Migrants à Calais : une mission d'inspection reconnaît de "plausibles" abus chez les forces de l'ordre (rapport)
Un rapport officiel juge "plausibles" certains abus des forces de sécurité contre des migrants depuis le démantèlement de la "Jungle" de Calais il y a un an, mais le ministère de l'Intérieur considère qu'il écarte les "allégations les plus graves" d'une ONG internationale.
Emmanuel Macron avait demandé "des réponses précises" à Gérard Collomb après un rapport au vitriol de Human Rights Watch (HRW) accusant fin juillet les forces de l'ordre de mauvais traitements à l'encontre des migrants à Calais (Pas-de-Calais).
Commandé à trois inspections générales de l'administration (IGA), de la police nationale (IGPN) et de la Gendarmerie nationale (IGGN), le rapport sur "l'évaluation de l'action des forces de l'ordre à Calais et dans le Dunkerquois", mis en ligne lundi, met en lumière "la situation particulièrement difficile" à laquelle sont confrontés policiers et gendarmes, sans pour autant blanchir les forces de sécurité.
"L'accumulation des témoignages écrits et oraux, bien que ne pouvant tenir lieu de preuves formelles, conduit à considérer comme plausibles des manquements à la doctrine d'emploi de la force et à la déontologie policière", écrivent les inspecteurs de l'administration, qui ont rencontré 93 personnes et eu des échanges informels avec une centaine de migrants. Chez les rédacteurs du rapport, l'utilisation du conditionnel est de rigueur.
Si le rapport évacue l'utilisation de gaz poivre par les forces de l'ordre - l'une des principales accusations de HRW - considéré comme "hautement improbable" et "sans fondement", il n'en est pas de même avec un "usage jugé abusif des gaz lacrymogènes" pour perturber la distribution de repas ou le sommeil de migrants.
Sur les accusations de maltraitance physique, le rapport des inspections retient que "dans la plupart des cas", les blessures résultent de tentatives de pénétration dans l'enceinte du port ou dans les camions, voire de rixes entre migrants.
"Pour autant, plusieurs témoignages concordants et de sources diverses semblent confirmer un usage de la force disproportionné, voire injustifié, à l'encontre de migrants et de membres d'organisations humanitaires sur place", écrivent les rapporteurs.
- Manque de preuves -
La "destruction d'affaires appartenant aux migrants" ou encore le non-respect du port du matricule sont encore quelques-uns des "manquements" listés dans le rapport.
Ceux-ci "ne doivent pas jeter une suspicion sur l'action globale de forces de l'ordre confrontées à une situation particulièrement difficile", nuance cependant la mission.
Les rapporteurs reconnaissent le fossé entre le nombre élevé de témoignages de migrants et celui "très réduit" des dépôts de plainte ayant conduit à une saisine de l'IGPN (onze signalements du 1er janvier au 1er septembre) et de l'IGGN, mais l'expliquent par la "crainte de devoir justifier de leur identité et de leurs conditions de séjour", l'éloignement du tribunal de Boulogne-sur-Mer ou encore des freins culturels à "déposer plainte à la police contre la police".
Rappelant qu'"aucun élément du rapport ne permet(ait) d'apporter la preuve des allégations les plus graves" de HRW, le ministère de l'Intérieur a souligné dans un communiqué que les manquements "plausibles" ne sont pas "établis par des preuves" et ne permettent pas "de mettre en cause, de manière établie et certaine, l'action des forces intervenantes".
Gérard Collomb a cependant demandé aux préfets et responsables des policiers et des gendarmes "de rappeler de façon systématique (...) les directives et cadres d'intervention des forces de l'ordre, notamment lors des opérations de démantèlement des campements".
Pour la directrice France de HRW Benedicte Jeannerod, ce rapport est une "confirmation": "La police à Calais a recours à la force de manière excessive et commet des abus contre les migrants, y compris des enfants". "Les autorités locales et nationales devraient dès à présent mettre un terme à ces pratiques, ouvrir des procédures disciplinaires", a-t-elle déclaré à l'AFP.
"Le fait que dans un rapport officiel, on déclare que des abus sont plausibles, c'est déjà une reconnaissance de la réalité", a estimé le président de l'association calaisienne l'Auberge des migrants, Christian Salomé.
Soulignant le manque de preuves sur ces "accusations graves", le syndicat Unsa-Police s'est, lui, dit "conforté" dans sa plainte en diffamation déposée cet été contre HRW, l'Auberge des migrants et l'association Utopia 56.
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.