Irène Frachon ou l'obstination d'une femme au destin tracé

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Par Sandra FERRER - Brest (AFP)
Publié le 15 octobre 2019 - 12:56
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Le pneumologue française Irène Frachon le 17 septembre 2019 à Brest
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© FRED TANNEAU / AFP/Archives
Le pneumologue française Irène Frachon le 17 septembre 2019 à Brest
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L'histoire de la pneumologue Irène Frachon, qui a révélé le scandale du Mediator et doit témoigner au procès fleuve mercredi, semble avoir été écrite dès le berceau lorsqu'elle naît un 26 mars 1963, l'année même de la commercialisation du Pondéral, premier médicament coup-faim des laboratoires Servier.

"Je suis née avec l'affaire Servier !", s'amuse cette femme de 56 ans à l'allure décontractée mais assurée lors d'un entretien avec l'AFP à Brest, où elle réside depuis 1997 avec son mari hydrographe.

La jeune Irène grandit en banlieue parisienne dans une famille protestante des Charentes, dont la foi va forger à jamais le caractère.

Le pasteur noir Martin Luther King, assassiné l'année de sa naissance, et Albert Schweizer (1875-1965), théologien protestant et l'un des plus grands médecins humanitaires du XXe siècle, sont les héros de son enfance.

"Quoi qu'il m'arrive ici bas, ça n'a aucune importance, ce qui compte c'est que je fasse ce que j'ai à faire", résume cette mère de quatre enfants, dont la vie va basculer à partir de 2007, lorsqu'elle entame des recherches sur les effets sur le cœur du Mediator. Elle ne se doute alors pas qu'elle va mettre au jour l'un des plus importants scandales sanitaires en France.

Commercialisé dès 1976 comme antidiabétique mais largement prescrit comme coupe-faim, le médicament fait l'objet à partir de 1999 d'alertes tout aussi répétées que vaines.

"Cette histoire, ça fait 30 ans qu'elle me hante", explique Irène Frachon. Jeune médecin en banlieue parisienne, elle est dans les années 1990 témoin des tentatives de ses collègues de faire interdire l'Isoméride, autre médicament du groupe Servier, lui aussi prescrit comme coupe-faim et nocif pour le cœur.

- "Menaces de mort" -

"Menaces de mort, de procès, pressions diverses... c'était extrêmement dur", se souvient-elle. Lancé en 1985, l'Isoméride est finalement retiré de la vente en 1997. "Les victimes mouraient dans mes bras", se remémore la brestoise aux cheveux invariablement noués en chignon.

Le Mediator sera lui retiré de la vente en 2009, après son utilisation pendant 33 ans par cinq millions de personnes. Un retrait qui se fait en catimini cependant, au grand désespoir de cette femme profondément humaine, en guerre contre "un industriel sans scrupule".

Elle va alors révéler le scandale en publiant en juin 2010 un livre intitulé "Mediator 150 mg. Combien de morts?" Largement médiatisé, l'ouvrage est immédiatement attaqué en justice par Servier, entraînant la censure de son sous-titre.

"Ça a été très violent cette censure, se souvient-elle, j'ai dit à mon mari: +on achète tous les livres, on les crame et on passe à autre chose+. Je crevais de trouille".

Mais rapidement, son éducation protestante se rappelle à elle et lui donne la force de poursuivre le combat - qui sera porté au cinéma et au théâtre - contre ceux qu'elle qualifie de "criminels à col blanc".

"Je me suis dit que si je n'y allais pas, absolument personne ne le ferait, jamais", explique celle qui est parfois comparée à la militante écologiste Erin Brockovich, héroïne d'un film oscarisé avec Julia Roberts qui a rendu célèbre son combat contre les multinationales américaines.

Fille d'ingénieurs, Irène Frachon est aussi la petite-fille de deux figures de la Seconde guerre mondiale, Hubert Meyer et Jacques Allier, des "modèles" pour elle. Le premier a négocié la reddition de La Rochelle en 1944, le second sécurisé en 1940 un stock d'eau lourde empêchant les nazis de se doter de l'arme atomique.

"Quand elle a quelque chose en tête, rien ne l'arrête", assure à l'AFP sa fille aînée Adèle Frachon, 28 ans, interne en médecine à Bordeaux. L'un des avocats des victimes du Mediator, Charles Joseph-Oudin, loue de son côté son "énergie".

Après douze ans d'un combat acharné - pour faire éclater l'affaire et aider les victimes à obtenir réparation - et alors que se tient à Paris le "tant attendu" procès pénal du Mediator, cette amoureuse de voile et de musique s'attend désormais a retrouver une vie "presque normale" à la pointe du Finistère, dans sa maison face à la mer.

"Cette histoire me tiendra jusqu'à la fin de mes jours", glisse celle qui est devenue une figure emblématique des lanceurs d'alerte.

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