Sanctions occidentales illégales : la renonciation de l'ONU et des Etats au droit international

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Catherine Roman, pour FranceSoir
Publié le 20 juin 2022 - 18:11
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Le drapeau des Nations unies devant le siège de l'ONU, à New York, le 23 septembre 2019
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© Ludovic MARIN / AFP/Archives
Le drapeau des Nations unies devant le siège de l'ONU à New York.
© Ludovic MARIN / AFP/Archives

TRIBUNE — Nous assistons actuellement au développement des mesures visant à gouverner par la sanction. Les Occidentaux s’estiment, en effet, fondés à sanctionner divers pays, entités et individus à travers le monde, mais ces mesures ne sont-elles pas une déformation du droit international et une violation du cadre de l’ONU ? Les politiques ainsi déployées ne visent-elles pas en premier lieu à neutraliser leurs adversaires et à installer un gouvernement mondial ?

Petit rappel du droit international

Historique

La coutume internationale a toujours admis la pratique de sanctions à l'encontre d'un État. Il s'agissait de blocus et d’embargos en vue de faire pression sur des États étrangers. Souvent utilisées au XVIIe et XVIIIe siècle, ces mesures ont été codifiées par le droit international et utilisées dans une conception extensive.

Contre-mesures (Commission du droit international / CDI) versus sanctions (Conseil de sécurité des Nations unies)

Les « contre-mesures » et les « sanctions » sont deux types de mesure qui sont des réactions à un fait illicite commis préalablement. Les contre-mesures prises par un État ne sont légitimes qu’après l’avènement d’un fait internationalement illicite par un autre État (ou sur décision seule du Conseil de sécurité de l’ONU en cas de conflit). Il en va de même pour les sanctions des Nations unies qui ne sont prises par les États qu’après l’occurrence des trois situations de l’article 39 par le Conseil de sécurité et l’existence d’une décision les ordonnant. Les mesures du chapitre VII de la Charte des Nations unies repris comme exemple par la Commission du droit international (CDI) sont appliquées à la suite d’un manquement d’un État à une double obligation : celle de s’abstenir de tout comportement qui pourrait constituer une menace ou une rupture de la paix, et celle d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité portant injonction de cesser ce comportement illicite.

Les contre-mesures sont prises directement par un État sur la base d’une décision autonome tandis que les mesures prises par les États dans le cadre des sanctions sont prises à la suite d’une décision d’un organe collectif compétent. Ce qui fait que, dans le cadre des contre-mesures, l’action étatique est le résultat d’une auto-qualification de la violation présumée d’une obligation, et peut engager sa responsabilité internationale en cas d’interprétation erronée. Les contre-mesures édictées par les États à titre individuel, dans l’exercice de leurs propres pouvoirs, agissent donc à leurs « risques et périls ».

Dans le cadre des sanctions des Nations Unies, c’est le Conseil de sécurité qui est l’auteur de la qualification juridique du fait incriminé et qui dicte les mesures de réaction à prendre par les États. Les sanctions ne peuvent être prises que sur décision du Conseil de sécurité de l’ONU. Les sanctions s’inscrivent dans un système de réaction institutionnalisé et centralisé, tandis que « les contre-mesures caractérisent un système décentralisé permettant aux États lésés suite à une action illicite à leur égard de s’efforcer de faire valoir leurs droits et de rétablir la relation juridique avec l’État responsable qui a été rompue par le fait internationalement illicite ».

Enfin, il y a une tendance grandissante jusqu’à récemment dans la société internationale actuelle à réserver à des institutions internationales la détermination de l’existence de la violation de certaines normes et la prise de mesures de réactions correspondantes. Ainsi, les réactions à une agression ont été réservées au Conseil de sécurité de l’ONU en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Même si les États gardent leur droit de légitime défense contre une agression, ce droit est juridiquement subordonné à une action ultérieure du Conseil de sécurité, en vertu de l’article 51 de la Charte.

Les droits des tiers

L’État ou l’organisation qui réagissent par des contre-mesures ou sanctions doivent limiter, dans les deux cas, les effets des mesures prises au seul État auteur du fait illicite. Ils doivent éviter ou limiter autant que possible les effets de ces mesures sur les autres États. C’est l’exigence du respect des droits des tiers. Il arrive assez fréquemment dans les relations internationales que l’action de l’État qui agit dans l’application d’une contre-mesure légitime à l’encontre d’un autre État, tout en ne visant directement que ce dernier, cause quand même à cette occasion un tort à un État tiers. Dans de tels cas, la CDI a conclu qu’une mesure de sanction causant des dommages aux tiers est entachée d’illicéité à l’égard de cet État, que ces dommages aient été délibérés ou involontaires. Un État prenant des contre-mesures qui affectent le droit des États tiers doit s’attendre à ce que sa responsabilité soit engagée par ces États tiers pour faire retirer les mesures qui les touchent et pour demander la réparation des dommages subis.

Le droit communautaire européen

Dans l’ordre juridique communautaire européen, les États ont renoncé à leurs droits de réactions individuelles aux violations des règles communautaires au profit des organes collectifs de l’Union européenne. Et lorsque ces organes prennent des mesures économiques à la place des États, ils sont soumis au droit international.

