Manifestation intersyndicale de policiers : interview de Yann Bertrand

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FranceSoir
Publié le 20 mai 2021 - 15:15
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Yann Bertrand
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Lors de la manifestation de ce mercredi 19 mai, nous nous sommes entretenus avec Yann Bertrand, secrétaire départemental de la Seine-Maritime pour le syndicat SGP-Police-FO.

Propos recueillis par Laurence Beneux, journaliste pour France Soir.

« Est-ce que vous êtes content de la manifestation, de son déroulé ?

Oui, la manifestation s’est bien passée, on s’est bien adapté. Une organisation difficile, mais je pense que tout s’est bien passé. Il y avait du monde, les gens ont répondu présent, ça fait plaisir. C’était pour rendre hommage, forcément, à notre collègue Eric Masson, mais aussi à Stéphanie Monfermé. Ça s’est bien passé, l’hommage et le recueillement, sans la colère.

Est-ce que vous pensez que ça va servir à quelque chose ?

On espère que ça va servir à quelque chose. Aujourd’hui c’est vrai qu’il y avait un paquet de monde devant l’Assemblée nationale. Les élus sont venus. C’est vrai qu’on dit toujours ‘oui, il faut une réponse pénale plus forte, il faut que les peines soient appliquées’. C’est ça qu’on demande. Les réponses pénales, parce que les articles, les textes existent déjà en fait. On peut renforcer et demander à ce que, peut-être, il n’y ait plus de réduction de peine pour les criminels qui commettent des actes contre les policiers. Mais on veut aussi que les peines soient appliquées. Il faut qu’il y ait une vraie réponse pénale pour les auteurs de crimes contre les forces de l’ordre.

Vous désirez des réponses pénales. Il y a le ministre de l’Intérieur qui a fait un bref passage. Qu’en pensez-vous ? Parce que finalement c’est eux qui sont chargés de faire ça.

Bien sûr. Après, nous, le ministre de l’Intérieur, on ne peut pas l’empêcher de venir. Voilà, il est juste venu saluer. Il l’a dit, qu’il voulait une réponse pénale plus forte, maintenant j’espère qu’il y aura des actes et qu’il va aussi maintenant mettre en application ce qu’il est venu montrer aujourd’hui.

Vous pensez que c’est bon, de demander une réponse pénale plus forte ?

Dans un premier temps c’est ce qu’on demande. Après vous savez, il y a tout un panel de revendications, ça n’est pas une nouveauté. Mais c’est vrai que là, par rapport aux actes qui se sont passés ces derniers temps, parce qu’il y a aussi ces peurs, tous les jours on recevait des témoignages, tous les jours il y a des flics qui se font agressés, et tous les jours il y a des individus qui agressent des policiers qui sont relâchés, à qui on donne un avertissement, comme à un enfant à qui on donne une petite tape sur les doigts pour lui dire que c’est pas bien et qu’il ne faut pas recommencer. Aujourd’hui ce n'est plus possible. Nous ne sommes pas là pour terroriser tout le monde, on est là pour faire appliquer la loi. S’il y a des gens qui commettent des actes, il faut qu’il y ait une peine, et il faut faire passer l’envie à ceux qui ont envie de recommencer derrière, une vraie punition.

Et au-delà, que revendiquez-vous ? Pensez-vous que ce sera suffisant ?

Aujourd’hui, on est là pour ça, mais la revendication n’est pas unique, évidemment. Derrière, il y a tout un panel pour redevenir… [hésitant] Pour redonner du crédit, peut-être. On a une police nationale et des policiers qui sont professionnels, qui travaillent correctement. Et on met toujours en avant quand il y a des actes qui sont commis par les policiers, là on est médiatisé à outrance, en disant 'regardez', on fait un focus sur une intervention, alors qu’il y a des millions d’interventions. Il y en a beaucoup qui se passent bien, il y a beaucoup de policiers qui sont blessés en intervention, et on fait le focus à chaque fois quand il y a intervention qui se passe mal. Les policiers sont sanctionnés. On est une des professions les plus contrôlées, donc forcément sanctionnées. Nous ce qu’on demande maintenant, c’est de la reconnaissance, de notre administration également, parce qu’on voit bien qu’il nous manque beaucoup de choses. Il nous manque des effectifs par exemple. Aujourd’hui, on est ici pour obtenir une réponse pénale plus forte mais derrière il y a plein de choses à mettre en place. Mais après, c’est plus des considérations politiques, de politique globale : un rapprochement avec la population, des policiers plus présents. Il faut faire de la prévention également.

