Le Brésil et le monde multipolaire

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Catherine Roman, pour France-Soir
Publié le 23 juin 2023 - 13:30
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Image par Milan Wulf de pixabay
"Au vu des nombreux problèmes diagnostiqués et après plus de 100 jours de mandat, quel est le bilan du nouveau gouvernement brésilien sur la scène nationale et internationale ?"
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TRIBUNE/ANALYSE - Luiz Inácio "Lula" da Silva, pour son troisième mandat présidentiel, s’est engagé "à reconstruire le pays avec le peuple brésilien", jugeant "désastreux" le bilan du président sortant Jair Bolsonaro. Lula a accusé son prédécesseur d’avoir "épuisé les ressources de la santé, démantelé l’éducation, la culture, la science et la technologie et détruit la protection de l’environnement". Lula s’est fixé notamment l’objectif de "déforestation zéro en Amazonie".

Aujourd’hui, 33 millions de personnes souffrent de la faim au Brésil et 115 autres millions luttent contre "l’insécurité alimentaire" et pas moins de 79% des familles sont otages de niveaux élevés de dettes personnelles.

Toutefois, le Brésil est une puissance économique qui compte à l’échelle mondiale (10ème rang mondial en termes de PIB en 2022), mais cette perception est assez différente lorsque l’on rapporte cette puissance économique à la population. Si l’on choisit comme critère de classement le PIB par habitant, le Brésil apparaît en 2021 au 102e rang mondial sur un total de 213 pays. 

Au vu des nombreux problèmes diagnostiqués et après plus de 100 jours de mandat, quel est le bilan du nouveau gouvernement brésilien sur la scène nationale et internationale ? Lula peut-il faire face aux défis de demain ? 

Le Brésil et les intérêts antagonistes 

Division politique et compromis 

Lula doit composer avec beaucoup d’acteurs en jeu et des intérêts antagonistes variés. Il est notamment à la tête d’une alliance de 10 partis politiques et doit faire face à un Congrès et à un Sénat profondément hostiles et même à des gouverneurs bolsonaristes dont celui de l’état le plus puissant (Sao Paulo). Le vice-président de Lula, Geraldo Alckmin est quant à lui de centre-droit et peut être catapulté au pouvoir à la minute où le Congrès décide d’inventer un plan de destitution de Lula. 

Biodiversité, peuple du Cerrado et autres "peuples-nature" 

Le peuple du Cerrado subit un écocide et un génocide dans le cadre d’une guerre longue et difficile à gagner qui l’oppose non pas des États-nation, mais est menée contre la nature et les "peuples-nature" par des grandes entreprises et leurs dirigeants. 

Il est difficile de sortir de cette guerre, ses initiateurs se cachant notamment derrière le nom de conglomérats créés pour effacer leurs traces et, jour après jour, asseyant leur légitimité en défendant sur les places financières le "marché".  

Au niveau du Cerrado, la savane la plus riche du monde en biodiversité, le Tribunal Permanent des Peuples (TPP) a affirmé que "tout génocide est également un écocide – et tout écocide est un génocide". Selon la décision des jurés de la session du Tribunal Permanent des Peuples sur le Cerrado, le refus de délimiter les territoires des peuples-nature constitue un délit de génocide.

Cet écocide a été mené en faisant passer le Cerrado pour une région infertile et sans intérêt écologique et, ses peuples pour des arriérés et des pauvres, justifiant ainsi le "nettoyage" de la région de sa végétation et de sa population pour intégrer ces terres dans de prétendus projets de développement.  

Bien qu’il abrite 5% de la biodiversité de la planète et joue un rôle de grand régulateur des ressources hydriques du continent, source des principaux fleuves et aquifères d’Amérique latine, le Cerrado est peu connu du public, ignoré par les activistes du climat, et volontairement exclu de la loi "zéro déforestation" européenne. 

Cette région qui couvre un tiers du territoire national, entre le Cerrado et ses zones de transition, fait l’objet de multiples tentatives visant à effacer les territoires traditionnels de la carte, en les rendant invisibles d’un certain nombre de politiques publiques. Selon les données de l’IBGE (Instituto Brasileiro de Geografia e Estatistica), le Cerrado et ses zones de transition abritent 220 terres autochtones, tandis que les données de la société civile spécialisée indiquent 338 territoires (Conselho Indigenista Missionário, CIMI). 

