Non, les chiffres du chômage ne sont pas "bons"
La DARES, qui dépend du ministère du Travail, vient de publier ses derniers chiffres trimestriels sur l’évolution du nombre de demandeurs d’emploi en France : l’occasion de dresser un bilan du quinquennat d’Emmanuel Macron sur le plan de l’emploi. La baisse du nombre de chômeurs en France en 2021 a-t-elle été « spectaculaire », comme le titraient nos confrères des Échos ?
Les chiffres du chômage communiqués
Le nombre de chômeurs de catégorie A (sans activité) a enregistré en France (hors Mayotte) une baisse de 5,9 % au quatrième trimestre 2021 par rapport au trimestre précédent, soit 208 500 inscrits en moins, à 3,336 millions, d’après les chiffres publiés ce mercredi 26 janvier par Pôle emploi. Sur un an, la baisse est de 12,6 %, soit 479 600 chômeurs en moins, ce qui a permis à une large partie de la presse de conclure que le nombre de chômeurs avait atteint fin 2021 son plus bas niveau depuis le troisième trimestre 2012.
Par ailleurs, en incluant l'activité réduite (catégories B et C), le nombre de demandeurs d'emploi est en baisse au quatrième trimestre de 3,6 %, et s'établit à 5,659 millions, selon la Direction des statistiques (Dares) du ministère du Travail. Sur un an, la baisse est de 5,8 %.
« Une année exceptionnelle pour l’emploi », s’est félicitée la ministre du Travail Elisabeth Borne sur CNews, ajoutant : « On compte un million de créations d’emplois depuis 2017, c’est le résultat de réformes structurelles. » Selon elle, la France serait sur le chemin du plein emploi. Victoire pour Emmanuel Macron ? Pas si vite.
Une baisse en trompe-l'œil : le nombre de chômeurs ne se résume pas à la catégorie A
En premier lieu, il convient de noter que la catégorie A des chômeurs, celle qui comprend les chômeurs sans aucune activité en recherche active d’emploi, ne représente absolument pas la masse des chômeurs qui existe. Il existe d’autres catégories, notamment B (demandeur d’emploi avec une activité réduite courte), C (demandeur d’emploi avec une activité réduite longue), et D (demandeur d’emploi en formation).
Comme le rappelait cet Œil du 20 heures sur France 2 datant d’il y a plusieurs années, le gouvernement utilise plusieurs ficelles pour jouer sur les chiffres du chômage. Tout en concentrant l’attention sur la catégorie A, former massivement des chômeurs de cette catégorie les fait basculer dans la discrète catégorie D, réduisant ainsi le nombre de chômeurs de la catégorie A, sans diminuer pour autant le nombre total de personnes sans emploi. En 2021, sur un an, le nombre de chômeurs dans la catégorie D a augmenté de 6,3%.
S’agissant des catégories B et C (chômeurs en activité réduite), le résultat est sensiblement différent, étant donné que le nombre de demandeurs d’emplois figurant dans ces deux catégories est passé en cinq ans de 2 019 000 à 2 266 500 personnes, soit 247 500 personnes en plus, une hausse de 12,2%.
La comparaison entre la catégorie A avec les catégories B et C révèle que s’il y a moins de demandeurs d’emploi sans aucune activité, la précarité a dans le même temps augmenté chez les travailleurs. Par ailleurs, la durée moyenne d’inscription à Pôle Emploi a augmenté sous Emmanuel Macron. À son arrivée à l’Élysée, elle était de 298 jours ; à la fin de son mandat, elle est passée à 370 jours. Il apparaît donc de plus en plus difficile de trouver un emploi.
Les radiations administratives n’ont pas été comptabilisées
Ensuite, il faut s’étonner que ne soit pas mentionné le chiffre des 18% de chômeurs radiés de Pôle Emploi.
Le site officiel de l’administration française précise qu’un chômeur peut être radié des listes de demandeur d’emploi pour différents motifs. Par exemple, une absence à un rendez-vous fixé par Pôle emploi sans motif légitime, ou bien une incapacité à justifier ses recherches d’emploi.