Donc finalement, vous pensez que dès qu’il y a un mouton noir on met les projecteurs dessus ? 

Oui bien sûr. Alors évidemment il y a quelques reportages qui montrent les belles actions de police, mais ce n'est pas ça la police. La police est multidimensionnelle est très diversifiée. C’est dommage de mettre l’accent à chaque fois sur une opération qui se passe mal et d’en faire une généralité.

En ce moment, il y a le Beauvau de la sécurité, pensez-vous que ça va changer quelque chose ?

Alors oui effectivement c’est une nouvelle réunion. On espère, évidemment. Si on provoque ces réunions c’est parce qu’on en attend quelque chose, ce n'est pas juste pour faire perdre du temps à tout le monde.

Vous faites partie d’un gros syndicat. Un autre groupe que j’ai rencontré trouve que les syndicats sont trop proches du gouvernement, que vous vous entendez trop bien ?

D’accord. Alors non. Sans parler de connivence, je pense qu'il n’y a pas d’entente entre les… [hésitation] enfin moi je ne suis pas impliqué au niveau national du syndicat mais je vois comment travaillent les instances, et elles font aussi ce qu’elles peuvent. On ne peut pas arriver et taper du poing très fort sur la table et obtenir tout ce que l'on veut. Forcément, on est obligé d’y aller par étapes. Nous, quand on est à la base et qu’on revendique plein de choses, on a envie que tout tombe d’un coup, mais ce n'est pas possible. On a quand même des instances nationales qui font du travail. C’est compliqué, c’est un travail de tous les jours, et elles le font très bien. Et il n’y a pas d’entente avec…

Pas d’entente, mais vous voyez ce que je veux dire, des négociations un peu douces… 

Oui je vois très bien ce que vous voulez dire, mais après c’est tout le jeu des négociations. C’est un autre système. Ça ne peut pas se faire par le biais d’une révolution, si je puis dire.

Oui je comprends. C’est vrai que j'ai été frappée de voir que le taux de suicide dans la police est à 40% supérieur à celui de la population active générale. J’étais surprise de voir que les initiatives venaient de petits groupes qui sont sur le terrain, alors que ça dure depuis des années.

Alors, il y a quand même des choses qui sont faites. Il y a des nouvelles politiques, des préventions qui sont menées. Ça vaut ce que ça vaut, mais tous les fonctionnaires suivent un stage pour pouvoir être sensibilisés, justement à ces risques, pour pouvoir éventuellement prévenir, parce que souvent ça ne se joue à pas grand-chose. Le suicide, c’est déjà repérer le policier qui n’est pas bien, par des actes ou des mots, et puis pouvoir l’orienter tout de suite vers des professionnels. Il y a des choses qui sont faites mais c’est vrai que c’est difficile. C’est aussi lié à la difficulté du métier, c’est un ensemble, on ne peut pas le régler comme ça d’un seul coup.

Regarder vos collègues pour savoir s’ils vont mal… faire porter la responsabilité de la détection d’un désespoir aux policiers, n'est-ce pas un peu juste ?

Ah oui non non, je ne dis pas que ce doit être LA solution, mais c’est quelque chose qui contribue à pouvoir aider son collègue et à sensibiliser chaque personne. Mais, même s'il y a une petite baisse, il y a toujours trop de suicides, dès qu’il y en a un c’est déjà trop.

