M. Bayrou et "la logique de la Vème République"

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Alain Tranchant pour France-Soir
Publié le 27 août 2024 - 09:15
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TRIBUNE - On ne fera pas à M. Bayrou le procès de l'inconstance de ses opinions, en particulier sur le mode de scrutin. Par contre, on ne peut manquer de relever la contradiction qui ressort de l'interview qu'il donnait au "Figaro", le 19 août dernier. 

L'allié du président de la République observe d'abord "le caractère inédit d'une Assemblée sans majorité, ni absolue, ni relative" ; il déplore ensuite "soixante ans de culture brutalement majoritaire où on ne peut être que pour ou contre" ; il affirme enfin que "contre le jeu des partis s'imposera par la force des choses la logique de la Vème République (...). C'est au président de la République de former un vrai gouvernement, désintéressé, pluraliste et cohérent, constitué de personnalités de caractère". 

A l'heure où ces lignes sont écrites, la France est sans gouvernement depuis 40 jours. Le record de 38 jours, établi sous la IVème République, est battu. A chacun ses records ! M. Macron laissera celui-là aussi. Après M. Tiers à l'Elysée (record de dette publique), M. Auriol est de retour ... 

Si l'une des principales innovations de la Vème République réside dans le fait que le gouvernement procède du président de la République et non plus du Parlement, comme c'était le cas sous les Républiques antérieures, cette "logique" ne saute pas manifestement aux yeux en cette fin août 2024. Ce que l'on voit plutôt, c'est une confusion à tous les étages, que confirme d'ailleurs François Bayrou lorsqu'il évoque une "désespérante impasse" et exprime sa crainte "d'impasses successives". 

Mais s'il parle d'"impasses successives", le maire de Pau n'explicite pas pour autant son propos. Pense-t-il à un gouvernement renversé par le vote d'une motion de censure à l'Assemblée nationale ? Estime-t-il qu'une seconde dissolution, à l'horizon de juin 2025, ne réglerait en aucun cas ce problème de majorité introuvable à l'Assemblée nationale ? Le commentateur ne peut qu'émettre des hypothèses. 

En revanche, là où il n'y a pas de spéculation, mais bien une certitude, en même temps qu'une contradiction flagrante chez M. Bayrou, c'est quand il cite, parmi les chantiers du nouveau gouvernement, la nécessaire "recherche d'un équilibre institutionnel, passage à la proportionnelle aux législatives et organisation plus claire des pouvoirs publics décentralisés". 

Sans aucun doute, est-il urgentissime de revenir sur le fameux millefeuille administratif, qui n'est pas sans engendrer des coûts de fonctionnement qui pèsent lourdement sur les frais généraux de la nation. Par contre, comment ne pas s'étonner qu'au moment même où l'éparpillement de la représentation nationale aboutit à l'existence de... 11 groupes au Palais Bourbon, M. Bayrou suggère de pérenniser cette situation avec un mode de scrutin, la représentation proportionnelle, dont l'expérience des Républiques antérieures, et celle d'autres Etats européens, démontrent à l'envi qu'il ne permet pas de dégager une majorité cohérente et stable ? 

Au demeurant, il ne s'agit pas de fétichisme institutionnel. Il s'agit simplement d'observer qu'à défaut d'un mode de scrutin qui favorise le regroupement des opinions, "le risque est considérable", j'utilise les mots de M. Bayrou, de voir se perpétuer la "tragi-comédie" que nous venons de vivre, et qu'il dénonce à juste titre. 

Il y a, en effet, toutes les raisons de penser que le mode de scrutin proportionnel produirait, à l'avenir, les mêmes conséquences que pendant les années 1946 à 1958, où 23 gouvernements se sont succédé, demeurant en place en moyenne 7 mois, et entraînant - à l'instar de ce que le pays a vécu depuis les dernières élections législatives - 351 jours de vacance du pouvoir, soit presque une année sur douze ! 

Pour remettre la France debout, il faudra se rappeler que la souveraineté nationale appartient au peuple. Afin qu'il puisse exprimer une volonté majoritaire, le mode de scrutin doit favoriser le regroupement des opinions, et non leur dispersion. Quand aucune majorité ne se dégage des urnes, le peuple est dessaisi de tout pouvoir de décision. Au lendemain des élections, ce sont alors les partis politiques qui reprennent la main et tentent, vaille que vaille, de trouver un accord pour former une majorité de coalition. Il faudra se souvenir aussi qu'en vertu de l'article 3 de la Constitution, le peuple peut également être amené à exercer sa souveraineté "par la voie du référendum".  

A chacun son opinion : je préfère la "culture brutalement majoritaire", qui résulte en principe du scrutin d'arrondissement, à l'instauration du scrutin proportionnel, qui assure aux chefs et sous-chefs de partis de demeurer éternellement au centre du jeu politique, et les met à l'abri des soubresauts du corps électoral, puisque ce sont eux qui établissent les listes de candidats, et inscrivent bien évidemment leurs noms en tête de liste. 

En dehors des périodes de cohabitation (pas vraiment dans l'esprit de la Constitution de 1958), cette culture majoritaire a permis à la France d'être gouvernée pendant 60 ans, avec un Président, un gouvernement et une majorité parlementaire de même tendance, ayant passé un contrat de confiance avec le peuple français. C'est cela "la logique de la Vème République". Même s'il n'est pas inscrit dans la Constitution, le scrutin majoritaire est, à n'en pas douter, l'un des piliers fondamentaux du régime. 

Bien sûr, on peut vouloir changer le régime, voire même changer de régime. La Constitution de la Vème République ayant été adoptée par référendum, il faut alors se tourner vers le peuple. Lui seul est le souverain. 

Alain Tranchant, président-fondateur de l'Association pour un référendum sur la loi électorale 

 

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