L’intérêt général au détriment de l’humain
Article original publié sur le blog Ethique... et toc !
Un certain professeur, qu’il est de bon ton de dénigrer à tout propos (Didier Raoult), vient de souligner la divergence apparue désormais dans les sciences entre le souci unique des faits – la vérité scientifique – et la prise en compte de l’intérêt général, au point qu’il devienne plus important que la science même.
Comme il le signale, la seconde option, qui rend toute science tributaire d’un modèle de société et d’une idée arrêtée de son évolution, a particulièrement été défendue par Bruno Latour : "la science est un des leviers pour nous contraindre à adopter de nouveaux modes de vie, une pandémie étant l’occasion d’accélérer la mutation socio-anthropologique."
Dans un récent entretien, le romancier Serge Joncour, sur la lancée de son roman Nature humaine, défend tout l’arsenal de mesures sanitaires contre le covid, qu’importe les conséquences sociales, les victimes collatérales, même très jeunes, car « Nous faisons corps, nous ne sommes qu’un troupeau gigantesque et bien disséminé, mais nous sommes ça ». La liberté, qui est une affaire individuelle avant tout, est reléguée en arrière-plan, voire sacrifiée temporairement, au profit d’une discipline collective sans bénéfice immédiat, comme celui d’une égalité socio-économique qui était l’apanage de la gauche. Nous devons donc mettre nos vies brèves entre parenthèses pour des lendemains meilleurs mais incertains, nous souder face à une adversité invisible mais potentiellement meurtrière : le changement climatique, actuelle et futures pandémies.
Nous ne faisons pas encore corps puisqu’il existe des climato-sceptiques et des antivax, mais nous sommes bien tous compris dans un collectif. Dans leur article de 2016 sur la hausse des décès en France, deux démographes écrivaient qu’un léger recul de l’espérance de vie à la naissance était alors dû « à une épidémie de grippe particulièrement meurtrière (…) à laquelle s’est ajouté un mois de juillet caniculaire et des vagues de froid en octobre ayant entraîné quelques milliers de décès supplémentaire ». Le scientifique s’appuie sur des faits et ceux-ci peuvent être des statistiques et donc traités collectivement. Mais que ces données surviennent sans recul dans notre vie quotidienne et toute notre existence en devient fragilisée. On voit son espérance de vie individuelle se réduire comme peau de chagrin. Nous faisons corps mais nous le faisons dans la peur.
L’intérêt général auquel nombre de scientifiques se réfèrent – par exemple, avoir une approche type gender studies pour une étude historique en espérant changer la société contemporaine : « I hope [that] this book might be useful in the contemporary construction of a feminist masculinity » (M. Rosenberg, Signs of Virginity in late Antiquity, p. 18) – devient rapidement un oubli de la science au profit d’une idéologie. Car le réel, quel qu’il soit, que tout scientifique se propose d’approcher, est par nature amoral. Dès lors, vouloir le transformer en cause ou en action morale, c’est prendre le risque d’en faire quelque chose d’immoral.
Dans sa pièce Le Diable et le Bon Dieu, Sartre mettait en action un personnage cruel et immoral qui causait bien plus de mal à partir du moment où il se proposait de faire le bien. La place des scientifiques est hors société car leur pouvoir est potentiellement démiurgique. Et des affidés – politiques, journalistes, etc. – peuvent voir en eux des surhommes qui n’ont pourtant rien du Surhomme de Nietzsche, surtout s’ils s’occupent de régir la société.
L’intérêt général, qui peut quoi qu’il en soit être gangréné par des intérêts particuliers (financiers ou autres), est de l’ordre de la décision politique et démocratique. Le scientifique qui a trop le souci de cet intérêt perd de vue ses objectifs premiers que sont la recherche fondamentale et la connaissance. Au nom de l’intérêt général, on sacrifie la complexité du réel, et si l’on impose cet intérêt général, on prend le risque de perturber durablement le lien social. L’intérêt général ne peut être le fruit que d’une entente, d’une négociation, d’un contrat social à la Rousseau. Pas d’un ordre vertical.
Voir aussi : L'homme comme du bétail
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