Expérimentation animale dans le domaine des cosmétiques : quelle réglementation au sein de l'Union européenne ?

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Marion Renson-Bourgine, édité par la rédaction
Publié le 14 juillet 2017 - 01:51
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©Halfrain/Flickr
Depuis le 11 mars 2013, l’expérimentation animale est en principe interdite au sein de l’Union européenne.
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Connue pour son refus de tester ses produits sur les animaux, la marque de cosmétiques NARS vient de céder à la pression du marché chinois, début juillet, en autorisant le pays à faire usage de cette pratique. Pour "FranceSoir", Marion Renson-Bourgine, juriste spécialisée dans le droit animalier, s'est penchée sur la réglementation de l’industrie cosmétique au sein de l’Union européenne, rappelant les actions des autorités en la matière.

L’expérimentation animale dans le domaine des cosmétiques continue à faire parler. Pourtant, depuis le 11 mars 2013, cette pratique est en principe interdite au sein de l’Union européenne. Avant toute mise sur le marché, les produits cosmétiques, comme tout autre produit destiné à la consommation, doivent être testés au préalable afin de s’assurer de leur innocuité. L’expérimentation animale en constituait l’étape incontournable.

Aujourd’hui, le bien-être animal a pris une place intégrante et l’Union européenne a mis fin à cette forme d’utilisation des animaux. Ce choix se justifie en raison de la finalité des produits cosmétiques pour lesquels "leur utilisation, destinée davantage à améliorer le paraître qu’à sauvegarder l’être, n’est pas une nécessité absolue"[1]. Toute une genèse réglementaire mérite d’être expliquée.

Une première directive européenne a engagé le mouvement vers une protection des animaux utilisés à des fins scientifiques dans le domaine des cosmétiques en 1976[2]. Elle constitue le point de départ d’une série de textes consacrant la protection des animaux à visée expérimentale pour les produits cosmétiques. Ce texte a ensuite été modifié par une nouvelle directive en 2003[3]. Cette dernière prévoit une interdiction immédiate des tests sur les animaux lorsque d’autres méthodes sont disponibles et pose l’interdiction de mise sur le marché de produits finis[4] mais également de la réalisation d’expérimentations animales portant sur toutes ces catégories de produits. La directive du 21 septembre 2004[5] met un terme définitif à l’expérimentation pour les produits cosmétiques finis.

Ces positionnements réglementaires ont déplu[6] notamment à la France qui a adopté une "stratégie contentieuse"[7] afin d’obtenir l’annulation des dispositions de la directive de 2003 interdisant les produits expérimentés sur des animaux[8]. Or, cette stratégie a échoué comme l’illustre l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 24 mai 2005[9]. Après un ensemble d’atermoiements relatifs à ces interdictions, un règlement européen de 2009[10] est venu affirmer l’effectivité de l’ensemble de ces interdictions avec un unique délai fixé au 11 mars 2013 pour les expérimentations concernant la toxicité des doses répétées, la toxicité pour la reproduction et la toxicocinétique, pour lesquelles il n’existe pas encore de méthodes alternatives.

En outre, la Commission européenne a refusé l’idée d’un report du délai fixé au 11 mars 2013, affirmant ainsi une volonté prononcée pour la fin de l’expérimentation animale dans le domaine des cosmétiques. En 2013, avant la date du 11 mars, elle conclut au maintien de l’entrée en vigueur de l’interdiction de mise sur le marché et ne présente donc pas de proposition législative visant à repousser l’échéance ou à prévoir des dérogations isolées[11]. Par conséquent, depuis le 11 mars 2013, il est impossible de tester les produits cosmétiques finis ainsi que leurs ingrédients sur les animaux. C’est pourquoi, il convient de recourir aux méthodes substitutives à l’expérimentation animale. La Commission européenne en a pleinement conscience et cofinance notamment l’initiative SEURAT-1[12] qui constitue la preuve du rôle actif du secteur des cosmétiques dans le développement de méthodes d’essai substitutives.