Face à cet effacement institutionnel (politique, économique et culturel) ; le Cerrado peut être considéré comme un "no man’s land", ce qui rend légitime l’appropriation de grandes quantités de terres, transformées en monocultures de céréales, en pâturages et en zones d’exploitation minière, principalement à des fins d’exportation.  

En 2021, 77,2% du soja produit par le pays a été exporté. L’intense transformation du paysage du Cerrado, qui représente 45% de la superficie nationale dédiée à l’agriculture et à l’élevage, résulte d’abord de l’expansion accélérée des monocultures de soja OGM (légalisées en 2005), ensuite de celle de maïs, de coton et de canne à sucre, qui occupent environ 47 millions d’hectares dans le Cerrado. Le Brésil est ainsi devenu la deuxième plus grande région du monde plantée d’OGM et le pays le plus grand consommateur au monde de pesticides.  

À côté des conglomérats agro-industriels étrangers, on trouve divers fonds d’investissement également étrangers. À titre d’exemple, la Teachers Insurance and Annuity Association of America (TIAA) et l’Harvard Endowment Fund sont les premiers acheteurs étrangers de terres agricoles au Brésil et, depuis 2008, quelque 750 000 hectares sont entre leurs mains, majoritairement dans le Cerrado. 

La situation des peuples autochtones en général est connue des pouvoirs publics et les rapports de menaces et de violations s’accumulent encore en toute impunité. Cette.situation est héritée de l’histoire même du Brésil mais l’espoir renaît avec le nouveau gouvernement. 

En 1850, la loi foncière brésilienne N°601/1850, dite "Lei de terras", a créé le droit à la propriété privée de la terre par achat ou héritage, empêchant la possession et l’occupation et donc l’accès légal à la terre pour tous les pauvres. Le blocage de l’accès à la terre pour les populations d’origine africaine était une condition pour l’abolition de l’esclavage en 1888. Aujourd’hui, les propriétaires terriens sont encore majoritairement "blancs" (79,1 % d’après le recensement agricole de 2017). 

Le bilan de Lula après ses 100 premiers jours au pouvoir 

Alors que Lula est au pouvoir depuis plus de trois mois, son gouvernement génère de fortes attentes. Au niveau national, la demande sociale de renforcement de l'État providence est accrue. Mais Lula n'a pas de majorité au parlement. 

Durant les 100 premiers jours de son mandat, au niveau économique, Lula a décidé de mettre en sommeil certains projets de privatisation, d’approuver une hausse du salaire minimum, de faire revenir en force la Bolsa Familia (bourse sociale, programme social brésilien, ndlr) avec une politique d’aide à l’enfance et à l’adolescence, il a remis en place le Mais Médicos (programme gouvernemental d'aide sociomédicale, ndlr), avec le recrutement de postes de professionnels médicaux pour les municipalités les plus démunies, rétabli le ministère de l’égalité raciale, repris les investissements dans les infrastructures…

Le gouvernement brésilien de Luiz Inácio "Lula" da Silva a également annoncé la délimitation des six premières terres indigènes depuis 2018. Toutefois, il se heurte au parlement qui, fin mai 2023, a approuvé un projet limitant la démarcation des terres indigènes aux terres qu’ils occupaient au moment de la promulgation de la Constitution de 1988. Une thèse rejetée par les autochtones, qui arguent qu’ils n’occupaient pas certaines terres en 1988 parce qu’ils en avaient été évincés au fil des siècles, notamment pendant la dictature militaire (1964-1985). 

C’est une bataille pour les peuples autochtones du Brésil, qui essaient de retrouver peu à peu leurs droits après l’administration de Jair Bolsonaro qui avait fortement favorisé les intérêts miniers, agricoles et des éleveurs de bétail. 

Lula a de même relancé le Conseil National de Politique Indigène (CNPI) et créé le Comité de Gestion de la Politique Nationale d’administration Territoriale et environnementale des Terres Indigènes (PNGATI), afin de protéger les ressources naturelles présentes sur les territoires indigènes. 

