Dans son projet de loi contre les dérives sectaires, le gouvernement vise-t-il les praticiens de la santé plus que les charlatans ?
FRANCE - Le gouvernement et son ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin ont déposé le 15 novembre dernier au Sénat un projet de loi visant à “renforcer la lutte contre les dérives sectaires”. Le texte, présenté au Conseil des ministres et composé de sept articles, consacre l’un de ses cinq chapitres à la santé. Dans son compte rendu, le gouvernement justifie cette “mise en valeur” par ceux qui, “groupes et individus”, ne sont pas des gourous religieux ou spirituels mais, “investissent les champs de la santé et du bien-être”. Selon la secrétaire d’Etat, Sabrina Agresti-Roubache, c’est “l’émergence de discours remettant en question la science et la crédibilité des autorités sanitaires” qui est incriminée. Une expression vague. Le projet de loi met dans le même sac de “vrais” charlatans avec des praticiens de la santé pour peu qu’ils remettent en cause un traitement. Si le texte est adopté, les médecins “provoquant un abandon d’un traitement médical” risquent jusqu'à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
Le projet de loi, disponible sur le site du Sénat, expose les motifs du gouvernement. Le document évoque un “accroissement sensible des saisines de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) ces dernières années”, particulièrement depuis la pandémie de Covid, dont la gestion par les autorités a été fortement critiquée. “Environ 25 % des 4 020 saisines de la Miviludes en 2021 concernent la santé. Dans ce domaine, les pratiques de soins non conventionnelles constituent 70 % des saisines”, y lit-on.
Les charlatans et les praticiens de la santé, du pareil au même ?
Dans son dossier de presse, Sabrina Agresti-Roubache explique que “les dérives sectaires ont profondément évolué depuis de nombreuses années”. Selon elle, il ne s’agit plus de groupes religieux car d’autres “groupes ou d’individus investissent les champs de la santé, de l’alimentation, du bien-être, mais aussi le développement personnel, le coaching ou la formation”. Elle impute cette hausse de “dérives sectaires” à la crise sanitaire, durant laquelle des “discours qui exploitent l’isolement et remettent en question la science et la crédibilité des autorités sanitaires” ont émergé.
Gérald Darmanin et ses collaborateurs entendent, par ce nouveau texte, renforcer la “loi About-Picard” liée à la lutte contre les dérives sectaires. De quoi s’agit-il ? Dans son chapitre III, intitulé “Protéger la Santé”, le projet de loi énonce dans son article 4 qu’est “punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende la provocation à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical thérapeutique ou prophylactique, lorsque cet abandon ou cette abstention est présenté comme bénéfique pour la santé des personnes visées alors qu’il est, en l’état des connaissances médicales, manifestement susceptible d’entraîner pour elles, compte tenu de la pathologie dont elles sont atteintes, des conséquences graves pour leur santé physique ou psychique”.
Sabrina Agresti-Roubache a, certes, évoqué des “coachs en bien-être” comme, à titre d’exemple, des charlatans qui vendraient des remèdes miracles contre le cancer sans avoir la moindre qualification médicale. Nous pourrons penser que les coachs non qualifiés ou les charlatans sont la seule cible du projet de loi mais la suite du chapitre III en dit plus. L’article 5 évoque, en cas de condamnation, l’obligation du ministère public d’informer “sans délai, par écrit, les ordres professionnels nationaux mentionnés à la quatrième partie du Code de la santé publique d’une condamnation, même non définitive (...) prononcée à l’encontre d’une personne relevant de ces ordres”. Il s’agit bien là de praticiens de la santé.
Liberté d'expression, protégée par l'article 11 de la Déclaration de 1789
Le compte rendu du gouvernement lève le doute. On y lit que parmi les mesures pouvant être apportées par le projet de loi : la poursuite, “facilement”, et la répression la promotion auprès de publics, “souvent fragiles, de pratiques faussement présentées comme bénéfiques pour la santé alors qu’elles sont particulièrement dangereuses pour ceux qui les mettent en œuvre”. Les sanctions disciplinaires, c’est-à-dire ordinales, à l’égard de professionnels de santé “qui commettent des atteintes aux personnes liées à des agissements sectaires”, comme pourrait être considérée une médecine non-conventionnelle, seront aussi facilitées.
Deux jours après le dépôt du texte au Sénat, le Conseil d’État a émis son avis. On constate en premier lieu la remarque de cette haute juridiction qu’une répression de la promotion “pourrait remettre en cause, par une incrimination de contestations de l’état actuel des pratiques thérapeutiques, la liberté des débats scientifiques et le rôle des lanceurs d’alerte”. Les dispositions visant à empêcher la promotion de pratiques de soins dites “non conventionnelles” dans la presse, sur Internet et les réseaux sociaux, “constituent une atteinte portée à l'exercice de la liberté d'expression, protégée par l'article 11 de la Déclaration de 1789”, poursuit le Conseil d’État.
Des libertés qui sont également protégées par la Cour européenne des droits de l’homme, rappelle-t-on, d’autant plus que la Convention communautaire de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales octroie aux citoyens européens la liberté “d’accepter ou de refuser un traitement médical spécifique, ou de choisir un autre type de traitement, qui est essentielle à la maîtrise de son propre destin et à l’autonomie personnelle, en l’absence de pressions inappropriées”.
Autre remarque du Conseil d’État : les faits incriminés par le projet de loi, comme les dispositions comme les articles 4 et 5 sont déjà couvertes par d’autres textes. “L’utilité de compléter ces dispositions par une nouvelle incrimination n’est pas établie par l’étude d’impact et les informations données par le gouvernement”. S’agissant des professionnels de santé, les sanctions ordinales “constituent également des moyens de régulation d’exercice déviant de ces professions dont il n’est pas établi qu’ils manqueraient d’efficacité”.
Le compte rendu du gouvernement sur le projet de loi et ses enjeux, à savoir “protéger la santé”, suscitent déjà bien des interrogations et des inquiétudes chez des praticiens de la santé sur l’exercice de leurs métiers.
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