Connaissance scientifique et savoirs d’action (Partie 1)
TRIBUNE - Toujours, sur le métier, mettons le bruit à distance pour en dégager les signaux et les trames.
Redoutée, attendue, surjouée, pivot d’une mutation de société, la crise est là. Narratifs, diatribes, clés de lecture et théories s’entrechoquent pour en rendre compte ou pour tenter de l’infléchir.
Il ne s’agit pas ici d’entrer dans les diatribes ou de faire un “buzz”. Il n’est pas question davantage de proposer une théorie d’une crise en gigogne ou d’en préconiser des voies de sortie.
Rapprochant les notions de “connaissance scientifique” et de “savoirs d’action”, nous proposons ici une clé de lecture simple mais robuste, une clé éprouvée par des décennies d’aller-retour entre les mondes de la recherche et les mondes de l’intervention.
Banale ? Nous n’en serions pas là si elle l’était.
A chacun de la faire fonctionner sur ses terrains.
De plateaux télé en diatribes, revient une assertion récurrente : la science serait la démarche exclusive de production de connaissance légitime. L’assertion mérite examen critique sérieux.
Elle le mérite d’autant plus qu’elle vient justifier des positions d’autorité dans le domaine médical, abusivement assimilé à un temple de la science : il y a de la science dans la médecine, mais la médecine n’est pas une science.
Que la science n’ait pas le monopole de la production de connaissances relève pourtant de l’évidence, une évidence évitée dans nos sociétés post-modernes, ce qui n’est pas leur moindre paradoxe. Faute d’être élucidé, ce paradoxe biaise l’exigence d’honnêteté intellectuelle et plombe un indispensable débat public.
Il y a dès lors des raisons majeures à élucider le paradoxe et à examiner pour cela les modalités actuelles de production de savoirs.
Trois modalités de production de savoirs
Bon sens et épistémologie de la connaissance se rejoignent pour constater qu’il y a trois modalités principales de production de savoirs pour décrire le monde et rendre compte des façons d’agir : l’expérience du terrain, la connaissance par la science et la conjugaison des deux.
Que la science moderne ait marqué une rupture par rapport à la connaissance par l’expérience de bon sens est indubitable. Cette rupture et la trop fréquence assimilation du mot expérience à l’expérience scientifique in vitro ne sauraient faire oublier qu’homo sapiens a de tout temps appris "dans le vif” par l’expérience de bon sens et, comme le soulignait déjà Hegel au XIXe siècle, dans la confrontation à l’adversité.
La pratique réfléchie des arts et des métiers est productrice de connaissances et constitutive d’un capital de savoirs mobilisables : la confrontation à l’adversité y met en lumière les variétés et caractéristiques des objets et des terrains. En découlent le repérage les opportunités, l’évaluation des risques, les diagnostics, pronostics et prospectives nécessaires à l’action pour faire face aux enjeux et aux épreuves au cas par cas.
Au fil des expériences, certaines des stratégies élaborées s’avèreront transférables de terrain à terrain : dégagées de leurs gangues contextuelles, elles seront schématisées et modélisées sous forme de méthodes, de techniques, de bonnes pratiques, voire d’outils.
Dans d’autres cas, elles resteront à l’état de démarches d’action singulières, à charge pour leurs auteurs et pour ceux qui y ont été associés de s’en inspirer à bon escient.
Toujours renouvelées, sujettes comme l’agriculture aux aléas du temps et de la nature, les pratiques de la haute montagne et de la haute mer fournissent d’excellents exemples de la production de savoirs par l’expérience : mobilisant savoirs acquis, analyse, intuition et bon sens, elles entraînent les capacités d’évaluation prospective à élaborer des stratégies et à les mettre en œuvre selon des gestes pertinents. L’intuition y est confortée par le recours aux acquis de l’expérience.
Ces démarches font leurs preuves par le dépassement des adversités, la conjuration des risques et la bonne fin des parcours projetés. La légitimité de la production de connaissance par l’expérience s’apprécie à l’aune des dépassements réussis et au respect d’exigences éthiques partagées.
La notion de “savoir d’action” mérite qu’on s’y arrête. Développée et déployée en France par Michel Berry à l’Ecole de Paris du management, reprise également au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) par Jean-Marie Barbier, elle déborde les notions de savoir-faire et de savoir être des référentiels de compétences et intègre toutes les composantes de l’action réfléchie, de l’expérience capitalisée, de ses retours et de ses modes de partage : du geste aux stratégies, du modèle aux sources qui l’inspirent, elle donne un élan renouvelé à l’expérience pratique comme productrice de savoirs et de modes de transmission.
L’expérience, c’est bien. Et la science ?
(A suivre)
Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, Yves Darcourt Lézat est sociologue, ingénieur, alpiniste et pyrénéiste.
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