Au niveau sécuritaire, la lutte contre le crime organisé se met petit à petit en place. À titre d’exemple, le ministère brésilien de la justice a déclaré qu’il avait ordonné l’envoi de troupes spéciales de la Force de sécurité nationale dans l’État de Rio Grande do Norte, où des attaques menées par des groupes de trafiquants de drogue ont été signalées dans 19 villes.

Cette vague de violence serait liée à une importante opération de renseignement qui a permis aux autorités de confisquer des armes destinées au crime organisé. Le Rio Grande de Norte est l’un des sites touristiques les plus visités du pays grâce aux stations balnéaires de Natal et de Tibaù do Sul, la municipalité où se trouve la célèbre plage de Pipa (ancien village de pêcheurs devenu un spot mondialement reconnu pour le surf, ndlr).

Toutefois, une partie de son électorat s’attendait à des bouleversements plus rapides mais, c’est sans compter, que les grands bouleversements économiques nécessitent du temps surtout dans un pays où le gouvernement doit composer avec diverses forces politiques. En effet, le pays est divisé et Lula n’a pas la majorité au parlement ce qui le conduit à chercher des majorités au cas par cas ce qui est compliqué et nécessite le monnayage de soutiens (attribution de postes, etc…). 

Lula jongle donc entre une politique sociale-démocrate et une politique plus radicale à gauche. À titre d’exemple on peut citer sa critique ouverte du président de la Banque Centrale du Brésil sans pour autant affirmer que le gouvernement va prendre des mesures visant à corriger la politique de celle-ci. 

Les impôts au Brésil reposent également principalement sur : 

  1. L’industrie alors que l’économie au Brésil tend de plus en plus à se développer vers une économie des services;

  2. La consommation avec une faible taxation du capital dont les dividendes.

À ce titre, le projet de loi qui définit le nouveau "cadre budgétaire" du Brésil est examiné à la loupe par les investisseurs pour savoir si le gouvernement va respecter les grands équilibres. Lula avait déjà dévoilé les grands axes de sa politique budgétaire début avril 2023 afin de stabiliser l’endettement du pays d’ici 2026 avec une ligne directrice : marier la responsabilité budgétaire à l’engagement social d’un gouvernement élu pour réduire la pauvreté. La dette publique brésilienne représente 73 % du PIB. 

La politique étrangère du Brésil 

Avec Lula, le Brésil se veut de retour sur la scène internationale et le Président brésilien a toujours eu une position clairement en faveur de l’autodétermination des peuples.

Durant le séjour de Lula en Chine au début de son mandat en 2023, l’ancienne présidente brésilienne Dilma Rousseff (alliée de Lula) a pris la présidence de la banque de développement des BRICS (Nouvelle Banque de Développement, NBD) basée en Chine, à Shanghai. La banque est un projet ambitieux qui vise à financer des projets de développement dans les pays membres (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et dans d’autres pays en développement. Elle est une alternative à la Banque Mondiale et au Fonds Monétaire International (FMI). 

A- La Chine 

Au niveau international, le président brésilien s'est rendu en Chine et renforce les liens avec le géant asiatique, contribuant ainsi à faire naître le nouveau monde multipolaire en gestation. 

Le Brésil exporte vers la Chine du soja, du minerai de fer, du pétrole, etc., ce qui fait que la Chine est un partenaire incontournable du Brésil au niveau économique (la Chine représente plus de la moitié du commerce extérieur brésilien). 

En Chine, la délégation brésilienne a signé de nombreux accords commerciaux avec ce pays qui est le principal partenaire commercial du Brésil depuis 2009. Malgré les mauvaises relations entre la Chine et le précédent gouvernement de Jair Bolsonaro, en 2022, le produit brésilien le plus vendu sur le marché chinois était le soja, avec 36% des exportations totales, suivi du fer avec 20% et du pétrole 18%. Selon Agencia Brasil, le profil des exportations a légèrement changé entre janvier et février de cette année, le pétrole arrivant en tête avec 23% des exportations. Le nouvel accord commercial avec la Chine a cette particularité que les échanges pourront se faire en monnaies nationales. 

