Institutions : NON au recours à l'article 16

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Alain Tranchant pour France-Soir
Publié le 20 août 2024 - 11:26
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Constitution de la République
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TRIBUNE - Devant la difficulté de former un gouvernement, tant l'Assemblée nationale ressemble à s'y méprendre au "régime d'autrefois", caractérisé par "une juxtaposition de groupes rivaux, voire opposés, dont une majorité ne peut se dégager que moyennant d'aléatoires et fallacieuses combinaisons" (Charles de Gaulle, 9 septembre 1965), l'idée d'un recours à l'article 16 de la Constitution a été évoquée dans certains cercles macronistes et journalistiques. Le président de la République s'arrogerait les pleins pouvoirs. Il pourrait prendre, peut-on lire sur le site du Conseil constitutionnel, "les mesures qui relèvent normalement de la compétence du Parlement ou exercer le pouvoir réglementaire sans solliciter le contreseing du Premier ministre ou des ministres". En somme, il gouvernerait le pays par décrets.   

S'il existe un article 16 dans la Constitution de la Vème République, c'est parce que le général de Gaulle avait le souvenir - et pour cause ! - de la débâcle de juin 1940, et qu'il n'avait eu de cesse de l'appeler de ses vœux tout au long de son combat contre la IVème République, contre la Constitution de 1946 bâtie par et pour les partis, contre le "jeu stérile qui est leur fonction et même leur délectation", comme il l'explique aux journalistes le 14 novembre 1949. 

A Bayeux, le 16 juin 1946, De Gaulle pose les bases de la Constitution qu'il faut à la France. C'est du président de la République, et non pas du Parlement, "que doit procéder le pouvoir exécutif". Il précise notamment : "A lui (le président de la République), s'il devait arriver que la patrie fût en péril, le devoir d'être le garant de l'indépendance nationale et des traités conclus par la France". En germe, c'est l'article 16 de la Constitution de 1958. 

A Epinal, le 29 septembre 1946, De Gaulle confirme : "Il nous paraît nécessaire que le chef de l'Etat en soit un". Il faut "qu'il ait la charge d'être, quoi qu'il arrive, le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et des traités signés par la France". Le Général ajoute "l'intégrité du territoire" à sa formule de Bayeux. L'un et l'autre discours traduisent alors sa pensée en matière constitutionnelle. 

Revenu au pouvoir en 1958, il est appelé à établir un projet de Constitution qui doit être soumis à la ratification du peuple français, par référendum. Le 8 août 1958, il répond ainsi aux questions du Comité consultatif constitutionnel réuni sous la présidence de Paul Reynaud. 

"LA CRISE EPOUVANTABLE DE 1940" 

L'article 14 du projet de Constitution (le futur article 16 de la Constitution du 4 octobre 1958) est l'une des principales préoccupations des membres du Comité. Ils souhaitent entendre le général de Gaulle à ce sujet. Paul Reynaud l'interpelle : "Si l'hypothèse que l'article 14 envisage - celle de pouvoirs très étendus donnés au président de la République dans des circonstances exceptionnelles - est celle de la guerre étrangère ou de la guerre civile, n'y aurait-il pas intérêt à le dire et à s'en tenir là ?". A titre d'illustration de son propos, il veut savoir s'il est possible de recourir à l'article 14 (le futur article 16) pour mettre le pays en état de faire face aux obligations du traité de Rome sur le Marché commun, signé mais pas encore entré en vigueur. 

Dans sa réponse, le général de Gaulle est formel : "Ce n'est certainement pas, en effet, l'esprit du texte. Il serait sans doute utile de préciser les conditions, à vrai dire exceptionnelles, dans lesquelles ces pouvoirs seraient exercés". 

De Gaulle se réfère ensuite à "la crise épouvantable de 1940". "A ce moment, dit-il, il n'y avait plus moyen d'obtenir le fonctionnement régulier des pouvoirs républicains. Le gouvernement ne pouvait plus gouverner et le Parlement ne pouvait plus se réunir, même s'il l'avait désiré. Et c'est alors qu'il fallait choisir entre la République et autre chose, entre l'indépendance et la soumission, entre l'intégrité et la perte de territoires". 

Le Général relate ses entretiens avec le président de la République : "Le président Lebrun m'a dit naguère et répété : je n'étais responsable que de la constitution du gouvernement (...). Si j'avais été responsable, je serais allé à Alger". 

De Gaulle en tire une conclusion très forte : "Il faut que le chef de l'Etat ait la responsabilité de maintenir la légitimité républicaine et, en cas de guerre, l'indépendance et l'intégrité du pays. C'est le bon sens. 99 fois sur 100, en pareil cas, l'homme qui sera à la tête de l'Etat ne sera guère porté à prendre lui-même une initiative de ce genre. Il faut que la Constitution l'y oblige. Qu'on me dise qu'il vaudrait mieux préciser ces circonstances exceptionnelles, j'en suis d'accord. Mais je ne puis admettre qu'on ne prévoie pas la possibilité de telles circonstances dramatiques et qu'on ne définisse pas la responsabilité qui sera alors engagée. Quelle responsabilité, sinon celle du chef de l'Etat ?". 

