"J'ai attendu cela toute ma vie" : des centaines d'appels sur la ligne Inceste
Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, à Bobigny le 4 février 2021
Les victimes de violences sexuelles dans l'enfance sont appelées à témoigner sur une plateforme téléphonique et un site internet qui ont reçu "des centaines" d'appels et courriels quelques heures après leur lancement mardi.
"En quelques heures, il y a déjà des centaines et centaines d'appels et courriers électroniques adressés à la commission, cela veut bien dire qu'il y a un besoin social de très grande ampleur", a indiqué le juge Edouard Durand, coprésident de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) qui a mis en place ce dispositif.
Les victimes peuvent appeler entre 10H00 et 19H00 le 0805 802 804 (ou le 0800 100 811 pour l'outre-mer), où elles sont entendues par des écoutantes formées à la spécificité des violences sexuelles du CFCV (Collectif féministe contre le viol) et de SOS-Kriz. Elles peuvent aussi témoigner par écrit par le biais du site de la (https://www.ciivise.fr/).
"Ca n'arrête pas de sonner et des mails sont arrivés toute la matinée", a indiqué Louis Jehel de SOS-Kriz.
Selon l'enquête nationale Virage de 2015, 14,5% des femmes et 4% des hommes ont subi des violences sexuelles au cours de leur vie. Plus de la moitié des femmes et deux tiers des hommes ont subi ces violences avant 18 ans.
"Une femme m'a dit qu'elle avait attendu cet appel à témoignages toute sa vie", témoigne Elodie, une écoutante, dans les salles du CFCV à Paris.
"Certaines ont dit que c'était la première fois qu'elles parlaient. D'autres ont crié à l'aide à de multiples reprises, mais cela n'a rien changé", raconte-t-elle.
"Certaines ont parlé de leur vie brisée, pourrie par ce qu'elles ont subi. Mais elles disent qu'elles ne veulent pas que cela se produise pour d'autres", indique l'écoutante qui ne demande que le prénom et le département de son interlocuteur.
Les travaux de la Ciivise ont commencé en mars, dans le sillage de la publication de "La familia grande", de Camille Kouchner, qui accusait son beau-père, le politologue Olivier Duhamel, de viols sur son frère jumeau. Le livre de la fille de l'ex-ministre Bernard Kouchner avait provoqué une onde de choc, entraînant des milliers de témoignages sur les réseaux sociaux sous le mot-dièse #MeTooInceste.
- parquets sensibilisés -
Composée de magistrats, avocats, membres des forces de l'ordre, chercheurs, psychologues ou pédiatres, la Ciivise a pour mission de recueillir la parole des victimes d'inceste, de mieux connaître le phénomène, et de formuler des recommandations pour l'action publique.
Les victimes sont invitées ainsi à remplir un questionnaire sur le site "qui va permettre de donner à la société une vision claire des mécanismes des violences sexuelles" et les réponses sociales et judiciaires reçues. Ces éléments inspireront les préconisations que la Ciivise formulera à l'horizon 2023.
"Vous avez parlé de ces violences à votre famille à l'époque, mais ils n'ont rien fait? Vous vous rendez compte que cela ajoute de la violence à ce que que vous avez subi? Cela les a rendus complices de votre agresseur", dit une écoutante à son interlocuteur.
La plate-forme orientera les personnes vers des aides juridiques, psychologiques ou des soins. "Il est possible aujourd'hui de soigner le psychotraumatisme, au lieu d'en traiter les symptômes toute la vie", explique M. Durand, juge des enfants pendant 17 ans.
Elle pourra être amenée à faire des signalements à la justice.
"Le garde des Sceaux a sensibilisé l'ensemble des parquets à la forte probabilité qu'un certain nombre de dossiers soient transmis et donc que les parquets y prêtent une attention toute particulière", a indiqué le secrétaire d'Etat à l'Enfance, Adrien Taquet, lors d'un point presse.
Dans l'Education nationale également, un "repérage systématique" des violences sexuelles subies par les enfants est mis en oeuvre, renforcé depuis cette rentrée scolaire, a-t-il dit.
A partir du 20 octobre, les membres de la Commission Inceste iront dans le pays à la rencontre des victimes et du public, en organisant des réunions publiques, et en consultant des professionnels, juges, médecins, services sociaux, forces de l'ordre, institutions, à la recherche de "bonnes pratiques" pour aborder ces problèmes.
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