Cosmétiques : vers la fin des expérimentations animales ?
Le 3 mai dernier, les eurodéputés ont marqué leur volonté forte de mettre fin à l’expérimentation dans le domaine des cosmétiques à l’échelle mondiale en adoptant à une forte majorité (620 voix pour, 14 contre) une résolution sur l’interdiction totale de l’expérimentation animale pour les cosmétiques (2017/2922-RSP)[1].
En effet, les textes européens ont mis fin à l’expérimentation animale depuis 2013[2]; la Commission européenne est restée ferme[3] face aux réticences d’États membres[4].
Le contexte du commerce international est un facteur supplémentaire qui pourrait atteindre la règlementation. Pour autant, la Cour de justice de l’Union européenne ne faiblit pas non plus. Ainsi, dans sa décision rendue le 21 septembre 2016[5], elle affirme que le droit de l’Union européenne protège le marché européen contre des produits cosmétiques dont les ingrédients ont fait l’objet d’expérimentations animales. Par conséquent, lorsque les expérimentations animales ont été menées hors de l’Union européenne pour permettre la commercialisation du produit dans des pays tiers et que le résultat de ces expérimentations est utilisé pour prouver la sécurité du produit, la mise sur le marché de l’Union peut être interdite. Cependant, cela n’exclut pas la possibilité de réaliser des essais sur les animaux pour s’assurer de la sécurité d’un produit cosmétiques lorsque la commercialisation se fait hors Union européenne comme sur le marché chinois[6].
Les eurodéputés soulignent que "le Guatemala, l'Islande, l'Inde, Israël, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, la Serbie, l'Islande, la Suisse et la Turquie ont interdit l'expérimentation animale pour les cosmétiques" et notent que "d'autres pays, tels que la Corée du Sud et l'Australie, ont réalisé des progrès significatifs vers une telle interdiction". Ils font néanmoins "remarquer qu’en dépit d’avancées législatives notables, environ 80 % des pays dans le monde continuent à autoriser l’expérimentation animale et la commercialisation de produits cosmétiques expérimentés sur des animaux"[7].
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La règlementation relative à l’interdiction de l’expérimentation animale dans le domaine des cosmétiques présente d’autres failles que soulignent les eurodéputés. Notamment, ils mettent en avant un problème important relatif à l’absence de documentation complète et fiable dans le dossier d’information sur les produits cosmétiques importés dans l’Union européenne en provenance de pays tiers où les expérimentations animales sont encore nécessaires. Ils précisent que cela est "un problème grave qui doit être traité en priorité"[8].
Une autre difficulté découle de la diversité des textes en vigueur dans l’Union européenne. "La majorité des ingrédients présents dans les produits cosmétiques sont également utilisés dans de nombreux autres produits industriels et de consommation, comme les produits pharmaceutiques, les détergents et autres produits chimiques ou les produits alimentaires; que ces ingrédients peuvent avoir été testés sur des animaux au titre de la législation applicable, comme le règlement REACH[9], lorsqu'il n'existe pas de solutions de substitution"[10]. En effet, un produit n’est pas dépourvu de substances chimiques intégrant le domaine d’application du règlement REACH qui permet encore l’expérimentation animale sous condition d’absence de méthode alternative.
Il convient d’ajouter à cet ensemble de raisons le fil conducteur qui est le bien-être animal. Les eurodéputés précisent la portée de l'article 13 du traité de fonctionnement de l’Union européenne[11] en affirmant que, "dans la formulation et la mise en œuvre des politiques de l'Union, notamment en ce qui concerne son marché intérieur, il convient de tenir pleinement compte des exigences du bien-être des animaux, car les animaux sont des êtres sensibles"[12]. Il est ajouté que l’Union européenne s'est engagée à promouvoir le bien-être animal tout en protégeant la santé humaine et l'environnement. Et cela même dans le secteur prospère et innovant des cosmétiques en Europe. D’ailleurs, il a bien été souligné que l’interdiction posée n'a pas ralenti ce marché, bien au contraire[13].
Pour cet ensemble de raisons, les eurodéputés demandent que "le règlement relatif aux produits cosmétiques serve de modèle à l’introduction au niveau mondial d’une interdiction de l’expérimentation animale pour les cosmétiques et d’une interdiction du commerce international des ingrédients et des produits cosmétiques testés sur des animaux, qui entreraient en vigueur avant 2023"[14].
La résolution adoptée mérite d’être remarquée. Il convient tout de même de préciser qu’une résolution émanant du Parlement européen n’a pas de portée contraignante. Pour autant, elle fait preuve d’une réelle volonté de faire progresser à l’avenir la règlementation sur les cosmétiques en renforçant l’interdiction de l’expérimentation animale. Notamment, l’un des objectifs des eurodéputés serait de parvenir ultérieurement à la conclusion d’une convention internationale contre l’utilisation d’animaux pour tester les cosmétiques. C’est une porte bien ouverte d’autant plus que l’Union européenne a une délégation aux Nations Unies, qui possède un "statut avancé d’observateur", lui permettant de participer aux débats. De plus, Cruelty Free International et la marque de cosmétiques The Body Shop avaient lancé en juin dernier la pétition "Forever Against Animal Testing" ("À jamais contre l’expérimentation animale"), pour réclamer une convention internationale similaire aux Nations Unies.
