Patrice, "gilet jaune" : Quel avenir pour un chauffeur routier après la perte d'un oeil ?
A 49 ans, Patrice Philippe était arrivé "au summum" pour un chauffeur routier: il "faisait du convoi exceptionnel". Mais ce "métier de passion" n'est plus qu'un souvenir depuis qu'il est rentré d'une manifestation des "gilets jaunes" avec un seul oeil valide.
Le 8 décembre, cet habitant de Lons, près de Pau (Pyrénées-Atlantiques), est à Paris pour sa toute "première manifestation". Son beau-fils l'accompagne. "Je voulais mettre un peu plus de jaune sur les Champs-Elysées", raconte-t-il à l'AFP.
Rapidement, les esprits s'échauffent entre forces de l'ordre et manifestants. Patrice assure qu'il reçoit un tir de lanceur de balles de défense (LBD) dans le poignet: "J'ai tout de suite eu l'impression qu'on était au tir de pigeon".
"Une chose importante, précise-t-il, mon père est un ancien gendarme mobile. Je ne monte pas pour péter du flic."
Au bout de quelques heures, alors que les échauffourées continuent, il veut quitter la manifestation. "Je me rends compte que c'est impossible", dit-il évoquant ce terme de "nasse" qui revient souvent dans la bouche des "gilets jaunes".
"Sur un mouvement de recul (des manifestants), je m'avance sans signe d'agression. Je vois les LBD, j'arrive (suffisamment près des forces de l'ordre) pour me dire qu'ils ne peuvent pas me tirer dessus. Là une déflagration à gauche: une grenade qui m'assourdit, me désoriente. Et trois, quatre, cinq secondes plus tard, le tir de LBD dans l'œil. Je titube, je vacille, je retourne vers les +gilets jaunes+. Quand je vois le visage horrifié de l'un d'eux, je me dis que je ne suis pas bien. Je tombe".
Patrice affirme que ce sont des gendarmes mobiles qui ont tiré. Il dit avoir porté plainte et avoir été auditionné par l'IGGN, l'Inspection générale de la gendarmerie nationale. Et pour lui, pas de doute, c'est "vraiment quelque chose de caoutchouteux" qui est venu frapper son œil, pas un élément de la grenade, qui aurait "provoqué une déchirure".
- "Être debout" -
"C'est irréversible, je n'y verrai plus de cet œil, ce n'est pas opérable", explique le Béarnais qui porte un cache-oeil et dit avoir porté plainte au commissariat de Pau.
Près de quatre mois après le choc, il se sent "relativement fort psychologiquement" et "assez combatif".
"Je ne veux pas me laisser glisser sur un terrain dépressif, je me dois d'être debout pour ma gamine. J'ai une fille de 14 ans, des obligations... Mais sur le plan professionnel, je n'arrive pas à me projeter. Quatre ans que je venais d'être diplômé pour convoi exceptionnel, un aboutissement dans la profession... Maintenant, je vais certainement être dirigé vers une structure qui gère les travailleurs handicapés. Mais je n'ai pas envie de finir à enfiler des pieds de chaises, je vais devenir fou."
"Alors que peut faire un borgne ? Comment rebondir ? J'essaie de réfléchir à tout ça", dit-il posément.
S'il est désormais au chômage, Patrice Philippe n'a pas encore pu expliquer sa situation particulière à l'administration car, dit-il, cela se fait sur rendez-vous et le sien est prévu en avril. "Je suis borgne mais ils ne le savent pas! Ils me renvoient des offres d'emplois de transport, ça me noue un peu la gorge..."
Le traumatisme n'a pas dissuadé l'ancien chauffeur routier de continuer à manifester avec les "gilets jaunes". Malgré sa "crainte" des forces de l'ordre: "Quand je croise une voiture de police, j'ai un nœud dans l'estomac".
"Il s'est passé trois semaines-un mois avant que je puisse retourner en +manif+, je flippais totalement. Mais je vais continuer à y aller, avec la peur au ventre". Les forces de l'ordre "m'ont donné le passeport pour un combat bien plus important à mes yeux (il sourit): contre leurs armes dites non létales et leur manière de faire du maintien de l'ordre".
bpe/ff/pjl/spe
Dossier complet : http://factuel.afp.com/gjeborgnes
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