Depuis la Chine, Macron invite l’UE à prendre ses distances avec les États-Unis et provoque une levée de boucliers en Europe
En revenant de Chine, grande rivale de Washington, le président Macron a appelé l’Union européenne (UE) à ne pas être “suiviste” des États-Unis, notamment sur la question de Taïwan. Pour sa première visite à Pékin depuis 2019, le chef de l’État français a plaidé pour l'autonomie stratégique de l’Europe, “cruciale” afin que ses États ne deviennent pas “des vassaux” américains. L’Europe ne doit pas entrer “dans une logique de bloc à bloc” mais être “le troisième pôle” face aux États-Unis et la Chine, a-t-il estimé dans une interview accordée aux Échos. Ces propos, dont se félicite la Chine, mais qui passent très mal en Amérique comme sur le Vieux Continent, marquent-ils un tournant dans la diplomatie française ou européenne vis-à-vis de ses alliés ?
Contrairement à ce qu'elle fait pour la guerre en Ukraine, qui se déroule sur son territoire, l’UE a-t-elle intérêt à “être suiviste” sur la question taïwanaise et à “s’adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise” ? Pour le président français, ce serait “la pire chose” pour les États membres. “Pourquoi devrions-nous aller au rythme choisi par les autres ? À un moment donné, nous devons nous poser la question de notre intérêt”, plaide-t-il. Emmanuel a appelé l’Union Européenne à “se réveiller” car “la priorité n’est pas de nous adapter à l'agenda des autres dans toutes les régions du monde”.
La priorité, affirme-t-il, est de se doter plutôt d’une autonomie stratégique, afin que que les États européens “restent dans l’Histoire” au lieu d’être “pris dans un dérèglement du monde et des crises qui ne seraient pas les [leurs]”. “S'il y a une accélération de l'embrasement du duopole, nous n'aurons pas le temps ni les moyens de financer notre autonomie stratégique et deviendrons des vassaux alors que nous pouvons être le troisième pôle si nous avons quelques années pour le bâtir”, a-t-il averti aux Echos.
“Être suiviste des États-Unis” ou “être autonome”
Une autonomie stratégique incontournable à ses yeux, pour que l’Europe soit en mesure d’incarner une troisième voie ou “le troisième pôle” face aux États-Unis et à la Chine. “Pendant trop longtemps l'Europe n'a pas construit cette autonomie stratégique pour laquelle je me bats (...) Il y a cinq ans, on disait que la souveraineté européenne n'existait pas”. Désormais, les mentalités changent, “la bataille idéologique” est gagnée et “les jalons sont posés”. Emmanuel Macron en veut pour preuve les différentes réactions de l’UE face aux États-Unis et à ses politiques à l’égard de l’Europe. Il évoque la riposte européenne à “l’Inflation Reduction Act” (IRA) des États-Unis, le fonds européen pour les missiles et les munitions ou encore l’idée d’une défense européenne.
“Il y a cinq ans, l'autonomie stratégique était une chimère. Aujourd'hui, tout le monde en parle. C'est un changement majeur. Nous nous sommes dotés d'instruments sur la défense et sur la politique industrielle. Les avancées sont nombreuses : le Chips Act, le Net Zero Industry Act et le Critical Raw Material Act. Ces textes européens sont les briques de notre autonomie stratégique”, fait-il remarquer.
“Échec”, “désastre de communication”, “pathétique”
Les déclarations de Macron passent mal, aux États-Unis comme en Europe. Le timing, tout comme le lieu, de ses propos ne sont pas anodins aux yeux de ses détracteurs. Le sénateur américain républicain Lindsey Graham a qualifié cette visite en Chine du chef de l’État français de “troublante”, malgré “l'alliance de longue date et stratégiquement importante entre les États-Unis et la France”.
“Le président Macron a fait preuve d’un leadership fort, en particulier en Afrique. Toutefois, en ce qui concerne la Chine et la Russie, il se trouve dans une position de faiblesse et il ne comprend vraiment pas ce que la Russie et la Chine réservent au monde”, croit-il savoir.
Le sénateur républicain de Floride, Marco Rubio, s’est demandé si Macron parlait en son nom ou au nom des 27 états membres de l’UE. Il estime d’ailleurs que si l'Union Européenne souhaite accéder à une autonomie stratégique, Washington devrait reconsidérer son soutien à l'Ukraine.
Le Wall Street Journal a critiqué Emmanuel Macron, “qui aime à s'imaginer en Charles de Gaulle du 21e siècle” souhaitant “distancier l'Europe des États-Unis”.
"Sans les armes et les renseignements américains, la Russie aurait depuis longtemps renversé l'Ukraine et peut-être un ou plusieurs pays frontaliers de l'OTAN", fustige le quotidien dans un éditorial.
La critique la plus acerbe vient de l’ex-président Donald Trump. Il a accusé le président français de “lécher le c**” de son homologue chinois Xi Jinping.
