24 heures dans la peau d’une femme

Auteur(s)
Xavier Azalbert, directeur de la publication de FranceSoir
Publié le 08 mars 2022 - 13:04
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Les joies du télétravail...
Crédits
OLI SCARFF / AFP
Ce n'est pas une sinécure...
OLI SCARFF / AFP

ÉDITO — Aujourd'hui, mardi 8 mars 2022, c'est la journée de la femme.

Donc je me lève. Et je la bouscule. Elle n'se réveille pas. Comme d'habitude. Ma main, caresse ses cheveux, presque malgré moi. Comme d'habitude. Et là, passant aussi mystérieusement que soudainement de Claude François à Michel Sardou, j'ai imaginé sans complexe, que c'matin je changeais de sexe. Que je vivais l'étrange situation, d'être une femme. Vous me direz, Mesdames, si je me suis beaucoup trompé ou pas ; voici ce que j'ai ressenti comme étant mon vécu, ces 24 heures que j'ai passées dans la peau d'une femme, en cette journée qui « nous » est généreusement offerte une fois l'an.

24 heures

Je ne rêve pas. Ce n’est pas la sonnerie rageuse du réveil qui m'extirpe du sommeil, mais mon petit dernier, trois ans. Il me quémande son chocolat au lait :

« Maman, j’ai faim. Sylvie (sa grande sœur) a fini la confiture, et tu as oublié d’en racheter. »

Ma journée commence bien...

La sonnerie mélodieuse du réveil, accompagnée de la voix suave de mon présentateur radio préféré, ne m’accompagnera donc pas ce matin. Je ne prendrai pas le temps de savoir ce qui se passe en France et dans le monde. Les yeux mi-clos, je me lève à moitié endormie, pour prendre mon café, le café que, hélas, mon compagnon n'a pas eu le temps de préparer avant de partir travailler. Et de même pour le petit-déjeuner des enfants.

En temps normal, je me serais réveillée et j'aurais accompli sans stress les tâches matinales de mon quotidien. Là, je ne sais pas pourquoi, tout s’accélère. Tout a l'air plus compliqué, et rien ne semble vouloir se passer normalement. Cependant, il va falloir assurer. Et à tous les niveaux !

Débarrassée la table, ça y est : ça, c'est fait. J’enfile une robe, féminité au travail oblige, et, premier sprint de la journée, je me précipite dans ma voiture. Car en plus de ne pas vouloir être en retard, tant pour ce qui est de conduire les enfants, d'amener l'aînée à l'école et le cadet à la crèche, ma voiture, quand j'y suis enfin seule, quelque part, c'est mon espace de liberté.

Oui. C'est l'endroit où je prends le temps d’écouter la radio, de me maquiller au feu rouge, et, en même temps, de noter sur un papier la liste des courses que je devrais faire entre midi et deux. Si j'ai le temps. S'il n'y a pas trop de monde au magasin. Et si rien de véritablement dramatique n'intervient d'ici là.

Neuf heures, j’arrive au travail. Trente minutes à peine que j'y suis, que la crèche m’appelle pour me dire que le petit tousse, et folie-phobie de la covid faisant, il faut que j’aille le chercher.

Qu’à cela ne tienne ! Maman courage, maman dévouée, et surtout maman qui n'a pas la possibilité matérielle ni financière de faire autrement : j'y vais.

Cela nécessite que je réorganise ma journée. Car bien sûr, quand ça ne veut pas, ça ne veut pas ; c'est mardi aujourd'hui. Or, le mardi, la nounou n’est pas disponible avant 14 heures.

La poisse ! Ce matin, je devais justement rencontrer un client important pour la banque.

Toutefois, dans mon malheur, j’ai de la chance : c'est quelqu'un de compréhensif. En lieu et place du rendez-vous en face à face qui était prévu, il accepte une énième conférence téléphonique.

Mon boss me dit qu’il va falloir que je m’organise mieux. Ah bon ? On voit bien que « Môssieuh » n'a jamais été enceinte. Il me suggère d’appeler mon compagnon, pour lui demander si, une fois n’est pas coutume, il ne pourrait pas s’en occuper. Je dis oui, mais je ne le fais pas. C'est une perte de temps. Je connais d'avance la réponse :

« Désolé, chérie, je ne peux pas. J’ai une réunion importante ce matin. J’ai un travail, moi ! » »

Me voilà donc à nouveau dans ma voiture, retour par la crèche, récupérer Junior.

Effectivement, il tousse. Mais, c'est juste un petit rhume. Sur ce point, la directrice est inflexible, invoquant, comme si c'était de ma faute, que les nouvelles consignes de l’éducation nationale sont formelles : dès lors qu'il tousse, elle ne peut pas le garder. Ja wohl !

Donc petit détour par la pharmacie pour acheter un sirop. Puis retour à la maison. On y est. Je mets Junior devant la télévision, et, je n’ai pas le choix, c'est au beau milieu de mon salon que je me retrouve à faire la visioconférence avec mon client.

Au point d'orgue de celle-ci, Junior nous interrompt : « Maman, j’ai mal à la gorge. »

Mon client attend. Mince. C’est une décision très importante, aussi bien pour lui que pour moi. C'est un gros investissement et ma prime de fin d’année en dépend.

Une pause sirop plus tard, nous pouvons finir la visio. Tant bien que mal. Il me semble que je suis arrivée à le convaincre. Ou pas. L'avenir nous le dira. En attendant, ce n'est pas ça qui va aider à ce que mon stress du jour s'estompe, s'atténue.

