une visite de ces locaux avec l'AFP.
Le gouvernement propose de céder le territoire occupé par Loukianivska à un investisseur en échange de la construction d'une nouvelle prison hors de Kiev. Mais pour l'instant, l'Etat n'a reçu "aucune offre", avoue le responsable.
- Dormir à tour de rôle -
Issues du mouvement pro-occidental du Maïdan, les autorités ukrainiennes ont lancé il y a deux ans une réforme visant à moderniser le système pénitentiaire mais elle peine à se concrétiser, notamment en raison du manque de financement.
"Malheureusement, aucune amélioration considérable (...) n'a eu lieu", souligne le rapport de la représentante nationale pour les droits de l'Homme publié en 2018, faisant état de 1.500 plaintes déposées par les prisonniers ukrainiens concernant la violation de leurs droits l'an dernier.
Pour Andriï Didenko, qui a passé huit ans en prison avant d'intégrer le Groupe de Kharkiv pour la défense des droits de l'Homme, la situation "est en train de s'améliorer", notamment dans les centres de détention préliminaire.
"L'ouverture du système pénitentiaire au contrôle public (...) contribue à réduire le nombre de tortures et au respect des standards minimum par les dirigeants des prisons", souligne auprès de l'AFP cet homme de 50 ans.
La nouvelle législation, qui favorise l'assignation à résidence ou la libération sous caution, permet de réduire le surpeuplement des SIZO, assure-t-il.
Dans le passé, rappelle M. Didenko, "on mettait parfois 10 ou 12 prisonniers dans des cellules de quatre personnes". "Certains détenus n'avaient même pas de lit et devaient dormir à tour de rôle".
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