B- La Russie 

Par contre, Lula ne semble pas appréhender la situation en Ukraine avec l’objectivité totale qu’on pourrait attendre de sa part même s’il a conseillé Washington et Bruxelles de cesser d’encourager la guerre.

En effet, il a déclaré que la Russie ne pourrait pas conserver l’intégralité des territoires gagnés lors de l’opération spéciale russe et que l’expansion globale des relations économiques entre la Russie et le Brésil dépendrait du compromis de la Russie sur les objectifs de sécurité nationale qu’elle cherche à promouvoir par le biais de son opération spéciale en cours en Ukraine, opération que Moscou considère comme existentielle. 

C’est à ce titre un certain manque de connaissance de l’histoire russe et de l’URSS et une absence de recul face à la non-application des accords de Minsk et à la politique raciste du régime de Kiev qui met en danger les Russophones et dont le génocide programmé par le gouvernement de M. Zelensky était arrivé à son paroxysme.

Dans ce contexte et au regard de l’histoire, des haines exacerbées et de la volonté des populations locales, un retour à une situation antérieure à l’opération spéciale russe ne semble pas réaliste ni même prudent pour la population russophone. Messieurs Danilov (secrétaire du Conseil de sécurité nationale et de défense de l’Ukraine) et Podolyak (conseiller du chef de cabinet du Président ukrainien) ont dit notamment qu’après le retour de la Crimée et des territoires de l’est de l’Ukraine, ils extermineraient tout ce qui est russe là-bas, jusqu’à la destruction physique des citoyens russes...  

La grande stratégie de Lula semble être d’"équilibrer" ses principaux partenaires chinois et US, par la dédollarisation avec les premiers et par les prosélytismes "wokeism" avec les seconds. Les relations avec la Russie apparaissent être de moindre importance par rapport à celles des deux autres au moins en ce début de mandat par le Président brésilien. Le Brésil et la Russie ne figurent pas parmi les vingt principaux partenaires commerciaux l’un de l’autre même si le Brésil se fournit massivement en engrais auprès de Moscou. 

C- Les États-Unis 

Cependant, un peu plus de 100 jours de mandat du président brésilien sont trop courts pour faire une analyse définitive, surtout si l’on tient compte de certaines dimensions ayant trait aux attentes des États-Unis, deuxième partenaire commercial du Brésil qui figuraient en premier sur la liste des visites et avec lesquels il réactivera les alliances pour la préservation de l’Amazonie.

En janvier dernier, en pleine tentative de coup d’État (fomenté par la CIA comme l’a confirmé un ancien responsable des services de renseignement américains ?), Joe Biden n’a pas hésité à apporter un soutien solide au gouvernement de Lula.  

Les indices du "Maïdan" au Brésil peuvent cependant être obtenus, par exemple, au Cyber Command de l’armée américaine à Fort Gordon, où ce n’est un secret pour personne que la CIA a déployé des centaines de moyens à travers le Brésil avant la récente élection présidentielle, fidèle au livre de jeu de la "stratégie de la tension".

Des conversations de la CIA à ce sujet ont été interceptées à Fort Gordon depuis mi-2022. Le thème principal était alors l’imposition du récit très répandu selon lequel "Lula ne pouvait gagner qu’en trichant". L’une des principales cibles de la CIA était de discréditer par tous les moyens le processus électoral brésilien, ouvrant la voie à un récit préemballé qui s’est effiloché suite à un Bolsonaro vaincu fuyant le Brésil pour se réfugier aux États-Unis.  

Ce qui est clair, c’est que pour certaines factions du puissant establishment US, se débarrasser de Donald Trump à tout prix est encore plus crucial que de paralyser le rôle du Brésil dans les BRICS.  

Les relations avec les États-Unis reflètent un peu les différentes forces qui s’affrontent chez l'Oncle Sam. En effet, a contrario du scénario élaboré par la CIA, la sous-secrétaire d’Etat américaine aux affaires politiques, Victoria Nuland, a effectué une visite "non officielle" au Brésil en avril 2022. Elle a refusé alors de rencontrer Jair Bolsonaro et a fait l’éloge du système électoral brésilien. Il ne faut pas oublier que Lula a encensé Joe Biden en 2021 le qualifiant comme "un souffle pour la démocratie dans le monde" (Joe Biden qui fut, entre autres, un des principaux artisans de la guerre en Irak au côté de George W.Bush à travers sa position au Sénat). 

