Connaissance scientifique et savoirs d’action (Partie 1)

Auteur(s)
Yves Darcourt Lézat pour France-Soir
Publié le 27 février 2024 - 12:38
Image
Tribune Epistémologie
Crédits
Pixabay / Yves Darcourt Lézat
Que la science n’ait pas le monopole de la production de connaissances relève de l’évidence.
Pixabay / Yves Darcourt Lézat

TRIBUNE - Toujours, sur le métier, mettons le bruit à distance pour en dégager les signaux et les trames. 

Redoutée, attendue, surjouée, pivot d’une mutation de société, la crise est là. Narratifs, diatribes, clés de lecture et théories s’entrechoquent pour en rendre compte ou pour tenter de l’infléchir.  

Il ne s’agit pas ici d’entrer dans les diatribes ou de faire un “buzz”. Il n’est pas question davantage de proposer une théorie d’une crise en gigogne ou d’en préconiser des voies de sortie. 

Rapprochant les notions de “connaissance scientifique” et de “savoirs d’action”, nous proposons ici une clé de lecture simple mais robuste, une clé éprouvée par des décennies d’aller-retour entre les mondes de la recherche et les mondes de l’intervention. 

Banale ? Nous n’en serions pas là si elle l’était. 

A chacun de la faire fonctionner sur ses terrains. 

De plateaux télé en diatribes, revient une assertion récurrente : la science serait la démarche exclusive de production de connaissance légitime. L’assertion mérite examen critique sérieux. 

Elle le mérite d’autant plus qu’elle vient justifier des positions d’autorité dans le domaine médical, abusivement assimilé à un temple de la science : il y a de la science dans la médecine, mais la médecine n’est pas une science. 

Que la science n’ait pas le monopole de la production de connaissances relève pourtant de l’évidence, une évidence évitée dans nos sociétés post-modernes, ce qui n’est pas leur moindre paradoxe. Faute d’être élucidé, ce paradoxe biaise l’exigence d’honnêteté intellectuelle et plombe un indispensable débat public.  

Il y a dès lors des raisons majeures à élucider le paradoxe et à examiner pour cela les modalités actuelles de production de savoirs.  

Trois modalités de production de savoirs 

Bon sens et épistémologie de la connaissance se rejoignent pour constater qu’il y a trois modalités principales de production de savoirs pour décrire le monde et rendre compte des façons d’agir : l’expérience du terrain, la connaissance par la science et la conjugaison des deux. 

Que la science moderne ait marqué une rupture par rapport à la connaissance par l’expérience de bon sens est indubitable. Cette rupture et la trop fréquence assimilation du mot expérience à l’expérience scientifique in vitro ne sauraient faire oublier qu’homo sapiens a de tout temps appris "dans le vif” par l’expérience de bon sens et, comme le soulignait déjà Hegel au XIXe siècle, dans la confrontation à l’adversité.   

La pratique réfléchie des arts et des métiers est productrice de connaissances et constitutive d’un capital de savoirs mobilisables : la confrontation à l’adversité y met en lumière les variétés et caractéristiques des objets et des terrains. En découlent le repérage les opportunités, l’évaluation des risques, les diagnostics, pronostics et prospectives nécessaires à l’action pour faire face aux enjeux et aux épreuves au cas par cas.  
Au fil des expériences, certaines des stratégies élaborées s’avèreront transférables de terrain à terrain : dégagées de leurs gangues contextuelles, elles seront schématisées et modélisées sous forme de méthodes, de techniques, de bonnes pratiques, voire d’outils.  
Dans d’autres cas, elles resteront à l’état de démarches d’action singulières, à charge pour leurs auteurs et pour ceux qui y ont été associés de s’en inspirer à bon escient.  

Toujours renouvelées, sujettes comme l’agriculture aux aléas du temps et de la nature, les pratiques de la haute montagne et de la haute mer fournissent d’excellents exemples de la production de savoirs par l’expérience : mobilisant savoirs acquis, analyse, intuition et bon sens, elles entraînent les capacités d’évaluation prospective à élaborer des stratégies et à les mettre en œuvre selon des gestes pertinents. L’intuition y est confortée par le recours aux acquis de l’expérience.  

Ces démarches font leurs preuves par le dépassement des adversités, la conjuration des risques et la bonne fin des parcours projetés. La légitimité de la production de connaissance par l’expérience s’apprécie à l’aune des dépassements réussis et au respect d’exigences éthiques partagées.  

La notion de “savoir d’action” mérite qu’on s’y arrête. Développée et déployée en France par Michel Berry à l’Ecole de Paris du management, reprise également au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) par Jean-Marie Barbier, elle déborde les notions de savoir-faire et de savoir être des référentiels de compétences et intègre toutes les composantes de l’action réfléchie, de l’expérience capitalisée, de ses retours et de ses modes de partage : du geste aux stratégies, du modèle aux sources qui l’inspirent, elle donne un élan renouvelé à l’expérience pratique comme productrice de savoirs et de modes de transmission.  

L’expérience, c’est bien. Et la science ?  

(A suivre) 
 

Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, Yves Darcourt Lézat est sociologue, ingénieur, alpiniste et pyrénéiste.  

À LIRE AUSSI

Image
Tribune A. Tranchant Dette de la France
Monsieur Tiers à l'Elysée...
TRIBUNE - Il faut vraiment que le scrutin européen du 9 juin inspire les plus grandes craintes au président de la République pour qu'il n'ait d'autre argument que d'ex...
26 février 2024 - 16:53
Opinions
Image
Conseil d'Etat
L’Arcom, le Conseil d’Etat et l’information distribuée aux citoyens
TRIBUNE - La décision du Conseil d’Etat (n° 463162 du 13 février 2024) rendue sur le recours de l’association Reporters sans frontières peut être commentée – comme c’e...
21 février 2024 - 17:20
Opinions
Image
Assange
Etat de droit et raison d’Etat : justice pour Julian Assange. Lettre ouverte
L’auteur de cette lettre a été l’un des enquêteurs les plus expérimentés du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme. Il est l’auteur de deux livres e...
20 février 2024 - 15:03
Opinions

L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.

Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement  car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.

Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.

Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.

Je fais un don à France-Soir

Les dessins d'ARA

26/12 à 14:34
Soutenez l'indépendance de FS

Faites un don

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription à la Newsletter hebdomadaire de France-Soir est confirmée.

La newsletter France-Soir

En vous inscrivant, vous autorisez France-Soir à vous contacter par e-mail.