Le Charles Aznavour de la politique
EDITO - Étant donné que c'est à J'me voyais déjà est le titre auquel je fais ici référence, libre à chacun d'y ajouter la suite qui va avec. Je me permets de penser que de là-haut, Charles Aznavour ne m'en voudra pas, ou peu, de le compléter ainsi, dans cet édito consacré à M. Claude Malhuret : J' me voyais déjà... ministre de Macron.
Claude Malhuret, cofondateur de Doctissimo avec Laurent Alexandre, est sénateur, président du groupe Indépendants, République et territoires au Sénat. Selon plusieurs sources, il a mal pris de ne pas avoir été nommé dans le gouvernement que le nouveau Premier ministre Gabriel Attal a formé avec Emmanuel Macron. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que M. Malhuret s'imagine ministre (il avait déjà nourri cet espoir lors du remaniement de 2020).
Mais le réveil a été difficile. M. Malhuret a mal au crâne. Hier encore (autre chanson d'Aznavour), M. Claude s'est empressé de pondre un pamphlet dans lequel, selon moi, la rancœur qui l'habite d'avoir été "planté" est palpable. Un véritable cri du cœur, qui mêle amour et haine.
Le mélange de ces deux sentiments arrive lorsqu'une déception est très intense. Dans ce cas de figure, c'est le plus souvent avec virulence que l'amoureux éconduit pousse un cri du cœur à l'endroit de celui ou celle qui a ignoré ses avances. Pourquoi ? Pour faire savoir à cette personne avec véhémence que, malgré le refus qu'il vient d'essuyer, l'amoureux éconduit aspire encore à obtenir ses bonnes grâces. À s'afficher à ses côtés, "quoi qu'il en coûte", dirait Emmanuel Macron (c'est son spécial), qu'importent les quolibets et les lazzis, les tollés et les moqueries, les "Oh l'odieux benêt" et le rififi.
En effet, amoureux épris de la France, Claude Malhuret l'est obligatoirement, sinon il n'aurait pas embrassé une carrière politique qui l'a conduit jusqu'à la charge de sénateur. Est-il autant épris des Français ? On peut se le demander dans la mesure où il n’a pas, au même titre que de nombreux autres sénateurs, soutenu Alain Houpert dans sa saisine du Conseil d’Etat sur l’accord franco-ukrainien. Voilà pourquoi, en réalité, c'est essentiellement à lui-même que Claude Malhuret a dit ses quatre vérités dans ce pamphlet rageur qu'il a adressé, au Sénat, à l'attention de Gabriel Attal. Et "en même temps", de fait, à Emmanuel Macron, le couple Macron-Attal étant intimement lié. Indissociable, même : dichotomie d'un pouvoir exécutif tel que le général de Gaulle et Michel Debré l'ont voulu pour la France, j'imagine sur un Coup de tête double. Respectivement vedette masculine et réalisateur du film éponyme, Patrick Dewaere et Jean-Jacques Annaud confirment. Mais revenons à cet autre excellent comédien qu'est Claude Malhuret.
Un peu comme Serge Gainsbourg adresse à Jane Birkin, dans Je t'aime, moi non plus, un dédain amoureux 100 % feint, officiellement, c'est à Gabriel Attal que le sieur Malhuret s'est appliqué à mettre les points sur les i. Néanmoins, nul n'est dupe. La vérité est que ce qu'il a fait là, c'est lui chanter la sérénade.
Et pour ce qui est de la mélodie, il ne s'est pas trompé : il était parfaitement dans le rythme.
Le "Emmanuel Macron bis" qu'est Gabriel Attal, ayant pris, comme son seigneur et maître, le parti d'aller taper un coup à droite, un coup à gauche (puisque le centre d'intérêt unique qu'il a, c'est lui), Claude Malhuret a fait de même quand il s'est adressé publiquement au Premier ministre lors d'un discours que Claude Malhuret a prononcé à la tribune du Sénat, en commentaire de la déclaration de politique générale que Gabriel Attal avait à faire, protocole constitutionnel oblige.
Dans le discours en forme d'inversion accusatoire permanente qu'il a tenu là, l'enfonceur de portes ouvertes Claude Malhuret a tapé un coup à droite, un coup à gauche, pour finalement ne rien dire. Du vent. De la poudre de perlimpinpin... Comme d'habitude. Claude François, sors de ce corps ! Une tartuferie de plus, me souffle Jean-Baptiste Poquelin.
