La discrète mesure budgétaire qui coûte plus d'un milliard aux assureurs
Une facture de plus d'un milliard d'euros pour les assureurs français: c'est le prix d'une mesure passée quasi inaperçu dans le budget 2018 et mettant fin à un état de fait qui perdurait depuis les années d'après-guerre.
"Suppression du dispositif de prise en charge par l'Etat d'une part des majorations de rentes viagères": derrière cet intitulé technique, l'article 55 du projet de loi de finances pour 2018 prive d'une précieuse béquille plusieurs compagnies d'assurances.
L'origine de cette mesure remonte à l'après-guerre. En 1949, l'Etat a imposé aux compagnies de relever le niveau de certaines rentes, qui s'apparentent à une retraite par capitalisation: le particulier, qui a épargné pendant de longues années, bénéficie ensuite d'une somme fixe qui lui est versée jusqu'à son décès.
La mesure, qui n'a été ensuite abrogée que pour les contrats signés après 1987, visait à compenser les effets négatifs de la forte inflation de l'époque. Mais, comme le contexte fragilisait également les organismes concernés, l'Etat avait décidé d'en prendre sa part: il en remboursait une partie l'année suivante aux compagnies.
A l'occasion du dernier budget en date, "ils ont considéré qu'ils ne voulaient plus payer ça et qu'ils renvoyaient la charge aux assureurs", grogne Thierry Martel, directeur général de la compagnie Groupama.
M. Martel s'exprimait en mars, lors de la présentation des résultats de son groupe: il fait partie des assureurs pour lesquels l'impact est le plus évident, avec une charge de plus de 100 millions d'euros dans ses comptes de l'an dernier.
Quant au coût total pour le secteur, le montant précis est difficilement mesurable: il dépend de la longévité des 500.000 bénéficiaires encore en vie, âgés en moyenne d'un peu moins de 80 ans.
Les estimations convergent néanmoins. M. Martel évoque un montant cumulé sur plusieurs années de 1,5 milliard d'euros, tandis qu'une députée de la majorité évoquait, lors des débats budgétaires, des économies pour l'Etat "d'un peu plus d'un milliard".
- "Coup de grâce" -
C'est bien l'angle retenu à Bercy pour expliquer cette mesure: "c'était une mesure d'économie du budget", dit-on à l'AFP, estimant actuellement son coût annuel entre 100 et 140 millions.
Reste que la décision n'a guère fait de vagues par rapport à d'autres mesures promues avec le même argumentaire, dont, en premier lieu, la légère diminution des aides au logement (APL).
A l'Assemblée, quelques amendements ont été défendus - par des élus Les Républicains - contre la suppression d'une mesure "de solidarité nationale", qualifiée d'acte de déloyauté envers les assureurs. Ils ont été rejetés.
Le sujet était, de fait, peu porteur pour les compagnies d'assurance. Pour les particuliers, la mesure n'a pas de conséquence: leurs rentes resteront au même niveau. Qui plus est, tout le secteur n'est pas concerné.
"Comme c'est une mesure qui remonte à l'après-guerre, ça n'a touché que les groupes qui étaient là" à l'époque, explique M. Martel, reconnaissant que le secteur avait été peu audible sur le sujet.
Si, dans un secteur très éclaté, la décision concerne une quarantaine d'établissements, les conséquences sont surtout marquées pour cinq gros acteurs: Axa, la filiale française de l'allemand Allianz, CNP (contrôlé par l'Etat via la Caisse des dépôts et la Banque postale), Groupama et La Mondiale, désormais associée à AG2R.
Enfin, la décision de Bercy n'a pas sonné un arrêt brutal du dispositif. La participation de l'Etat avait été drastiquement réduite au début des années 1980 et les esprits étaient préparés par la Cour des comptes qui s'est prononcée en 2017 pour un désengagement de l'Etat.
En fin de compte, c'est "une surprise de la loi de finance" mais ce n'est "pas étonnant", soupirait début avril André Renaudin, directeur général d'AG2R La Mondiale, lors de la présentation des résultats marqués par une charge de 100 millions d'euros à cause du sujet.
"Ca fait 30 ans que je connais bien ce dossier", déjà marqué par de multiples "coups de rabots", concluait-il . "Là, c'est le coup de grâce."
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