L’effondrement démographique qui vient, la crise sociétale qui est déjà là

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Christophe Lemardelé, pour FranceSoir
Publié le 23 juin 2021 - 16:45
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Le parlementaire démocrate Eric Swalwell (c), son bébé dans les bras, lors de la cérémonie d'investiture de la Chambre des représentants, le 3 janvier 2019 à Washington
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© SAUL LOEB / AFP/Archives
Le parlementaire démocrate Eric Swalwell, son bébé dans les bras, lors de la cérémonie d'investiture de la Chambre des représentants, le 3 janvier 2019 à Washington
© SAUL LOEB / AFP/Archives

TRIBUNE - Les collapsologues envisagent de nombreux scénarios d’effondrement planétaire, en particulier ceux résultant du réchauffement climatique et de l’épuisement des ressources causé par une humanité trop nombreuse et insouciante. Ils ignorent le plus souvent un scénario bien plus plausible qui rendra nul à terme un certain nombre de leurs hypothèses les plus pessimistes. Car la population ne va pas exploser – c’est déjà fait ! –, elle va imploser.

On se targue de science aujourd’hui tout en délaissant la démographie. Un ancien président comme Nicolas Sarkozy pense pouvoir parler démographie sans en connaître les données et, surtout, un outil conceptuel central : la transition démographique. Pendant des siècles et même des millénaires, la population mondiale a peu augmenté, la mortalité, notamment infantile, était trop élevée. L’explosion démographique a commencé en Europe au XIXe siècle non parce que la natalité aurait augmenté mais parce que la mortalité, notamment infantile, a baissé. Il en a été de même ensuite en Asie, en Amérique et, finalement, en Afrique.
 
Passant de 1 milliard d’habitants en 1800 à 9 ou 10 milliards vers 2050 – plus de 7 milliards aujourd’hui –, la population mondiale aura explosé à cause du développement économique, sanitaire et éducationnel touchant peu ou prou les diverses régions du monde, même les plus périphériques. L’explosion démographique ne s’explique que par un décalage dans le temps entre la baisse de la mortalité et la baisse de la natalité. Dans une société où la vie est fragile, les gens ont beaucoup d’enfants afin d’assurer en moyenne la survie à vingt ans de deux enfants sur quatre. Quand la mortalité infantile baisse, il leur faut un certain temps avant de réaliser qu’il n’est plus utile d’assurer l’avenir en ayant une progéniture fournie de l’ordre de 7 à 8 enfants par couple. De meilleures conditions de vie et l’accès à l’éducation conduit alors les couples à maîtriser les naissances par une contraception au départ naturelle et rudimentaire. 
 
La France fut le premier pays au monde à limiter ainsi les naissances peu avant la révolution française. D’avoir été le premier pays à entrer dans la transition démographique fit que ce pays fut toujours en léger décalage avec ses voisins : moins nataliste qu’eux un siècle plus tard, moins dénataliste qu’eux deux siècles plus tard… Mais cette exception française semble relever du passé car l’indice de fécondité est désormais inférieur à 2,1 enfants par femme, en dessous donc du seuil de renouvellement naturel d’une population. Avec 1,8 enfants par femme, la France n’est donc pas plus nataliste que le reste de l’Europe (moyenne de 1,6 enfants par femme) mais moins dénataliste…
 
Au niveau mondial, l’indice de fécondité est de 2,4 enfants par femme (chiffre de l’Institut National des Études Démographiques en 2019). Dès lors, l’augmentation encore forte de la population mondiale ne s’explique pas par la forte natalité mais par la progression de l’espérance de vie dans presque tous les pays du monde : les enfants survivent mieux, les jeunes aussi, et de plus en plus d’adultes parviennent à un âge avancé. Quand on observe cet indice au niveau continental et à l’échelle sous-continentale, on en déduit que la natalité est en berne presque partout à l’exception de l’Afrique subsaharienne qui n’est entrée dans la troisième phase de la transition démographique – baisse de la natalité – que récemment. En Amérique du Nord et du Sud, l’indice de fécondité est bas : 1,7 au Brésil. En Extrême-Orient, la situation est même catastrophique : 1,1 en Corée du Sud. L’Europe, première région du monde à avoir explosé démographiquement et donc à migrer en masse en Amérique du Nord, est un sous-continent dénataliste au nord comme au sud, à l’est comme à l’ouest.
 
Le concept de transition démographique comporte deux étapes intermédiaires permettant de passer d’un régime démographique ancien à un régime démographique moderne, ce qui nous fait la présenter en 4 temps forts : 1) natalité élevée/mortalité élevée ; 2) natalité élevée/baisse de la mortalité ; 3) mortalité faible/baisse de la natalité ; 4) mortalité faible/natalité faible. 
 