Mais, Lula saura-t-il à long terme lutter contre les intérêts de Wall Street et du département d’Etat US contrôlé par les Démocrates avec une marge de manœuvre en interne extrêmement mince ? Il ne faut pas non plus négliger le rôle des militaires brésiliens - et de leurs manipulateurs étrangers - qui se sont lancés dans un projet à très long terme et qui contrôlent la plupart des leviers de la structure du pouvoir. 

Ce qui est inquiétant pour Lula c’est qu’il semble impossible que l’appareil de sécurité l’entourant n’ait pas pu prévoir la tentative de coup d’État du 8 janvier dernier surtout au vu du tsunami de signes sur les réseaux sociaux. 

D - Le Brésil et l’intégration régionale 

En Amérique latine et dans les Caraïbes, 20 % de la population concentre 83% des richesses. Et depuis les années 2000, l’extrême pauvreté augmente. Dans ce cadre, récemment en avril dernier le Brésil tout comme l’Argentine a annoncé qu’il réintégrait la UNASUR (l’Union des Nations Sud Américaines).  

L’ambition de cette Union est de dynamiser l’intégration régionale au sens large qui engloberait des enjeux tels que l’énergie, l’éducation, la santé, l’environnement, la sécurité ou la démocratie.  

L’UNASUR veut unir les États d’Amérique du Sud au-delà des groupes régionaux existants. En effet, l’UNASUR compte en son sein les Etats parties aux deux principales unions douanières de la région, la Communauté Andine des Nations (CAN) et le Marché Commun du Sud (MERCOSUR), mais aussi des pays membres de l’Alliance du Pacifique et de l’Alliance Bolivarienne pour les Peuples de notre Amérique (ALBA), ainsi que la Guyane et le Suriname.  

Son aire d’influence se veut donc la plus large possible parce qu’elle entend renforcer l’identité sud-américaine en s’appuyant sur l’histoire et la culture communes aux pays du continent. 

De ce point de vue, l’UNASUR dit s’inspirer de l’Union européenne, l’objectif devant à terme être la mise en place d’un corps administratif supranational remplaçant les organes politiques de la CAN et du MERCOSUR. 

L’UNASUR se veut participer à l’intégration tant économique, que culturelle, sociale ou politique entre les Etats parties. Les principaux projets soutenus par l’UNASUR sont la construction d’une route reliant les côtes brésiliennes à l’océan Pacifique, l’établissement d’une zone de libre-échange et l’introduction dans le futur d’une monnaie unique dans la région. 

Les pays Membres (12) de l’UNASUR comprennent : Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Équateur, Guyane, Paraguay, Pérou, Suriname, Uruguay, Venezuela. Avec deux États observateurs : Mexique, Panama.

Le calcul géopolitique du président brésilien c’est d’avancer aussi loin que possible dans l’intégration de l’Amérique Latine ; ceci en redonnant vie à ses institutions, principalement la UNASUR, mais aussi le MERCOSUR, pour créer un bloc capable d’intervenir sur la scène internationale. Outre la réinsertion du Brésil dans la UNASUR, Lula parie sur le renforcement de la CELAC (Communauté d’États Latino-Américains et des Caraïbes) et sur les mesures institutionnelles qui pourront être prises. 

La CELAC est un organisme intergouvernemental regroupe les 33 pays d’Amérique Latine et des Caraïbes, soit plus de 600 millions d’habitants. Il succède au Groupe de Rio créé en 1986 afin d’améliorer la coopération entre les pays d’Amérique Latine. Le but de la CELAC est de promouvoir l’intégration et le développement des pays latino-américains et des Caraïbes. 

C’est notamment afin de s’émanciper de l’influence des États-Unis que le projet de réunir tous les pays du continent américain à l’exception des États-Unis et du Canada a vu le jour. Toutefois, la prise d’autonomie par rapport aux États-Unis n’est pas le but premier de la CELAC. Il s’agit, avant toute chose, d’un forum de concertation permanente entre les Etats du continent. 