L’Union européenne se montre ferme dans sa protection de l’animal à des fins cosmétiques. Toutefois, il convient de préciser aussi les méfaits d’une diversité règlementaire. Un grand pourcentage de substances utilisées dans les cosmétiques correspond à des substances chimiques qui peuvent ainsi être concernées aussi bien par l’interdiction posée dans la directive "cosmétiques" que par des essais autorisés dans le cadre de la règlementation "REACH"[13]. L’amendement 65 proposé par le Parlement en première lecture énonce que "lorsque les substances utilisées uniquement en tant qu’ingrédients cosmétiques sont couvertes par le présent règlement, aucune expérimentation animale interdite conformément à la directive 76/768/CEE, telle que modifiée, n’est autorisée aux fins de la même évaluation exigée aux termes du présent règlement pour ces substances"[14] .

Concrètement, l’interdiction posée de l’expérimentation animale dans le domaine de la cosmétologie ne concerne qu’un faible pourcentage de substances. "La majorité des ingrédients utilisés dans les produits cosmétiques sont des ingrédients qui sont également utilisés dans de nombreux autres produits de la consommation et produits industriels, tels les produits pharmaceutiques, les détergents et les denrées alimentaires, et l’expérimentation animale peut se révéler nécessaire avec le cadre légal qui leur est applicable"[15].

Le Parti animaliste par exemple propose d’introduire dans le règlement REACH (CE) n°1907/2006 une obligation d’utiliser des méthodes non-animales validées pour tester la non-toxicité des substances chimiques[16]. C’est une proposition qui permettrait de consolider la portée réelle du règlement cosmétique en uniformisant ces deux législations. En attendant, cette diversité substantielle limite la portée de la fin de l’expérimentation animale. Et elle n’est pas la seule!

En effet, une difficulté persiste. La règlementation ne concerne que l’Union européenne. La Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion d’affirmer dans un arrêt du 21 septembre 2016[17] (C-592/14)[18] que le droit de l’Union européenne protège le marché européen contre des produits cosmétiques dont les ingrédients ont fait l’objet d’expérimentations animales. Ainsi, l’Union peut interdire la mise sur le marché d’un produit cosmétique ayant fait l’objet d’essais sur des animaux dans un pays tiers et pour lequel le résultat est utilisé pour prouver sa sécurité.

Dans les faits, la "European Federation for Cosmetic Ingredients" (EFfCI) est une association professionnelle représentant les fabricants d’ingrédients utilisés dans les produits cosmétiques au sein de l’Union européenne. Trois de ses membres avaient effectué des expérimentations animales hors de l’Union afin que les produits cosmétiques contenant certains ingrédients puissent être vendus en Chine et au Japon. L’EFfCI a saisi la justice britannique pour savoir si les trois sociétés concernées encouraient des sanctions pénales dans le cas où elles mettraient sur le marché britannique des produits cosmétiques dont les ingrédients ont fait l’objet de ces expérimentations animales. Au final, selon la réponse de la Cour, peu importe où sont réalisées les expérimentations animales, l’interdiction reste.

Cependant, lorsque la commercialisation est réalisée hors de l'Union européenne, cette dernière ne peut plus agir. C’est ainsi que, début juillet, la marque de cosmétiques NARS, connue pour son refus des tests sur les animaux, cède à la pression du marché chinois en autorisant la Chine à pratiquer des tests sur les animaux.

Le chemin de la fin de l’expérimentation animale dans le domaine des cosmétiques est engagé mais encore long à parcourir…

___________________________________________________________

[1]Jean-Pierre Marguénaud et Olivier Dubos, "Le droit communautaire et les produits cosmétiques expérimentés sur les animaux", Dalloz, 2006, p. 1774.

[2]Directive n° 76/768/CEE du Conseil du 27 juill. 1976, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux produits cosmétiques, JOCE L 262 du 27 sept. 1976.