Ainsi, ces radiations administratives contribuent à faire baisser artificiellement le nombre de demandeurs d’emplois, comme le souligne cet internaute.
Non le chômage n'a pas baissé de 5.9%, il y a eu 18% de RADIATIONS, et c'est la ministre du travail elle-même qui l'admet ! et encore un mensonge qui tombe ! #chomage #emploi - Joignez le fil complet sur https://t.co/2FCRznbmci pic.twitter.com/LqDoLYWO5H
— vk.com/brunolp30vk t.me/brunolp30telegram (@brunolp30) January 27, 2022
L'économiste Philippe Murer a aussi attiré l'attention sur d'autres éléments qui contribuaient à baisser artificiellement la masse de chômeurs. Par exemple, l'augmentation impressionnante du nombre d'auto-entrepreneurs « qui ne sont plus au chômage, mais payés au lance-pierre. »
Rajoutez à celà 200.000 autoentrepreneurs de plus depuis 2017 qui ne sont plus au chômage mais payé au lance pierre.
— Philippe Murer (@PhilippeMurer) January 27, 2022
Voici comment Macron arnaque tout le monde avec "la baisse du chômage" et le plein emploooi pic.twitter.com/Anr9Qtlaz5
Le « quoi qu’il en coûte » fausse la donne
Dans un édito sur RTL, le journaliste François Lenglet rappelle qu’il est impossible d’expliquer ces chiffres du chômage sans prendre en considération le paramètre des aides massives qui ont été consenties par l’État, le fameux « quoi qu’il en coûte » d’Emmanuel Macron.
Des propos corroborés par l’économiste Olivier Delamarche dans l’émission de RT France "C’est Cash", le 1er novembre 2021. Il rappelait que de nombreuses « entreprises zombies » ont été mises sous perfusion grâce aux subventions du gouvernement : leur chiffre d’affaires a été remplacé par de l’endettement, permettant d’éviter les licenciements économiques. Or, demande-t-il, que va-t-il se passer lorsque ces entreprises ne percevront plus ces aides et se retrouveront dans l’obligation de rembourser leur dette ? Faillites et donc augmentation du chômage.
Par ailleurs, il convient de rappeler que le "quoi qu’il en coûte" a... un coût. La facture fin août 2021 des restrictions sanitaires s’élevait à 240 milliards d’euros, selon le ministre de l’Économie Bruno le Maire. Désormais, la dette publique de la France culmine à 2 834 milliards d’euros en 2021, soit 116,3% du PIB, des chiffres vertigineux, qui classent la France parmi les pays les plus endettés de l’Union européenne.
L’économiste Olivier Delamarche rappelle que la dette est un impôt futur. Cependant, la France détient déjà depuis 2012 le record européen des impôts, taxes et charges sociales, ce qui rend la levée de nouveaux impôts difficiles, souligne-t-il, et inflige aux entreprises tricolores une lourde fiscalité qui pèse lourdement sur leur compétitivité. En d’autres termes, cela affecte leur capacité à se maintenir ou à se développer, et donc à ne pas licencier ou à embaucher.
Ce record européen des impôts s’explique par la dépense publique de l’État qui atteint des proportions astronomiques. En 2020, elle représentait 64,3% du PIB, un niveau encore plus élevé que celui de l’Union soviétique à sa chute, où le poids de l’État communiste dans la sphère publique était de 62%, relevait Rafik Smati, le président d'«Objectif France», fin 2020.
Ce déficit de compétitivité s’observe aussi dans la balance commerciale française, très déficitaire. En novembre, le déficit cumulé sur 12 mois s'élève à 77,6 milliards d'euros, rapporte France Info, ce qui signifie tout simplement que les produits français se vendent mal. Comparativement, l’Allemagne a dégagé un excédent commercial de 184 milliards et l’Italie de 63 milliards.
Derrière la belle histoire, la réalité est donc moins rose : il est difficile de conclure que la baisse du nombre de chômeurs en France en 2021 a été « spectaculaire ». La conjoncture économique, marquée par une montée de l’inflation, n’est pas non plus de nature à laisser penser que le nombre global de chômeurs s'acheminera dans les prochains mois vers une pente descendante.
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