Sanctions extra-territoriales américaines vs ONU

Si l’on reconnaît que l’ONU est un sujet du droit international, il possède une nature juridique particulière de l’ONU
L’évolution du système international jusqu’à récemment nous montrait un rétrécissement progressif de la sphère des réactions unilatérales des États au profit des réactions institutionnelles. Depuis le début des années 1990, l’Assemblée générale des Nations unies avait voté plusieurs résolutions visant à éliminer dans les relations internationales les mesures économiques coercitives unilatérales.

L’adoption de ces résolutions était motivée, d’une part, par la préoccupation de l’Assemblée générale face aux effets négatifs des mesures économiques unilatérales sur le développement et les droits de l’homme, sur les relations et la coopération entre les États, et sur le commerce et les investissements internationaux. D’autre part, il s’agit d’une réaction de l’Assemblée à l’utilisation des mesures économiques comme instrument de pression politique contre un gouvernement pour changer son système économique et social, ainsi que sa politique interne ou étrangère. Plus particulièrement, c’est une réaction de l’Assemblée générale à la pérennité et au renforcement des sanctions contre Cuba, et à la promulgation par les États-Unis d’Amérique de la « loi Helms-Burton » et son effet extraterritorial.
Dans ces résolutions, l’Assemblée générale, entre autres, exhorte les États à s’abstenir de promulguer et d’appliquer des lois et mesures dont les effets extraterritoriaux portent atteinte à la souveraineté d’autres États et aux intérêts légitimes d’entités ou de personnes placées sous leur juridiction, « vu leurs obligations aux termes de la Charte des Nations unies et du droit international qui, notamment, consacrent la liberté du commerce et de la navigation ».

Au regard du droit des États d’appliquer des mesures économiques unilatérales, ces résolutions condamnent sans équivoque le recours à des mesures qui ont des effets extraterritoriaux.

Comme bases juridiques de l’interdiction du recours unilatéral aux mesures économiques, l’Assemblée invoque en premier lieu plusieurs principes fondamentaux du droit international. Il s’agit d’abord du principe selon lequel aucun État ne peut appliquer ni encourager le recours unilatéral à des mesures économiques, politiques ou autres pour contraindre un autre État à lui subordonner l’exercice de ses droits souverains.

L’Assemblée invoque ensuite le droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes, en vertu duquel ils déterminent librement leur statut politique et s’emploient librement à réaliser leur développement économique, social et culturel. 
Les droits de l’homme constituent une autre base juridique des recommandations de l’Assemblée générale sur l’élimination des mesures coercitives unilatérales. Elle affirme encore que ces mesures nuisent à la pleine réalisation du développement économique et social de la population des pays touchés, particulièrement les femmes et les enfants, portent atteinte à son bien-être et font obstacle au plein exercice de droits de l’homme, y compris le droit de chacun à un niveau de vie permettant d’assurer sa santé, son bien-être, et le droit à l’alimentation, aux soins médicaux et aux services sociaux nécessaires. D’une manière générale, l’Assemblée précise que les mesures coercitives font obstacle aux relations commerciales entre États et entravent la pleine réalisation de tous les droits de l’homme. Et c’est naturellement qu’elle fait référence, en sus des principes dégagés de la Charte, aux « principes de base d’un système commercial multilatéral non discriminatoire et ouvert ».

Quelles implications pour la géopolitique actuelle ?

Les pays touchés par des contre-mesures occidentales actuelles et des sanctions non conformes à la Charte de l’ONU sont sur divers continents et sont touchés suite à différents objets de poursuites. La liste non exhaustive des pays sanctionnés illégalement comprend : la Biélorussie, l’Iran, le Mali, la Russie, la Syrie, le Venezuela. On peut remarquer au sein de cette liste une certaine homogénéité dans leur rapport de force politique avec l'Occident, ce qui peut soulever diverses interrogations sans compter de l’impact économique et financier négatif au niveau mondial de ces sanctions illégitimes. Dans ce cadre, l’Occident risque donc des poursuites judiciaires par les États visés par lesdites sanctions ou contre-mesures et par les États tiers pénalisés.

En conclusion, après avoir menti au Conseil de sécurité de l’ONU sur les prétendues armes de destruction massive de Saddam Hussein et développé des laboratoires biochimiques à travers le monde, les Etats-Unis se sont accordés de concert avec l’Union européenne pour soutenir et justifier de nombreux mouvements séparatistes y compris en Europe dont notamment le Monténégro et le Kosovo. Comme on le voit de plus en plus, outre le droit international et la Charte des Nations unies qui sont bafoués, on assiste à des politiques qui appliquent fréquemment le principe de « deux poids, deux mesures ». Dans ces conditions, l’Occident va-t-il basculer et essayer d’entraîner le monde vers un gouvernement planétaire qu’il dirigerait de façon arbitraire et où le droit serait absent et soumis à des intérêts privés ?La réponse dépendra d’une prise de conscience précoce ou tardive de la population mondiale qui doit déjà se battre pour son droit à une information fiable et diversifiée afin de se faire sa propre opinion des situations auxquelles elle est confrontée.

 

Principales références : Djacoba Liva Tehindraznarivelo, Barbara Delcourt

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