Déni de récession aux Etats-Unis
CHRONIQUE - Aux États-Unis, la polémique sur le fait de savoir s’il y a ou non récession fait rage. Après l’annonce jeudi de la seconde baisse consécutive du PIB par l’organisme en charge de sa mesure, le Bureau of Economic Research (BEA), le gouvernement de Joe Biden a entrepris le même effort de spinning que pour tous les sujets qui divisent : le Covid-19, l’Ukraine, l’idéologie de genre, le changement climatique. Une fois de plus, il s’agit d’imposer le narratif autorisé. L’urgence est à redéfinir, à annuler et remplacer les contenus, à resignifier, à réinventer la roue, à substituer la fiction à la réalité. La définition technique d’une récession, précisément la chute consécutive de deux mois de suite, ne devrait plus avoir cours. Du moins pas tant qu’elle soit anti-électoraliste. Car pour Joe Biden, le risque est de voir sa présidence accolée à une aventure non plus internationale, géopolitique, mais interne et économique : celle de la récession. D’autant que ce n’est pas une récession trimestrielle, mais annuelle dont il serait question.
Comme pour les autres sujets, l’aveuglement consiste à nier les chiffres officiels eux-mêmes. En l’occurrence, une chute en Q2 de 0,9% après une chute de 1,6% en Q1. L’équipe de Joe Biden aurait pu souligner que la chute était contenue et qu’elle était moins importante en ce trimestre, mais cela n’aurait pas été suffisant. Il convient de la nier en bloc, car la répétition de la chute du PIB, signe la définition d’une récession. Dans le cadre de sa politique de contrôle des dommages, les spadassins de la Maison-Blanche ont entrepris dès lundi, soit 48 heures avant la publication des résultats du BEA, un effort pour installer une nouvelle définition du terme récession impliquant une approche « plus holistique », dans lequel certains paramètres marginaux seraient isolés. Selon Brian Deese, Directeur du Conseil économique de la Maison-Blanche, interviewé par CNN, « en termes techniques, ce n’est pas une récession, la définition technique porte sur un spectre de données beaucoup plus large ». Comment un pompier niant l’existence de l’incendie pourrait-il songer à l’éteindre ?
Comme toujours face aux menaces, dans le cadre desquelles ce qui est en jeu est l’image, le Parti démocrate possède un bureau d’études ad hoc pour fournir une réponse immédiate en termes d’influence. Ce véhicule, pour l’occasion, est le National Bureau of Economic Research (NBER). Selon les économistes du NBER, « une récession est un déclin significatif de l’activité économique, qui traverse toute l’économie et qui dure plus que quelques mois ». Le terme techniquement retenu de deux mois en vigueur, auprès de toutes les entités mesurant la macroéconomie, serait donc obsolète.
Néanmoins, aucune reformulation ne semble pouvoir enrayer la mécanique de crise, et moins encore les projections de Q3, car tous les indicateurs pour 2022, parient sur une succession de données négatives pour le PIB américain. L’inflation historique n’est pas une vue de l’esprit, pas plus que ne le sont les chiffres du marché du travail, ni la perte de confiance du consommateur. Pour Tommy Piggot, porte-parole du Comité républicain, opposant au gouvernement actuel, le plus inquiétant en termes de gouvernance serait qu'une fois de plus, la gestion de crise se fonde sur une question d’articulation du message et non pas de gestion. À l’adresse de Joe Biden, il déclare : « On ne peut pas changer la réalité en argumentant sur la définition de récession ».
Ce déni de la réalité est éloquent de toute une nouvelle manière de faire de la politique. Ce n’est plus seulement une question de propagande, ou de spinning. C’est la marque de fabrique d’une génération d’exécutifs de pays où la transparence constituait jusqu’il y a trois ou quatre ans, une valeur cardinale. En dépit de la réalité, Karine Jean-Pierre, porte-parole de la Maison-Blanche, n’hésite pas à livrer une représentation d’un pays vivant un moment formidable dans le cadre d’une interview au Wall Street journal : « Le fait est que nous sommes dans un endroit fondamentalement différent de celui où nous étions, lorsque le président est entré en fonction. Durant cette présidence, les gens se sentent en général incertains à propos de la politique. En revanche, ils se sentent mieux que jamais au regard de leur situation financière [citant] la Réserve fédérale, avec 80% des adultes déclarant qu’ils sont dans une situation financière confortable. Ça, ça compte ». Une telle déclaration entre en collision avec les statistiques d’approbation de Joe Biden, au plus bas de l’histoire des présidences américaines.
C’est en cela que l’exégèse des propos de Jean-Pierre est essentielle. Plus c’est gros, plus ça passe. Ce même porte-parole ajoute : « Ce que j’essaye de vous dire est que l’économie se trouve à un point meilleur qu’elle ne l’a été historiquement et c’est ce que nous ressentons ici, dans cette administration et d’autres experts également. C’est que nous croyons être dans une bonne position pour gérer l’inflation. Nous pensons être dans une bonne position, pour vraiment baisser les prix ». Tout y est : le déni, les experts désignés, le jeu du pompier pyromane, la représentation dithyrambique de soi-même, la déconstruction des données.
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