Le vote senior, le véritable poids électoral
CHRONIQUE — Depuis trois décennies, le vieillissement de la population est une source de préoccupation de think tanks très à la pointe sur les questions sociétales. Aux États-Unis, le Centre pour les études stratégiques et internationales (CSIS, pour Center for Strategic and International Studies), une "boîte à penser" d’inspiration néo-conservatrice, consacrait dès les années 90 des conférences internationales et de nombreuses publications au phénomène. La combinaison du non-renouvellement générationnel et de l’allongement de l’espérance de vie était alors surtout perçue comme une menace pour la sécurité de l’État, dans la mesure où cela supposait un transfert des dépenses publiques et privées traditionnellement allouées au secteur de la défense vers des dépenses de santé, assimilables à une sorte d’état de siège démographique.
Cette génération de boomers, aujourd’hui dominante dans une pyramide des âges inversée, constitue le vrai poids électoral. Il s'agit d'une tranche d’âge, arrivée à la vie active en période de plein emploi et de crédit facile, mais dotée d’une empathie à géométrie variable envers les générations qui montent.
Selon un rapport de l’Office de la population des Nations unies, la France arrive en dixième position en valeur absolue des plus de 65 ans (13,16 millions), mais sixième en valeur proportionnelle, soit 20,3% du recensement national. Juste après le Japon, l’Italie, la Grèce et le Portugal ex æquo, et l’Allemagne. Toujours selon l’organisation multilatérale, le degré de dépendance du grand âge, OADR pour son acronyme anglais, "old age dependency ratio", la France se trouve en septième position au niveau mondial. C’est donc une strate qui, loin d’être marginale, dispose d'un impact décisif dans les résultats des consultations électorales. Ce vote répond logiquement à l’idée que les seniors se font de leurs besoins socio-économiques, mais aussi aux programmes qui leur semblent proposer un mode de vie le plus à même de leur garantir une longévité de qualité.
Cette tranche d’âge est aussi celle qui vote le plus. Ses attentes sont encore très peu explorées par le monde politique, dans la mesure où tout ce qui a trait à la couleur grise est encore perçu, malgré sa dimension stratégique, comme peu sexy par les instituts de recherche. Lorsque le sujet est abordé, c’est uniquement au travers du facteur de dépendance. Emmanuel Macron, dont la gérontophilie n’est plus à démontrer, en proposant de reporter la retraite à 65 ans, a flatté l’ego de cette catégorie d’âge qui ne se perçoit pas en condition de dépendance et entend faire valoir qu’elle a encore des choses à partager en tant qu'actifs. Si d’aucuns la réduisent à un état de vulnérabilité, le problème de la génération des boomers est de plus en plus souvent celui de la discrimination dans l’accès à l’emploi, préoccupation paradoxalement partagée avec le bas de la pyramide des âges, avec qui elle entre le plus souvent en conflit sur le marché du travail. Une étude en Corée du Sud, un des pays avec un niveau de longévité parmi les plus élevés du monde, démontre que l’immense majorité des plus de 70 ans n’arrêterait pas de travailler, quel que soit le secteur d’activité, si on lui offrait la possibilité de continuer de rester à son poste.
Les politiques covidiennes de ces dernières années, impulsées par le président Macron, répondent à une forme de démagogie de l’âge. Vivre longtemps implique d’éloigner les menaces. L’apparente surprotection des plus de 65 ans versus la culpabilisation de la jeunesse. Ces mesures ont innové en normalisant la maltraitance de l’enfance, quant à son accès à la médecine préventive, ses possibilités de socialisation, les conditions de la vie scolaire. Le sacrifice de l’enfance a d’ailleurs fait l’objet d’un rapport de la Banque mondiale du 22 janvier 2021 : "Mesures urgentes pour contrecarrer l’impact du Covid-19 sur l’éducation". Par Covid-19, il faut entendre les mesures dystopiques imposées dans le monde, par effet d’imitation de ce qui se pratiquait en France au même moment. En janvier 2021, ces mesures avaient fait 150 millions de nouveaux enfants pauvres dans le monde.
Suivant la courbe démographique, le macronisme a inversé les fondamentaux du devoir de protection des plus adultes vers les plus jeunes. L’électorat senior le lui a bien rendu, votant au premier tour à 39% pour le président sortant. La candidate Marine Le Pen a à peine réussi à rassembler 17% des votes des retraités. Lors du débat présidentiel de mercredi, elle est aussi la seule à avoir mis un nom sur la souffrance des jeunes. Un sujet tabou pendant deux ans. Outre la relégation et l’appauvrissement tout terrain d’une jeunesse de plus en plus rare, ses représentants auront aussi à porter sur les épaules la pression fiscale des dépenses liées au grand âge. Si l’OADR est de 25% en 2019, il sera de 50% en 2050.
Pourtant, la jeunesse se mobilise peu pour aller voter. Elle a beaucoup à défendre, entre autres se mobiliser pour inventer de nouveaux mécanismes de solidarité intergénérationnelle. Elle semble livrée à un certain fatalisme. Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon au cours du premier tour, ont recueilli l’essentiel de ce vote junior.
Si les plus de 70 ans ont manifesté sans ambiguïté leur intention de voter en faveur d’Emmanuel Macron, il reste une frange considérable de seniors qui ne se reconnaissent pas dans les études du type "Next Gen" (Ikea), dans lesquelles des cités merveilleuses bâties à l’usage des aînés seuls sont proposées. Cette frange non anecdotique est celle de ceux qui sont morts dans l’anonymat au cours des années covidiennes, de ceux qui ont été enterrés sans funérailles, sans sacrement, sans autopsie, sans témoins, sans accompagnement familial dans la maladie, qui ont été exposés au déni de soins et à la maltraitance à l’Ehpad. C’est aussi celle de la rupture digitale et de la déréliction. Ceux d’entre eux qui le peuvent encore pourront peut-être encore faire valoir un vote sanction, voire un vote d’empathie pour les générations qui montent.
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