 
Mais il nous faut ajouter un temps 5 : mortalité très faible/natalité insuffisante. Alors que l’on pensait que l’adoption d’un régime démographique moderne permettrait de retrouver un équilibre, une stabilité, il n’en est rien. Comme l’écrivent Darrel Bricker et John Ibbitson : « Aujourd’hui, la population est déjà en diminution dans plus d’une vingtaine de pays. En 2050, une trentaine de nations seront concernées. Certaines des plus riches voient leurs effectifs baisser chaque année : le Japon, la Corée, l’Espagne, l’Italie, une grande partie de l’Europe de l’Est » (Planète vide. Le choc de la décroissance démographique mondiale, éd. Les Arènes, 2020, p. 11).
 
Il semble donc qu’inconsciemment et pour des raisons diverses difficiles à identifier précisément, le développement des sociétés, plus urbaines que rurales, conduit les couples à limiter drastiquement les naissances, voire à ne plus envisager de descendance. Les malthusiens de tous ordres devraient donc être rassurés car le pire scénario pour eux est désormais un pur fantasme qui n’a eu de réalité que dans les deux derniers siècles. Envisager une dépopulation à terme et au cours de notre présent siècle induit de nombreuses interrogations. D’abord à long terme et d’un point de vue anthropologique (philosophique, si l’on veut) : comment et pourquoi une espèce peut prendre le risque de ne plus se perpétuer ? Une espèce comme un individu se devant naturellement, selon les termes de Spinoza, de persévérer dans son être… Ensuite à court terme et d’un point de vue sociologique (sociétal même) : comment une société ne se régénérant plus peut-elle envisager son avenir et affronter sereinement les crises ?
 
Dans un régime démographique ancien, les enfants sont les individus les plus fragiles. Dans un régime démographique « postmoderne », dans lequel la part des personnes âgées l’emporte sur celle des plus jeunes, les progrès en espérance de vie étant privilégiés par rapport à un regain de natalité, les gens très âgés deviennent de fait les plus fragiles. Il n’est plus besoin de lutter contre la mortalité infantile mais de repousser le plus loin possible la fin de vie… Mais comme on ne vit pas éternellement, la mortalité finit quand même par peser, les progrès de l’espérance de vie ayant différé le départ des anciens. Dès lors, le « temps 5 » doit être affiné car le vieillissement d’une population finit par entraîner une augmentation de la mortalité. 
 
Dans un article de 2016, dans la revue de l’INED Population & Sociétés, les démographes Gilles Pison et Laurent Toulemon écrivaient : « Même dans un scénario improbable où des innovations majeures en matière de lutte contre le vieillissement biologique permettraient à l’espérance de vie de faire un bond rapide de 10 à 20 ans, on n’échapperait pas à une forte hausse du nombre de décès quand viendrait le moment de la mort pour les baby-boomers, leurs propres décès n’étant alors retardé que d’une à deux décennies ». Or, il a suffi qu’un coronavirus plus virulent que d’autres survienne pour que dans les pays vieillissants de l’Occident les services hospitaliers soient débordés – gouverner un pays vieillissant sans renforcer l’hôpital public est une faute politique ! Gouverner c’est prévoir… – et pour que l’on sacralise la vie au point de considérer qu’une vie est une vie quel que soit l’âge.
 
Dans une conférence de 2014 sur le vieillissement, le démographe Emmanuel Todd avait conclu ainsi : « Ce qui rend une espèce animale compétitive dans l’histoire de la biologie de la planète, c’est qu’elle s’occupe de ses enfants, et pas de ses parents. Les sociétés occidentales sont en ce moment à l’heure du choix : est-ce qu’on s’occupe des jeunes ou est-ce qu’on s’occupe des vieux ? ». Il semble bien que le choix ait été fait et c’est un choix intenable car la gestion néolibérale de l’hôpital a conduit et conduit encore à supprimer des lits, ce qui entraîne des mesures de confinement coûteuses économiquement – faillites, chômage, précarité des jeunes, suicides, endettement des particuliers et de l’État, etc. – en cas de pandémie. Choix irraisonné pouvant s’avérer même funeste quand on considère que pour maintenir une société ouverte il faille en passer par la vaccination des plus jeunes sans garantie sur des effets secondaires à long terme. Pour sauver ce qui reste d’un présent qui nous fait voir une forme de déclin, on semble prêt à compromettre un avenir…


Article original publié sur le blog Ethique... et toc ! et écrit par Christophe Lemardelé, enseignant, licencié d’histoire, docteur en sciences religieuses, auteur de nombreux articles scientifiques en histoire des religions et en anthropologie sociale.

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