L’interdiction de l’expérimentation animale dans le domaine des cosmétiques est de rigueur et le restera.
[1]http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2018-0202+0+DOC+XML+V0//FR
[2]Directive n° 76/768/CEE du Conseil du 27 juill. 1976, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux produits cosmétiques, JOCE L 262 du 27 sept. 1976. Directive n° 2003/15/CE du 27 février 2003 modifiant la directive 76/768/CEE du Conseil concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux produits cosmétiques ; JOCE n° L 66 du 11 mars 2003, 899-944. Directive 2004/93/CE de la Commission du 21 septembre 2004 portant modification de la directive 76/768/CEE du Conseil en vue de l’adaptation au progrès technique de ses annexes II et III.Règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques. "Le présent règlement remplace, à partir du 11 juillet 2013, la directive « cosmétiques » qui assurait jusqu’à présent la libre circulation des produits, tout en garantissant un haut niveau de protection des consommateurs. Les dispositions du règlement visent à assurer la protection de la santé et l’information des consommateurs en veillant à la composition et à l'étiquetage des produits. Le règlement prévoit également l'évaluation de la sécurité des produits et l’interdiction des expérimentations sur les animaux". (europa.eu) (V. aussi : http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX:02009R1223-2015...).
[3] V. Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil concernant l’interdiction de l’expérimentation animale et l’interdiction de mise sur le marché dans le secteur des cosmétiques et faisant le point sur les méthodes de substitution à l’expérimentation animale /* COM/2013/0135 final */ (https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A52013DC0135).
[4] Exemple de la France qui a tenté d’invalider la directive de 2003 mettant fin à l’expérimentation animale sur les produits cosmétiques : CJCE, 24 mai 2005, République française c/ Parlement européen et Conseil de l’Union européenne, aff C-244/03. V. aussi une analyse des professeurs Jean-Pierre Marguénaud et Olivier Dubos: Jean-Pierre MARGUÉNAUD et Olivier DUBOS, "Le droit communautaire et les produits cosmétiques expérimentés sur les animaux", Dalloz, 2006.
[5] V. Décision de la Cour de justice de l’Union européenne : CJUE, 21 septembre 2016, European Federation for Cosmetic Agreement c. Secratary of State for Business Innovation and Skills, C-592/14. Dans les faits, la "European Federation for Cosmetic Ingredients" (EFfCI) est une association professionnelle représentant les fabricants d’ingrédients utilisés dans les produits cosmétiques au sein de l’Union européenne. Trois de ses membres avaient effectué des expérimentations animales hors de l’Union afin que les produits cosmétiques contenant certains ingrédients puissent être vendus en Chine et au Japon. L’EFfCI a saisi la justice britannique pour savoir si les trois sociétés concernées encouraient des sanctions pénales dans le cas où elles mettraient sur le marché britannique des produits cosmétiques dont les ingrédients ont fait l’objet de ces expérimentations animales. La Cour a donc appuyé son positionnement en faveur d’une interdiction de mise sur le marché d’un produit cosmétique ou de ses ingrédients ayant été testés sur les animaux. (Emilie CHEVALIER, « Pas de dumping en matière d’expérimentation animale », Revue Semestrielle de Droit Animalier, 1/2016, 2016, pp. 107‑112, http://www.unilim.fr/omij/files/2016/12/RSDA_1_2016.pdf).
[6]Par exemple, début juillet 2017, la marque cosmétique NARS, connue pour son refus des tests sur les animaux, cède à la pression du marché chinois en autorisant la Chine à pratiquer des tests sur les animaux.
[7] V. Résolution du Parlement européen 2017/2922(RSP), « situation internationale », n° 13-14.
[8] Résolution du Parlement européen 2017/2922(RSP), Leçons tirées de l’interdiction décisive par l’Union européenne de l’expérimentation animale pour les cosmétiques, n° 2.
[9]Règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACh)
[10]Résolution du Parlement européen 2017/2922(RSP), I.
[11] V. aussi Jean-Pierre MARGUÉNAUD, « La promotion des animaux au rang d’êtres sensibles dans le Traité de Lisbonne », Revue Semestrielle de Droit Animalier, 2/2019, 2019, pp. 13-18, http://www.unilim.fr/omij/files/2013/10/59_RSDA_2-2009.pdf.
[12] Rappel dans la résolution du Parlement européen 2017/2922(RSP), B.
[13]« l'Europe dispose d'un secteur des cosmétiques prospère et innovant, qui fournit environ deux millions d'emplois et constitue le plus grand marché de produits cosmétiques au monde; souligne que l’interdiction de l’expérimentation animale imposée par l’Union européenne n’a pas compromis le développement du secteur »; (Résolution du Parlement européen 2017/2922(RSP), Leçons tirées de l’interdiction décisive par l’Union européenne de l’expérimentation animale pour les cosmétiques, n° 1).
[14]Résolution du Parlement européen 2017/2922(RSP),Mise en place d’une interdiction totale de l’expérimentation animale pour les cosmétiques, n° 15.
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