Midi arrive. J’ai faim. Je n’avais pas prévu de faire à manger, et... saperlipopette ! La liste de courses. J'ai zappé. Du coup, me voilà à devoir laisser Junior seul dans l’appartement, pour aller rapidement au supermarché.

Les courses faites, je reviens. Je prépare à manger. Et là, une collègue de bureau m’appelle. Elle me demande où je suis, car, c'est vrai, on avait prévu d’aller déjeuner ensemble, je ne sais plus où, pour évoquer, je ne me souviens pas non plus lesquels, certains de ses problèmes.

Comme si je n'en avais pas moi, des problèmes ? Et ce n’est que la moitié de la journée.

Histoire de m’avancer sur les impératifs de ce soir, je lance une machine, et, cela fait, je me remets au travail. J'en profite : Junior fait la sieste. J’ai une heure devant moi.

« Femmes confinées et télétravail »

Depuis mars 2020, un petit virus m’a cantonnée à la maison, en télétravail. Le rapport « Femmes confinées et télétravail » l’explique en détail : surcharge et épuisement. Pour les femmes, cette période a été une période de suractivité et de surcharge mentale et, en conséquence, d’épuisement au point que des médecins ont sonné l’alarme. En plus de leur travail professionnel, elles ont, en effet, dû endosser tous les rôles, familiaux, conjugaux et domestiques. [1]

[1] « Les Possibles » — Nº30 : Télétravail au féminin : quels enjeux sur l’avenir du travail des femmes ?, Vendredi 14 janvier 2022, par Thérèse Villame.

Et oui, c'est comme ça. Il a fallu s'adapter. Car comme nous l’a appris, solennel, notre Président : « Nous sommes en guerre. »

Je ne suis pas féministe. Je ne l'ai jamais été. Avec tout ça, entre le confinement, le couvre-feu et donc le télétravail, j’ai l’impression d’être revenue 40 ans en arrière.

Outre mon travail, je me retrouve interrompue toutes les deux minutes par les enfants, soit parce qu'ils s'embêtent, soit parce qu'ils ne trouvent pas leurs vêtements, soit parce qu'ils n’arrivent pas à faire leur travail, car la connexion Internet ne marche pas.

Avant, j’étais en mode maman uniquement de 7 h 00 à 8 h 45, puis de 17 h 30 à 21 h 30. Dorénavant, c’est  « Maman ! »  à chaque minute toute la sainte journée, plus le soir.

Je pense que je vais devoir mettre un terme à mes ambitions de carrière, prise malgré moi par le feu des priorités. Je n’ai même plus mon espace de liberté ; rappelez-vous : ma voiture. Cet espace de liberté que j'arrachais péniblement à l'accaparement des tâches, dans les embouteillages de surcroît. Oui. Je suis arrivée à un point où je regrette de ne plus être coincée dans les bouchons des heures durant, la paix relative que me conférait l’habitacle de mon véhicule.

Comme Jean de la Fontaine l'a dit à propos d'un volatile noir, je « croah », qui lui aussi s'était laissé imprudemment flatter par un beau parleur ; je comprends, mais un peu tard, le piège du « en même temps » et du « quoi qu’il en coûte », chers à notre Président.

Néanmoins, Monsieur Macron, je ne suis pas un corbeau, et cette leçon ne vaut pas un fromage. L'illusion de liberté supplémentaire que vous m'avez vendue là, cette fable me coûte bien davantage.

En effet, cette illusion de liberté supplémentaire était en fait le début de la fin de ma liberté.

Ce n’est pas une sinécure...

Voilà le quotidien des femmes en 2022. Dès lors, je pense ce n’est pas une sinécure que de se pencher sur la condition des femmes à l’heure du télétravail. Si l'on veut tendre vers la parité, arriver à respecter en tous points cette égalité, ce n’est pas seulement une journée par an qu’il faut évoquer ce sujet, c'est bien davantage.

Cependant, les femmes ont peut-être tout à perdre, en réalité, avec la parité en télétravail. Je m'explique.

S'agissant de nombre des tâches domestiques dont vous assurez, vous, Mesdames, le bon accomplissement chaque jour ; pour la plupart d'entre nous, les hommes, au mieux nous sommes des bons à rien, au pire, nous sommes mauvais à tout.

Donc, si nous nous y collons, il faudra, pour dûment y remédier, que, après coup, vous vous y recolliez.

Et je ne vous parle pas ici d'une nouvelle parure, un bijou à vous passer autour du cou.

Non. Je vous parle là de la perte de temps, et des contraintes et du stress supplémentaires que cela va vous occasionner immanquablement.

Décréter que le 8 mars est la journée des droits des Femmes, ne revient-il pas à instituer, premièrement, que ce jour-là, les droits de l'homme passent à la trappe, et deuxièmement, que les 364 autres jours de l'année, leurs droits, les femmes, elles y réfléchiront, comme d'habitude, en faisant le ménage, la cuisine, la vaisselle, le repassage, etc ? Et tout ça, bien sûr, après s'être occupé des gosses.

Et, comme ainsi parité il ne peut y avoir, sans que « en même temps », Mesdames, il vous en coûte, je propose, Messieurs, que la journée de la femme, ce ne soit plus uniquement une seule fois dans l'année, mais 365 jours par an. 366 les années bissextiles.

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