[3]Directive n° 2003/15/CE du 27 février 2003 modifiant la directive 76/768/CEE du Conseil concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux produits cosmétiques, JOCE n° L 66 du 11 mars 2003, 899-944.

[4] Cette disposition vient compléter l’interdiction déjà admise depuis 1993. La directive n° 93/35/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, qui est venue réviser la directive n° 76/768/CEE, avait pour objectif d’interdire la mise sur le marché de produits cosmétiques contenant des ingrédients ou combinaison d’ingrédients expérimentés sur des animaux. Elle avait différé l’entrée en vigueur de cette interdiction au 1er janv. 1998, dans l’attente de la mise au point de méthodes alternatives.

[5] Directive 2004/93/CE de la Commission du 21 septembre 2004 portant modification de la directive 76/768/CEE du Conseil en vue de l’adaptation au progrès technique de ses annexes II et III.

[6] Christophe MARIE, "Sur l’immobilisme contre lequel bute désormais la cause animale", RSDA n° 2/2013, p. 364 ; http://www.unilim.fr/omij/files/2014/03/RSDA-2-2013.pdf.

[7]Jean-Pierre Marguénaud et Olivier Dubos, "Le droit communautaire et les produits cosmétiques expérimentés sur les animaux", op. cit.

[8] La France invoquait une violation du principe de la sécurité juridique mais également une violation du droit au libre exercice d’une activité professionnelle, du principe de proportionnalité, du principe de précaution et du principe de non-discrimination. Elle avait également demandé à la CJCE d’examiner la pertinence des règles du GATT à la lumière du principe d’interprétation conforme. Sur ce dernier point, mal engagé en raison notamment de l’absence d’effet direct, M. Marguénaud et M. Dubos en propose une analyse intéressante (ibid.).

[9]CJCE, 24 mai 2005, République française c/ Parlement européen et Conseil de l’Union européenne, aff C-244/03.

[10]Règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques. "Le présent règlement remplace, à partir du 11 juillet 2013, la directive +cosmétiques+ qui assurait jusqu’à présent la libre circulation des produits, tout en garantissant un haut niveau de protection des consommateurs. Les dispositions du règlement visent à assurer la protection de la santé et l’information des consommateurs en veillant à la composition et à l'étiquetage des produits. Le règlement prévoit également l'évaluation de la sécurité des produits et l’interdiction des expérimentations sur les animaux". (europa.eu) (V. aussi : http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX:02009R1223-20150818).

[11]Piermario Mattera, "La Communication de la Commission européenne concernant l’interdiction de l’expérimentation animale et l’interdiction de mise sur le marché dans le secteur des cosmétiques", Revue du droit de l’Union européenne, vol. 1, 1 Mars 2013, pp. 151-161.

[12] Initiative en faveur de la recherche de méthodes d’évaluation de la sécurité remplaçant l’expérimentation animale. SEURAT-1 rassemble plus de 70 équipes de chercheurs européens travaillant à un groupement de six projets complémentaires bénéficiant d’une action coordonnatrice. Le programme quinquennal SEURAT-1 vise à exploiter les connaissances que l’on a des processus toxicologiques pour développer et assembler de manière rationnelle les éléments constitutifs de techniques nouvelles de prévision de la toxicité systémique à doses répétées chez l’homme pouvant être due à l’exposition à des substances chimiques. (P. MATTERA, ibid.)

[13] Règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACh).

[14] Rapport ENVI, 24 octobre 2005, A6 – 0315/2005.

[15]Piermario Mattera, "La Communication de la Commission européenne concernant l’interdiction de l’expérimentation animale et l’interdiction de mise sur le marché dans le secteur des cosmétiques", op. cit., p. 156.

[16]https://parti-animaliste.fr/lexperimentation-animale/

[17]"Sommaires de jurisprudences", RSDA n° 2/2016, p. 143-144 ; http://www.unilim.fr/omij/files/2017/06/RSDA_2_2016.pdf.

[18]http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=183602&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1

 

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