Macron a également essuyé de vives critiques en Europe. Le député allemand de l'opposition, Norbert Röttgen, ne cesse de critiquer le président français depuis sa sortie. Il estime que les propos du président français sont “irresponsables”. “Si nous signalons à des hommes comme Xi et Poutine que leur agression ne nous regarde pas, le conflit devient plus probable. Ce n'est pas un moyen de dissuasion, mais plutôt une tentation”. Son appel à une “autonomie stratégique” a l’effet contraire, celui “d’isoler” l’Europe, affirme-t-il.
Le parlementaire estonien Marko Mihkelson, a exprimé son étonnement. “Pourquoi, président Macron ? L’Europe devrait se tenir aux côtés des États-Unis pour équilibrer le pouvoir de la Chine”. Garry Kasparov, opposant russe au pouvoir de Vladimir Poutine, a usé de mots plus crus. “Pathétique de la part de Macron, comme d’habitude”, surtout “lors d’une rencontre avec le dictateur chinois”.
Manfred Weber, président du Parti populaire européen, a répliqué au chef de l’État français en affirmant que “défendre la liberté et la démocratie ne signifie pas être un suiveur”. Samedi, il a même accusé le président français d’avoir “divisé l’Occident”, demandant un débat en plénière à l’assemblée européenne.
Emmanuel Macron n’a pas été épargné en France. Le chercheur Antoine Bondaz évoque “une erreur d’analyse totale”. “Je n’aurais jamais pensé que la communication du président soit à ce point catastrophique et contreproductive”, regrette-t-il.
Chercheur auprès de l’Institut français des relations internationales (IFRI), Marc Julienne estime de son côté que cette visite de Macron en Chine est un “deuxième échec sur la scène diplomatique après sa tentative de dissuader Vladimir Poutine d'envahir l'Ukraine. C'est coûteux en termes d'image”. Pour François Godement, spécialiste de la Chine et des relations internationales en Asie de l'Est, la visite du président français est un “désastre de communication”, notamment dans ses critiques contre les "sanctions" américaines et "l’extraterritorialité du dollar", “qui sont jusqu’ici les meilleurs substituts à un conflit direct – que ce soit avec l’Iran, la Russie ou potentiellement la Chine”.
Plus d’autonomie pour moins subir le diktat des États-Unis
La Chine, qui commençait des exercices militaires au large de Taïwan, est le seul pays à se réjouir des déclarations de Macron. Ces commentaires sont “manifestement le fruit d’une observation et d’une réflexion de longue date”, y estime le Global Times.
Malgré une pluie de critiques aux États-Unis comme en Europe, "le président de la République assume entièrement son propos", selon une source diplomatique française. "Le propos porte sur une chose : la souveraineté européenne. Le président de la République n'a pas dit que nous ne nous préoccuperions pas de la sécurité de Taïwan, il n'a pas justifié la politique chinoise vis-à-vis de Taïwan, il a dit que l'Europe devrait souverainement déterminer quels seraient ces intérêts”. En visite aux Pays-Bas, Macron a répété qu’être “allié ne signifie pas être vassal".
Il peut également compter sur l'absence de commentaires de la Maison Blanche. “Nous sommes à l’aise et nous avons toute confiance dans notre excellente relation bilatérale avec la France et dans la relation que le président Biden a avec le président Macron”, a déclaré John Kirby, porte-parole du département de la Défense des États-Unis.
Comme le fait remarquer le Wall Street Journal, Emmanuel Macron appelle depuis de nombreuses années l’Europe à devenir autonome. Cela apparaît, par ailleurs, dans d'autres de ses déclarations.
Le président l'a lui-même rappelé dans son interview avec Les Échos en évoquant son discours à la Sorbonne en 2017. Fin 2021, des eurodéputés soulignaient la nécessité de renforcer l’autonomie stratégique de l’Europe. La crise des sous-marins, la réorientation stratégique des États-Unis et de l’administration Biden qui font de la Chine leur principale priorité ainsi que la dépendance des États européens vis-à-vis de l’OTAN et de l’armée américaine ont obligé les dirigeants du Vieux continent à se concerter pour renforcer leur autonomie.
Des accrocs ont rythmé la relation entre les États-Unis et l’UE en 2022. La réorientation stratégique des États-Unis s’est manifestée par un protectionnisme commercial, à travers la loi économique et sociale appelée "Inflation Reduction Act" (IRA). Joe Biden “s'inscrit dans une logique transpartisane américaine qui définit l'intérêt américain comme la priorité n° 1 et la Chine comme la priorité n° 2”, selon Macron.
Lors de sa visite fin novembre 2022 à Washington, le chef de l’État français a déploré des mesures "super agressives" qui risquaient de "fragmenter l'Occident". Un sujet de discorde qui s’est ajouté à la guerre en Ukraine, de laquelle les États-Unis étaient accusés par leurs alliés européens de “tirer profit” à travers la vente d'armes et la hausse des prix du gaz.
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