Aux États-Unis, des ex-agents de la CIA et du FBI responsables de la sécurité sur Facebook
Meta, entreprise privée ou nouvelle branche du gouvernement américain ? De nombreux anciens agents de la Central Intelligence Agency (CIA), soit l’Agence centrale de renseignements des États-Unis, et du Federal Bureau of Investigation (FBI) sont embauchés par Facebook pour décider du contenu qui sera jugé indésirable ou abusif par la plateforme. À tel point que les relations étroites entre le célèbre réseau social et le gouvernement américain commencent à inquiéter.
Au total, 40 000 employés du géant du web, actuellement propriétaire de Facebook, Messenger, Instagram et WhatsApp, entre autres, seraient en charge de modérer le contenu de Facebook, détenant le droit de regard absolu sur l’information publique. “Ce sont eux qui prennent les décisions autour du contenu qui sera autorisé, mis en avant ou supprimé. Ces décisions concernent toutes les nouvelles et informations que des milliards d’utilisateurs reçoivent et voient chaque jour”, explique le journaliste Alan MacLeod dans une enquête publiée sur le site de Mint Press News.
Un pouvoir d'influence immense
Mais bien que Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook en 2004 et PDG du groupe Meta, parle du réseau social comme d’un véritable exemple de la traditionnelle liberté d’expression américaine, l’on peut douter de la véracité de cette déclaration au vu des nombreux ex-membres du gouvernement américain employés pour assurer la modération sur la plateforme. “Les responsables de ces algorithmes détiennent beaucoup plus de pouvoir et d’influence dans la sphère publique que les rédacteurs des plus grands médias”, ajoute le journaliste.
“Le comité consultatif de sécurité Facebook rassemble des organisations internationales de premier plan spécialisées dans la sécurité sur Internet”, peut-on lire sur Facebook, dans la rubrique “À propos de nos règles”, onglet “Politique et signalement”. “Facebook consulte ces organisations à propos de questions liées à la sécurité en ligne. Nous tirons profit de l’expertise, des appréciations et des recherches des membres du comité afin de guider notre approche en matière de sécurité”.
Pourtant, à en croire les descriptions des curriculums des responsables des règles de confiance et de sécurité de Facebook, la main-d'œuvre de Meta est finalement bien plus composée d’anciennes recrues du gouvernement américain que le réseau social ne le laisse entendre. Qu’il s’agisse de la CIA, du FBI ou encore du DOD, département de la Défense américain, “pour certains, la frontière peut être très mince entre là où se termine la sécurité nationale des États-Unis et là où commence Facebook”, prévient MacLeod.
Des responsables aux profils chargés
L’enquête cite alors plusieurs anciens employés du gouvernement et ex-agents de la CIA, dont le travail consiste désormais à faire respecter les règles de sécurité de Facebook. Parmi eux, Deborah Berman et Cameron Harris, tous deux anciens analystes du renseignement pour la CIA pendant plusieurs années, ou encore Bryan Weisbard, ancien officier du renseignement de la CIA de 2006 à 2010 avant de devenir diplomate. Lorsqu’il était employé de la CIA, il dirigeait “des équipes mondiales chargées de mener des enquêtes sur la lutte contre le terrorisme et la cybersécurité numérique” et était ainsi chargé “d'identifier la propagande de désinformation sur les réseaux sociaux en ligne et les campagnes d'influence secrètes”.
Ce n’est pas tout. Emily Vacher, dix ans d’expérience comme agent spécial de supervision au FBI, est désormais directrice des règles de confiance et de sécurité de la communauté Facebook. Mike Bradow, quant à lui, responsable de la politique de désinformation chez Facebook depuis 2020, a travaillé pour l’organisation USAID, l’agence du gouvernement des États-Unis chargée du développement économique et de l’assistance humanitaire dans le monde. Selon MacLeod, “l'USAID est une organisation d'influence financée par le gouvernement américain qui a géré plusieurs opérations de changement de régime à l'étranger, notamment au Venezuela en 2002, à Cuba en 2021 et des tentatives en cours au Nicaragua”. Pour finir, Neil Potts, vice-président de la confiance et de la sécurité de Facebook, est un ancien officier du renseignement du Corps des Marines des États-Unis, et Joey Chan, responsable du programme de confiance et de sécurité chez Meta, a travaillé comme commandant de l'armée américaine jusqu'en 2021, où il a supervisé plus de 100 soldats dans la région Asie-Pacifique.
"Des questions troublantes sur l’impartialité de l’entreprise et sa proximité avec le pouvoir gouvernemental”
Est-ce réellement approprié de confier le contrôle de nos flux d’actualités à d’anciens représentants d’agences gouvernementales américaines ? Pour MacLeod, la réponse est claire : la proximité du groupe Meta avec le gouvernement des États-Unis fait froid dans le dos. “Embaucher autant d’anciens responsables de l’État pour gérer les opérations les plus politiquement sensibles de Facebook soulève des questions troublantes sur l’impartialité de l’entreprise et sa proximité avec le pouvoir gouvernemental”, souligne le journaliste.
Sur son site, Facebook ajoute : “Le comité consultatif de sécurité n’a pas pour mission d’examiner des thèmes ou des sujets qui ne sont pas en lien avec la sécurité (les algorithmes, la confiance envers la marque ou l’intelligence artificielle, par exemple), sauf si ces sujets se recoupent avec la sécurité”.
Autrement dit, lorsqu’il s’agit de la sécurité, la célèbre agence américaine de renseignement pourrait dicter aux milliards d’utilisateurs de la plateforme d’informations la plus importante au monde ce qu’ils ont le droit ou non de voir en ligne, le tout sans surveillance publique. “Cet arrangement constitue le meilleur des deux mondes pour Washington, qui peut exercer une influence significative sur les nouvelles mondiales et les flux d'informations, mais conserve le déni plausible”, conclut Alan MacLeod.
Ce n’est pas la première fois que les relations étroites entre médias et agences gouvernementales américaines sont montrées du doigt. Commencé à la fin des années 1940 et rendu publique une trentaine d’années plus tard, l’Opération Mockingbird (ou Opération “oiseau moqueur”), projet de la CIA destiné à influencer les médias américains, a fait couler de l’encre en 1977 lorsque le journaliste du Washington Post Carl Bernstein a dévoilé dans le Rolling Stone qu'environ 400 journalistes travaillaient en collaboration avec la CIA. “La CIA avait l'habitude d'infiltrer les médias. Maintenant, la CIA est le média”, note le mensuel américain Monthly Review en rapport à la controverse actuelle liée aux règles de sécurité de Facebook.
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