"UN QUARTERON DE GENERAUX EN RETRAITE" 

L'article 16 de la Constitution en découle logiquement : "Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel. Ces mesures doivent être justifiées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les meilleurs délais, les moyens d'accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet". Autres dispositions de cet article 16 : le Parlement se réunit de plein droit ; l'Assemblée nationale ne peut être dissoute. 

L'article 16 a été appliqué une seule fois en bientôt 66 ans de Vème République : en 1961, lors du putsch des généraux d'Alger, le fameux "quarteron de généraux en retraite" qui s'opposait à l'indépendance de l'Algérie. Peu de temps avant ce putsch du 21 au 26 avril, le Général avait affirmé la nécessité "qu'un chef d'Etat qui ait la confiance du pays réponde, en dernier ressort, de ce qu'il y a d'essentiel et de permanent dans la vie dangereuse de la France" et que "dans une crise grave, il puisse répondre de la France et de la République". Je souligne à dessein : un chef d'Etat qui ait la confiance du pays. C'était devant les journalistes le 11 avril 1961. Plus tard, dans sa conférence de presse du 31 janvier 1964, De Gaulle parle du "Président qui en cas de péril, doit prendre sur lui de faire tout ce qu'il faut". 

Ce rappel des principes et des faits étant posé, revenons en 2024 ! 

Dans une récente édition, "Le Journal du dimanche" écrivait : "L'article 16 de la Constitution permet au président de disposer de pouvoirs exceptionnels en cas de crise grave menaçant les éléments vitaux de la nation. Il n'est évidemment pas destiné à résoudre un problème de majorité politique, rappelle le professeur de droit Anne-Marie Le Pourhiet". 

Ceci pour la présentation de l'article. Et cela pour le texte de Mme Le Pourhiet : "Soyons sérieux, on ne déclenche pas une dictature pour résoudre un problème de majorité politique, a fortiori quand cette situation a été provoquée par le chef de l'Etat lui-même ! Un président de la République sévèrement sanctionné par les urnes ne pourrait tout de même pas se permettre de déclencher une dictature en conséquence de son échec, ce serait un comble !" 

Dans le même ordre d'idée, et il y a bien longtemps, un autre professeur de droit constitutionnel, qui fut le dernier ministre de la Justice du général de Gaulle, René Capitant, avait délivré dans son cours de doctorat publié en 1972, sous le titre "Démocratie et participation politique", une thèse qui mérite l'attention. 

"LE PRESIDENT DOIT SE DEMETTRE. IL NE SAURAIT RECOURIR A L'ARTICLE 16" 

Au chapitre "La participation à l'occasion de la dissolution", l'auteur s'attache en effet à déterminer les conséquences d'élections législatives consécutives à une dissolution de l'Assemblée nationale, cette dissolution devenue grâce à la Vème République "un droit confié au président de la République" qui "peut en user sans aucune forme de restriction", puisque - au contraire des Républiques antérieures - "la dissolution ne dépend que de sa volonté personnelle". Sous la IIIème République, la dissolution de la Chambre des députés n'était possible qu'avec l'accord du Sénat ! 

Pour René Capitant, "une interprétation saine et démocratique de la Constitution doit porter à dire que le président doit se soumettre à l'arbitrage qui a été rendu. Si sa politique a été approuvée, alors il reste en place (...). Mais si sa politique a été condamnée, c'est alors qu'il doit donner sa démission. On dit parfois : il doit se soumettre ou se démettre, formule déjà adressée à Mac-Mahon, mais le régime actuel n'est pas le régime qui fonctionnait au temps de Mac-Mahon, il serait plus juste de dire que dans ce cas le président de la République doit se démettre (...). Il ne saurait recourir à l'article 16, quand les circonstances ne le justifient pas, sans commettre un acte de haute trahison entraînant la mise en œuvre de l'article 68. En 1962, le général de Gaulle a clairement posé la question de confiance à l'occasion de la dissolution, annonçant ainsi sa volonté de se démettre en cas de désaveu de sa politique. Cette question de confiance est une obligation pour le président. C'est la conséquence et l'esprit de sa responsabilité". 

Dans sa rédaction d'origine, celle à laquelle se référait René Capitant, l'article 68 de la Constitution de 1958 était ainsi libellé : "Le président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de Justice". 

Dans sa version actuelle, issue de la révision constitutionnelle du 23 février 2007, l'article 68 remplace l'idée de "haute trahison" par celle de "destitution". Il dispose en particulier que "le président de la République ne peut être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour". 

Au total, il est bien clair que l'article 16 a été voulu par les constituants de 1958 pour "maintenir la légitimité républicaine", pas pour la mettre entre parenthèses, pour faire face à des circonstances dramatiques, pas pour permettre au président de la République d'exercer des attributions qui ne sont pas les siennes. Et, le 8 août 1958, De Gaulle a été catégorique : en aucune façon, l'article 16 ne pouvait être mis en œuvre au prétexte que la France ne serait pas en état de respecter les obligations résultantes, à l'époque, du traité de Rome instituant le Marché commun. Ce qui valait, en ce temps-là, pour le traité de Rome vaut aujourd'hui pour les obligations financières liées à nos engagements européens. "Ce n'est certainement pas l'esprit du texte", disait De Gaulle lors de l'élaboration de la Constitution. 

La conclusion est sans appel. Il ne saurait être question d'avoir recours à l'article 16, au seul motif qu'aucune majorité n'est sortie des urnes de juin-juillet 2024.  

 

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