Mise en examen d'Agnès Buzyn : la classe politique gênée aux entournures
AFP - Silencieuse, mal à l'aise ou dans "l'incompréhension", la classe politique apparaît "coincée" par la mise en examen de l'ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn dans la crise du Covid-19, certains s'inquiétant de la "judiciarisation accrue de la vie politique française".
"C'est une situation qui me gêne beaucoup". Ce n'est pas un responsable politique qui le dit mais Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, dans une émission pour France Inter diffusée dimanche.
Et le syndicaliste, "pas à l'aise" avec ce qu'il juge être "une dérive de la démocratie", de souligner que cette mise en examen pour "mise en danger de la vie d'autrui" jette "un peu à la vindicte populaire des responsables politiques qui ont sans doute fait leur travail comme ils ont pu".
Dans la majorité, la défense du bilan d'Agnès Buzyn, qui "a fait tout ce qu'elle pouvait et sans doute plus pour nous protéger", selon le député et porte-parole de LREM Roland Lescure, laisse place à une inquiétude plus profonde, d'autant que l'actuel ministre de la Santé Olivier Véran ou l'ex-Premier ministre Edouard Philippe sont également dans le viseur.
- "Forcément des risques" -
La décision de la CJR "crée un précédent dangereux", estime la députée LREM Aurore Bergé: "Un ministre de l'Intérieur peut-il demain être tenu pour responsable pénalement d'un attentat qui serait commis puisqu'une ministre de la Santé semble pouvoir l'être pour la gestion d'une pandémie mondiale?"
Un point de vue partagé au-delà du parti présidentiel. "Quand on est un responsable politique, il y a forcément de l'action, des risques", a réagi sur BFMTV Damien Abad (LR) qui s'interroge sur la "judiciarisation accrue de la vie politique française".
A gauche, écologistes et socialistes sont pour l'heure restés très discrets. "Je ne pense pas que ce soit dans les tribunaux qu'on va régler les problèmes", a fini par déclarer le communiste Fabien Roussel samedi sur France Info.
Quelques élus Insoumis ont salué cette première mise en cause d'ampleur dans la gestion de la pandémie en France. "S'il y a eu des fautes, il faut qu'elles soient sanctionnées", a de son côté déclaré la présidente du RN Marine Le Pen, qui lance sa campagne présidentielle ce week-end à Fréjus.
- Responsabilité politique ou pénale ? -
Quelle que soit leur couleur politique, les élus sont "coincés", estime Pierre Egea, professeur de droit public à l'université Toulouse-Capitole. "Dans l'opinion publique, la confiance dans les hommes politiques est quand même très émoussée et le seul recours qui peut paraître objectif, même s'il ne l'est pas, c'est le juge."
Mais pour cet avocat à la cour, la décision de la CJR amène une "confusion entre responsabilité politique et responsabilité pénale. Ce ne serait pas très grave si les infractions pénales n'étaient pas complètement floues" mais "+mise en danger de la vie d'autrui+, c'est tellement large que ça permet des mises en examen tous azimuts".
Pour Anne Levade, professeur de droit public à l'université Paris-1, "c'est plutôt de l'incompréhension que de la gêne" qui domine chez les élus. "La question d'une infraction, ce n'est pas de savoir si on a bien ou mal fait face à une crise, c'est de savoir si on a commis un acte qui est pénalement répréhensible".
Trente ans après le scandale du sang contaminé qui a conduit à l'instauration de la CJR, "cette espèce de glissement de la responsabilité politique vers la responsabilité pénale est très clairement un retour en arrière pour la théorie politique", estime la juriste.
Juridiction d'exception contestée pour sa clémence et vouée à disparaître dans un projet de loi constitutionnelle présenté en 2019 en Conseil des ministres mais qui n'a pas été examiné, la CJR fait peser sur l'action politique "un risque déraisonnable", estime Mme Levade qui résume ainsi le dilemme: "autant ne rien faire, sinon on va être poursuivi".
Tout en affirmant sa "solidarité" avec Agnès Buzyn, Claude Evin, ancien ministre de la Santé (1988-1991) mis en examen par la CJR pour homicide involontaire dans l'affaire du sang contaminé avant d'obtenir un non-lieu, estime lui que "cette procédure n’est pas anormale quand on est ministre de la Santé. Être responsable politique, c’est assumer la prise de risque".
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