Oui, mais là c’est beaucoup !

On en connaît de plus en plus. Oui, ça questionne. Souvent, on parle de reconnaissance, mais il y a aussi tout ça. Il y a des policiers qui se sentent abandonnés et qui ne sont plus soutenus, et on a un travail très difficile. Il faut le dire. Peut-être qu’il y a des postes plus faciles que d’autres mais dans la globalité c’est un travail très difficile.

Oui il faut le dire, parce que les gens ne se rendent pas compte.

Je sais bien que les gens ne se rendent pas compte. Mais voilà, c’est très dur. Les rythmes de travail sont très compliqués, on a de moins en moins d’effectifs donc on en demande de plus en plus, il y a des jeux de permanence, c’est beaucoup d’heures qui sont faites dans la semaine, c’est des situations vécues sur le terrain qui ne sont pas faciles non plus, parce qu’on ne se rend pas compte mais, être policier c’est faire face à la mort. On est confronté à des cadavres, à des agressions… Donc forcément, quand on n’a pas cette reconnaissance de notre administration, que l'on n’est pas soutenu et que l'on n’est pas suivi correctement, ça peut aboutir parfois à…

Une meilleure reconnaissance s’exprimerait comment, selon vous ?

Alors, comment cela s’exprime ? C’est compliqué à mettre en œuvre mais, dans la façon dont sont traités les policiers par exemple ; on est presque des matricules. Quand on voit comment cela fonctionne, on le voit quand on a des demandes de changement d’affectation par exemple. Quand on fait 15 ans de service à la nuit ou dans une compagnie d’intervention, un travail qui est vraiment compliqué, on peut avoir envie de changer, pour différentes raisons : parce que l’on a une situation familiale qui a changé ou parce que l’on commence à vieillir, parce que l’on est un peu fatigué et que l’on a envie de se ‘ranger’, d’aller sur quelque chose de plus stable, pour trouver un équilibre, on n’est pas toujours entendu. On nous dit ‘oui mais pour l’instant on n’a pas le choix, il n’y a personne d’autre pour vous remplacer donc on n’a pas le choix, vous restez.’ Tout cela commence déjà par là. Il faut déjà s’occuper de l’humain.

Y a-il des spécificités qui sont prévues, par exemple pour un policier qui a vécu des situations traumatisantes ?

Quand il y a un policier qui a vécu une situation traumatisante, il y a ce qu’on appelle le SSPO, le service de soutien psychologique opérationnel. Donc oui, c’est une psychologue qui est là et qui, à la demande du fonctionnaire, le reçoit pour le laisser parler librement. »

Autant qu’il veut ?

Autant de fois qu’il veut, oui.

Mais est-ce qu’il ne faut pas aller les chercher ? J’ai entendu qu’il y avait une grande peur d’être désarmé, ont-ils peur d’aller dire que ça ne va pas bien ?

Oui, ça reste quand même une profession où on peut être vite jugé. Quand on est policier, on sort avec ses collègues et on est armé. Si on est désarmé, c’est un peu un aveu de faiblesse. Et on a la peur, le ressenti, d’être mis en marge du groupe et que ça aille de moins en moins bien. C’est difficile de faire cette démarche d’aller voir un professionnel. »

Donc le fait de mettre à disposition des psychologues, n'est-ce pas un peu juste ? Si on ne va pas les chercher, c’est un peu dur.

Oui, mais ça c’est un problème de médecine. Les psychologues nous disent que si la démarche n’est pas volontaire elle ne sert à rien.

Bien sûr. Mais il y a des situations que l'on sait traumatisantes.

Oui, alors, quand on sait qu’il y a eu une expérience traumatisante, on met en place des retours d’expérience, puis on réunit des gens et on en parle. Il y a la parole libre, la hiérarchie est présente, les intervenants, les professionnels de santé, tout le monde est là et chacun peut s’exprimer librement, sans être obligé de passer en catimini derrière un bureau parce qu’il ne va pas bien.

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