La CELAC s’inscrit dans le développement d’un régionalisme post-commercial en Amérique Latine et dans les Caraïbes. À ce titre, l’intégration défendue par la CELAC ne se réduit pas à l’économie et aux échanges commerciaux. La coopération et le développement font également figure de priorités. La concertation politique est au cœur du projet CELAC et les principaux thèmes de négociations portent sur l’énergie, la science et la technologie, les infrastructures, la finance et le développement social. 

Voici quelques idées importantes qui sont envisagées à travers ces organisations d’intégration régionale : reprendre le projet d’une Banque du Sud liée à l’UNASUR, mettre en place un système de paiements et d’échanges financiers capable de fonctionner sans passer par le dollar… 

En parallèle de cette intégration régionale, Lula joue également un rôle clé dans la promotion de l’adhésion de l’Argentine aux BRICS et a de même soutenu celle du Venezuela. Au niveau de la Nouvelle Banque de Développement (NDB), l’une des institutions les plus importantes créées par les BRICS, on peut noter que l’Uruguay est en cours d’adhésion et, qu’au premier juin, d’autres pays avaient été approuvés en tant que nouveaux membres dont l’Argentine. 

Vers une monnaie commune ? 

A- Avec les BRICS ? 

Le Brésil soutient l’idée d’une monnaie commune au sein des BRICS notamment afin qu’elle se substitue en grande partie au dollar US. Pour l’instant, le Brésil exporte ses produits vers la Chine principalement en dollars et commence d'ores et déjà à passer à des règlements en Yuans ce qui lui permet de diminuer sa dépendance au dollar, baisser les coûts des transactions et augmenter ses exportations vers la Chine.

Cette tendance lourde avait déjà été lancée dès 2020 par l’entreprise minière brésilienne Vale qui a commencé à exporter dans la devise chinoise. Une monnaie commune au sein des BRICS ne semble pas réalisable cependant à très court terme au regard des nombreuses questions macroéconomiques qu’entre autres elle soulève (si les BRICS ne veulent pas reproduire les erreurs de l’euro). 

Aujourd’hui, les réserves de la Banque centrale brésilienne sont encore composées dans leur énorme partie de dollars US (estimées à 400 milliards de dollars) mais, pour les monnaies résiduelles, la part du Yuan a dépassé celle de l’euro. 

B- Au sein de l’Amérique latine ? 

Le principal projet envisagé a été notamment avec l’Argentine mais il a été démenti par le nouveau gouvernement bien qu’ayant été évoqué avant l’élection présidentielle brésilienne. Rien de concret n’a été élaboré depuis l’élection de Lula notamment à cause de l’instabilité de l’Argentine en termes de macroéconomie et du peso argentin qui est en pleine tourmente. Dans ce cadre, le contexte n’est pas favorable à l’émergence d’une monnaie commune à court terme également au sein de l’Amérique latine. 

En conclusion, la marge de manœuvre du président Lula est mince face aux défis qui attendent le Brésil dans un monde économique instable avec des tentatives de manipulations et autres pressions tant au niveau écologique que géopolitique. Le Brésil d’aujourd’hui semble vouloir ménager le monde unipolaire dirigé par les Occidentaux qui se meurt lentement et le nouveau règne multipolaire naissant. Face au déclin des États-Unis notamment, il apparaît urgent pour le continent sud-américain et donc pour le Brésil de trouver d’autres débouchés et d’autres références dans la sphère mondiale.

Ce changement de système au niveau international ne se fera pas sans heurt ni provocation et le Brésil, malgré ses dissensions internes, devra avoir une politique nationale ainsi qu’étrangère stable et forte en phase avec le nouvel ordre international et les attentes de sa population. 

  • Catherine Roman est Française et a vécu quelques années en Russie. Elle travaille dans le secteur des chiffres et se passionne pour la géopolitique et l'intelligence économique.

Principales sources, auteurs et administrations :  Alexandre Lohmann, Romain Mingus, Ricardo Vaz, Jessica Dos Santos, Breno Altman, Mission permanente de la France auprès de l’Organisation des États Américains, Andrew Korybko, Correio Braziliense, Telesur, Thierry Ogier, Grain, Pepe Escobar, Jean-Yves Carfantan, Ben Norton (MR online).

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