Les scénaristes et acteurs d’Hollywood mobilisés contre l’ubérisation de leurs métiers et la menace de l’Intelligence Artificielle
ÉTATS-UNIS - Point sur la grève des scénaristes à Hollywood. Le business des séries rapporte moins, mais Wall Street n'entend pas rogner sur ses bénéfices pour autant. La finance applique son modèle, à savoir couper en priorité dans les budgets des fonctions essentielles à l’industrie, pour ensuite prétexter que l'intelligence artificielle (IA) arrivera très bien à les remplacer. Hollywood est en marche pour se faire broyer par la machine.
La WGA (Writers Guild of America) est le syndicat représentatif des droits des scénaristes aux États-Unis. Il négocie actuellement avec l'Alliance des producteurs de cinéma et de télévision (AMPTP) depuis mai.
Un modèle de financement qui ne tient plus
Les plateformes de streaming sont toutes cotées en Bourse. Une société comme Netflix n’a pas seulement comme actionnaire principal son fondateur, Reed Hastings, on retrouve aussi à son conseil d'administration d’autres actionnaires institutionnels tels que The Vanguard Group ou encore BlackRock.
Les distributeurs de vidéos à la demande n’échappent donc pas à la dure loi de Wall Street, qui réclame une croissance constante et infinie. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on note une hausse exponentielle du nombre de séries produites aux États-Unis ces dernières années. En 2021, on ne recensait pas moins de 559 séries diffusées rien qu’au pays de l’Oncle Sam.
Sauf que pour la plupart de ces plateformes, le plafond d’abonnements est atteint. Il faut toutefois bien comprendre que contrairement au monde de la télé, ce genre de service de diffusion ne gagne pas d’argent grâce au nombre de vues, mais grâce au nombre d’abonnements. À un prix d’environ 10 euros par mois, qui a les moyens de s’abonner à la fois à Disney+, HBO, AppleTV+ et Netflix, pour ne citer qu’eux ?
Sans compter que la qualité du contenu diffusé est parfois controversée. Le 20 avril 2022, le magazine Vanity Fair relevait notamment qu’Elon Musk attribuait en partie la perte de vitesse de Netflix au "virus woke" qui rendait la plateforme "irregardable".
Certes, le modèle de financement s’essouffle. Pourtant, les six PDG les plus en vue de l’industrie ont été payés à eux seuls 773 millions de dollars l’année dernière, comme le révèle le magazine américain Variety. Bien évidemment, les actionnaires n’entendent pas renier sur leurs profits, mais bien raboter sur le budget des salariés essentiels à l’activité : les scénaristes.
Uberisation de la créativité
L’arrivée du streaming a sensiblement changé les règles du jeu pour ce corps de métier. Les scénaristes continuent d’être rémunérés au nombre d’épisodes produits, alors que les séries sont devenues si complexes que la logistique déployée pour les réaliser égale maintenant celle d’un film. Il en résulte qu’une saison ne dépasse pas plus d’une dizaine d’épisodes de nos jours. Ce qui n’empêche pas les plateformes de continuer à vouloir minimiser les coûts de production.
Pour cela, elles ont poussé le concept de la "Mini-room" à son paroxysme. Si un service de vidéo à la demande est séduit par un projet de série, il demande au créateur d’écrire le script en un temps record, avec d’autres scénaristes engagés en free-lance, dans la phase dite de "pré-production". C’est une phase très rentable où les créateurs sont payés au minimum légal, même les plus expérimentés d’entre eux. Les plateformes exigent désormais que la totalité de la production soit écrite à ce moment-là, et que les scénaristes n’aient plus la main sur la réalisation.
Pire encore, pendant l’épidémie de Covid, la plupart des Mini-rooms se sont déroulées à distance, en réunion virtuelle. "Une nécessité qui est devenue une norme pour faire des économies", s’est plainte la réalisatrice Laura Jacqmin au magazine The New Yorker, "cela a détruit la camaraderie qui aidait les scénaristes à apprendre les uns des autres", a-t-elle poursuivi. Il est vrai que les nouvelles technologies n’ont pas fini d’inquiéter le milieu.
Pari sur l’intelligence artificielle
La plateforme de streaming de Disney n’a pas caché ses intentions de vouloir utiliser l’intelligence artificielle pour générer des scripts à partir d’œuvres tombées dans le domaine public. Le métier de scénariste est donc voué à disparaître si d’autres studios lui emboîtent le pas.
Pour l’heure, Disney+ vient d’effrayer Hollywood tout entier. En juin dernier, il a diffusé le générique de sa prochaine série Marvel, complètement généré par une intelligence artificielle.
No way in hell Marvel used AI to create the secret invasion intro, this is the worst intro for any TV show ever #SecretInvasion pic.twitter.com/XePW5a4CtB
— Fdm (@theSnyderKnight) June 21, 2023
Et ce n’est plus seulement les scénaristes qui prennent peur. Les acteurs sont en train de prendre conscience qu’ils sont assis sur le même siège éjectable que celui de leurs confrères. C’est aux doubleurs de voix qu’on s’attaque en premier. Les studios veulent utiliser leurs voix sans avoir à les payer. Le New York Times publiait le 29 avril dernier que Netflix commençait à envoyer des contrats aux voix off pour qu’ils autorisent "l’usage gratuit de leur voix à travers tout l’univers et pour l’éternité". Rien que ça.
Pour la première fois depuis 43 ans, le principal syndicat des acteurs hollywoodiens s’est mis en grève à la mi-juillet.
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