Afin que vous puissiez être juges de la pertinence (ou non) de mon positionnement à son sujet, je vous ai reproduit ci-dessous le discours de M. Malhuret dans son intégralité.
Attention, ça secoue ! Espérons qu’un jour, M. Malhuret témoignera de son respect pour les français.
"Monsieur le Premier Ministre,
Comme tout chef de gouvernement, vous allez affronter de nombreux défis politiques, et le premier, bien sûr, est l’absence de majorité parlementaire qui n’a permis jusqu’à ce jour que des palliatifs imparfaits, négociations épuisantes ou 49-3 au goût amer. Le second défi est la pression permanente et déprimante des extrêmes.
La France échappe encore à la vague de populisme qui frappe les démocraties, parce que si ailleurs le populisme n’est que d’extrême droite, chez nous où l’on apprend dès l’école qu’il faut préférer Robespierre à Tocqueville, il est coupé en deux.
La fin de cette exception est proche. Parce qu’il faisait le plus de bruit, parce qu’il avait réussi à embrigader une gauche en perdition, parce qu’il transformait l’Assemblée en zone à délirer, le danger d’extrême gauche paraissait le plus dangereux, exacerbé par une caisse de résonance médiatique qui confirme que rien n’est plus sonore que ce qui est creux.
Mais la Nupes, attelage improbable de la gauche woke, de la gauche vélib, de la gauche caviar, de la gauche stalinienne, de la gauche trotskiste et de la gauche Hamas, s’est effondrée sous le poids de ses incohérences. Le Che Guevara des calanques, en cédant la direction des insoumis et la présidence du groupe parlementaire à des comparses, choisis tous deux non pas malgré, mais en raison de leurs insuffisances, a compris tardivement qu’il avait pris le train dans la mauvaise direction. Il court depuis en sens inverse dans le couloir, à grands gestes des bras et du menton, lançant ses imprécations aux alliés comme aux ennemis, mais ne parvenant qu’à démontrer que sa vie est devenue une interminable rage de dents.
LFI, c’était une surprise-party. La surprise c’est qu’il n’y avait pas de parti. Pas de statuts, pas de vote, pas d’élections, juste une secte gérée par un couple omnipotent comme les Thénardier tenaient le bouge de Montfermeil. Le mouvement s’est fait hara-kiri le 7 octobre avec l’ignominie de trop, le refus de condamner le massacre du Hamas qualifié de mouvement de résistance.
Les partenaires enrôlés dans cette pantalonnade en ont profité pour filer à l’anglaise après que tout le monde a dessaoulé. Ils resteront ceux qui ont bradé à un apprenti dictateur les valeurs de la gauche qu’ils ont fracturée pour un plat de lentilles électoral.
Cet échec n’est pas qu’une bonne nouvelle. Le danger s’est déplacé dans une extrême droite qui se renforce en proportion du déclin de son rival, porosité qui prouve que ce qui les rapproche est infiniment plus fort que ce qui les sépare. Comme Orban est devenu l’ami de Poutine, comme l’extrême gauche italienne vote pour Meloni, le RN fait ses meilleurs scores aussi bien dans les anciens bastions du PC que dans ceux de la droite.
Les gauchistes sont bruyants, débraillés et réclament tout, tout de suite. Les marinistes sont silencieux, cravatés et attendent leur heure. Ils savent que face aux insoumis il suffit de se taire pour paraître intelligent. Ils n’ont aucun programme. Ils affichent des convictions absolues, mais ils n’ont aucun problème pour en changer si elles ne vous plaisent pas, comme sur la sortie de l’Euro ou le Frexit. Ils affirment que nous dansons sur le pont du Titanic, mais c’est eux l’iceberg. Ils ont enfourché tous les délires complotistes, ils ont été antivax, VRP de l’hydroxychloroquine. Ils font aujourd’hui le sale boulot de chiens de garde de Poutine, et ils le font salement, ce qui n’est pas étonnant dans ce parti fondé largement par d’anciens collabos. Ils dénoncent la corruption mais leurs parlementaires européens sont mis en examen pour avoir détourné des millions d’euros.
Ce parti opaque est une sorte de traboule, ces arrière-cours obscures des immeubles lyonnais à la façade bien propre. Les anciens du GUD sont toujours là, dans l’ombre. Les comptes racistes anonymisés sur les réseaux sociaux aussi. Enfin les deux campagnes présidentielles de Marine Poutine, arrivée à son poste comme Kim Jong Un, par népotisme, ont fourni la preuve de sa parfaite inaptitude à la fonction.
Et pourtant le reflux du populisme d’extrême gauche lui ouvre un boulevard. La photo en 2027 d’un Emmanuel Macron raccompagné par elle sur le perron de l’Elysée comme Obama avait cédé sa place à Trump, n’est plus invraisemblable.
La fonction que vous exercez aujourd’hui, Monsieur le Premier Ministre, vous a été confiée aussi pour faire obstacle à cette hypothèse lugubre. A cela, il y a deux conditions.
La première est de réussir les douze travaux d’Hercule qui vous attendent dans un pays taraudé depuis toujours, c’est sa grande faiblesse, par le doute, la hantise du déclin et le pessimisme. Relever le niveau de l’école, guérir le système de santé, redonner l’espoir aux agriculteurs, poursuivre la baisse du chômage, réindustrialiser le pays, réduire le déficit, construire l’Europe-puissance, réformer l’Etat, restaurer l’autorité au sein de la société, maîtriser l’immigration, assurer le développement durable à la française. Je n’insiste pas, vous-même et tous les orateurs précédents avez détaillé ce constat. La tâche est immense.
Je n’ai énuméré que 11 travaux. Le douzième est capital, mais le moins compris. Le chef de l’Etat a évoqué le réarmement moral, économique, civique. Il reste le réarmement au sens propre. Nous sommes en guerre. C’est une très mauvaise idée européenne d’affirmer chaque jour qu’on ne veut pas la guerre, qu’on n’est pas en guerre, lorsque vos ennemis le sont.
L’internationale des dictateurs ne s’en cache pas. Russie, Chine, Iran, Corée du Nord proclament qu’ils veulent abattre l’OTAN, l’Europe et l’Occident. Et ils font ce qu’ils disent.
La guerre en Ukraine se voit à cause des tanks et des missiles. Celle qu’ils nous livrent, cyberattaques, désinformation, milliers de comptes sur les réseaux anti-sociaux pour fausser les élections, abrutissement de nos enfants sur TikTok pendant que la Chine protège les siens, est tout aussi violente. Elle mine nos démocraties de l’intérieur. La Russie s’est mise en économie de guerre. Notre Président parle d’économie de guerre, mais aucun pays d’Europe n’est capable, deux ans après le 24 février de livrer à l’Ukraine ne serait-ce que les munitions promises. Si l’Ukraine perd la guerre, c’est l’Europe qui la perd. Par peur d’annoncer les mauvaises nouvelles, les gouvernements démocratiques ne préparent pas leurs opinions publiques à cette réalité. Lorsque j’écoute certains d’entre eux, j’ai l’impression d’entendre le toc-toc du parapluie de Daladier sur les pavés de Munich. Monsieur le Premier Ministre, vous serez certes jugé sur vos résultats dans notre pays. Mais à l’échelle de l’histoire, votre gouvernement et tous les gouvernements d’Europe seront jugés à l’aune de la victoire ou de la défaite des démocraties face à l’internationale reconstituée des dictateurs.
La deuxième condition pour qu’en 2027, au soir de l’élection présidentielle, le visage qui paraîtra sur nos écrans à 20 heures ne soit pas celui qui, comme ceux de Trump, d’Orban ou de Bolsonaro, nous fera honte, ne dépend pas seulement de vous. Il est grand temps que ceux qui se revendiquent du camp de la raison comprennent que le temps leur est compté. S’ils ne sont pas capables de s’unir face à des extrêmes qui nagent comme des poissons dans l’eau des réseaux anti-sociaux, des fakes news et de l’injure, il ne faudra pas qu’ils se plaignent d’une défaite qu’ils n’auront su empêcher.
Il est temps que les raisonnables se rassemblent, qu’ils construisent une majorité ou des alliances, seule façon de gouverner la France avec succès. Ce souhait sera peut-être aujourd’hui considéré avec indifférence ou avec ironie. Mais dans quelques mois, lorsque s’affichera le résultat des élections européennes, ceux qui, dans la majorité comme dans les oppositions républicaines, se complaisent dans des querelles de cour d’école, comprendront, je l’espère, que le temps des anathèmes est terminé. Le général Mac Arthur disait que les batailles perdues se résument en deux mots : trop tard.
Réfléchissons à cette phrase tant qu’il est encore temps.
Je vous remercie."
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